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ENTRE WHITE ET RED STAR LINE

Patrick Decuyper, le CEO de l’Antwerp, est un peu anticonformiste. Mais en engageant John Bico comme manager sportif, il a envoyé son club au casse-pipe. Une énorme erreur de casting.

Quelle mouche a donc piqué Patrick Decuyper, CEO de l’Antwerp, lorsqu’il a décidé d’engager John Bico comme manager sportif du club ? C’est la question que tout le monde se posait déjà à la mi-octobre et les théories les plus sombres n’ont pas tardé à voir le jour. Cela fait un an et demi que Decuyper refuse de dire avec quel argent il fait tourner le plus vieux club du pays et on se méfie donc de lui. A-t-il nommé Bico parce que c’est celui-ci qui lui amenait des fonds ? Ou parce que Bico est proche de Mogi Bayat ? Cela fait en tout cas des mois qu’on dit que l’argent de Decuyper vient du monde des agents.

UN DUR

La vérité est simple. Après le limogeage de Frederik Vanderbiest, Decuyper est convaincu que Bico est l’homme qui, à court terme, peut ramener l’Antwerp en D1. L’an dernier, à la tête d’un club modeste comme le White Star, c’est en effet lui qui a privé le matricule 1 du titre. Il a la réputation d’être un motivateur et un dur. Le vestiaire de l’Antwerp, qui n’est pas des plus faciles, avait bien besoin de cela. Decuyper n’a pas tenu compte du passé nébuleux de Bico en tant qu’agent ou dirigeant de club. L’imposant Africain parle fort et n’hésite pas à faire usage de sa force physique. De plus, l’an dernier, la comptabilité du White Star ne ressemblait à rien. Mais Decuyper a préféré se rappeler qu’à l’époque où il était CEO de Zulte Waregem, Bico lui avait rendu service.

Personne ne pouvait donc le faire changer d’avis : Bico était l’homme qu’il lui fallait. Il a demandé l’autorisation de ses investisseurs anonymes et l’a obtenue. Nombreux étaient cependant ceux qui craignaient la réaction des supporters anversois car, l’an dernier, Bico a lâché quelques déclarations sur l’Antwerp qui l’ont rendu assez impopulaire. Il a notamment remis en cause la validité de la licence du club. Decuyper pensait cependant que les supporters étaient versatiles et qu’ils oublieraient rapidement tout ça. Entre l’homme d’affaires flandrien et le public, le courant ne passe pas toujours. On avait déjà pu s’en apercevoir en 2013, lorsqu’il a eu l’intention de faire déménager Zulte Waregem dans la région anversoise. Comme quoi on peut être ingénieur et ne pas être en phase avec la société.

DUO DE RÊVE

Deuxième surprise, le 15 octobre, Decuyper ramène David Gevaert à l’Antwerp. L’an dernier, l’entraîneur n’a pas réussi à ramener le titre au Bosuil alors que son club a pourtant compté une belle avance au classement. Decuyper l’a dès lors démis de ses fonctions en mai, tout en restant convaincu de ses qualités. Il lui a demandé de rester dans un autre rôle, ce que Gevaert a refusé.

Cinq bons mois plus tard, pourtant, il a accepté de revenir. « David sera entraîneur principal, John fera l’équipe et donnera les consignes tactiques », explique Decuyper. Gevaert fait pourtant froncer les sourcils lorsqu’il déclare : « Mon rôle ne sera pas tellement différent de celui que j’avais l’an dernier mais c’est John qui prendra la décision finale. » Difficile d’être plus contradictoire : il était entraîneur principal mais n’avait rien à dire. Manifestement, le plus important pour lui, c’était le titre de T1. Pour le club aussi, car Bico n’a pas les diplômes exigés.

Gevaert connaît aussi la maison. Dans un contexte où le temps pressait, c’était un avantage. Pour remonter en D1A, l’Antwerp devait remporter une des deux périodes. Les mauvais résultats enregistrés sous la direction de Vanderbiest avaient fortement hypothéqué la première tandis que la deuxième débutait cinq semaines plus tard. Mais Gevaert a débarqué dans un vestiaire qui lui attribuait toujours la responsabilité de l’échec de la saison dernière.

Il n’avait donc pas la confiance des joueurs alors que son rôle était justement de veiller à ce que le courant passe entre le groupe et Bico. Cela aussi, Decuyper l’a sous-estimé. Il était certain qu’en confinant Gevaert à une fonction d’entraîneur, tout allait bien se passer. « J’ai un duo de rêve », disait-il.

LA TAILLE PATRON

Au lendemain de leur présentation à la presse, Bico et Gevaert assistent au match à domicile face à OHL. C’est Wim De Decker, encore joueur la saison dernière, qui dirige l’équipe. Pendant le match, déjà, quelques supporters affirment leur mécontentement en criant Bico, buiten. Björn Vleminckx offre finalement la victoire (2-1) à son club. Après le match, De Decker refuse sagement le poste d’adjoint du duo Bico-Gevaert. « Je mets fin à ma carrière d’entraîneur alors que je suis au sommet », rigole-t-il.

La semaine d’entraînement qui suit commence dans la bonne humeur : Bico n’a pas trouvé de training à sa taille et a donc dû aller en chercher un à la boutique des supporters. Mais on ne rigole pas bien longtemps car Bico avertit les joueurs : au moindre faux pas, c’est la porte. Pour lui, la démocratie, ça n’existe pas : il est le patron. Il refuse de travailler avec des cardiofréquencemètres. « A partir de maintenant, c’est moi qui détermine le rythme », dit-il. Quel contraste avec Gevaert ! Les deux hommes ont également des visions totalement divergentes en matière de jeu : Bico veut avant tout des battants.

Le dimanche 23 octobre, le soi-disant duo de rêve dirige son premier match, à Lommel. Vleminckx a offert la victoire à l’Antwerp lors du dernier match mais il est sur le banc et va y rester. Geoffrey Hairemans, Joeri Dequevy et Jannes Vansteenkiste ne sont même pas repris. Peu inspiré, l’Antwerp ne parvient pas à faire mieux qu’un nul (1-1).

DU COQ À L’ÂNE

Avant le match contre Tubize, sur Facebook, un supporter de l’Antwerp lance l’idée de quitter les tribunes à la 80e minute. Un walk out qui ne recueille pas énormément d’adhésion mais Decuyper est sur ses gardes : il se souvient des bagarres qui ont éclaté fin avril, lorsque l’Antwerp a loupé le titre. Il choisit donc de parler à quelques fans en compagnie de Bico.

Entre-temps, la direction découvre que Bico est un homme chaleureux et doté du sens de l’humour, qui n’hésite pas à venir prendre un café de temps en temps. Les joueurs, eux, ne voient que son côté autoritaire et désordonné. Le planning de travail change constamment, parfois même plusieurs fois par jour. Ils reçoivent la sélection par mail et celle-ci est à chaque fois pleine de surprises.

C’est ainsi que Fabien Camus, titulaire à Lommel, n’est pas repris pour le match contre Tubize tandis que Dequevy, Hairemans et Vansteenkiste sont titularisés. Bico est impulsif, il passe sans cesse du coq à l’âne. Par contre, le jeu reste maussade. Mais l’Antwerp bat Tubize (2-0) et le walk out obtient peu de succès.

La troisième semaine, un premier incident avec le manager sportif éclate : Stallone Limbombe, un joueur parfois irritant, est impliqué dans une discussion avec Bico. Celui-ci réplique par une gifle.

Avant le match à Roulers, c’est Gevaert qui est chargé d’expliquer les frasques de Bico aux journalistes. Il ne s’en sort pas mieux que l’équipe sur le terrain du Schiervelde, où elle s’incline 2-1, permettant ainsi à Roulers de remporter la première phase.

Bico effectue trois remplacements mais laisse Jordan Remacle sur le banc. Selon Bico, celui-ci aurait réagi de façon cynique. Remacle, qui fait pourtant partie du portefeuille de Mogi Bayat, ne réapparaîtra plus à l’entraînement.

EXIT GEVAERT

Le temps presse. Le dimanche 13 novembre, la deuxième phase débute, tous les compteurs sont remis à zéro. Si l’Antwerp remporte cette deuxième phase, il pourra affronter Roulers pour le titre. Rien n’est donc perdu. A ce moment, l’Antwerp annonce que deux entraîneurs vont venir renforcer le staff. Sadio Demba a déjà travaillé avec Bico au White Star la saison dernière tandis que Jeffrey Rentmeister a lui aussi évolué pendant quelques mois au club bruxellois en 2015.

Le communiqué précise que Bico dirigera désormais la structure. « Il n’interviendra plus pendant l’entraînement et il suivra les matches de la tribune. » Le club tente ainsi de démontrer que Bico, qui n’est pas diplômé, n’est pas l’entraîneur principal, car cela peut jouer un rôle dans l’attribution de la licence. Mais en pratique, rien ne change.

Lassé de devoir faire tout ce que Bico lui impose et d’encore devoir supporter deux de ses sbires, Gevaert démissionne. Le centre sportif Sportoase, partenaire commercial du club, prend également ses distances. « Le club manque de clarté », disent ses responsables.

ENTRAÎNEUR POUR CINQ JOURS

A la veille du match contre le Cercle, Bico remonte sur le terrain d’entraînement. Le même jour, une équipe de la chaîne de télévision ATV l’aperçoit, téléphone à l’oreille, en tribune à l’occasion du match opposant le White Star au Beerschot-Wilrijk. Personne ne peut ou ne veut cependant expliquer quel est encore son rôle au sein du club bruxellois.

Au repos, le cameraman d’ATV se place dans le couloir des vestiaires et filme Demba, le nouvel « entraîneur » de l’Antwerp, en train de sortir du vestiaire du White Star. Des images que les supporters de l’Antwerp n’apprécient pas du tout.

Au Bosuil, Decuyper se réunit à nouveau avec quelques supporters. Lors du match face au Cercle, les coups de sifflet à l’égard de Bico sont bien plus stridents que lors des semaines précédentes. Cette fois, le walk out est largement suivi. Le score reste vierge et on échappe de peu à l’envahissement de terrain tandis que quelques fortes têtes tentent d’entrer dans le vestiaire. Même dans la tribune d’honneur, on lance des reproches à Bico.

Le lendemain, l’Antwerp signale qu’il met un terme à sa collaboration avec Bico. Demba et Rentmeister s’en vont également. Ils ont tenu cinq jours. « J’avais sous-estimé la controverse suscitée par l’engagement de Bico », dit Decuyper en conférence de presse. « Je suis bien conscient d’avoir nui à l’image du club. »

Après cette erreur d’appréciation, les fans de l’Antwerp espèrent que le CEO ne s’est pas trompé sur le compte des mystérieux investisseurs, qui ont approuvé la collaboration avec Bico. « Ce sont des investisseurs corrects, des Flamands qui veulent le bien du club », répète Decuyper. « Et ils n’arrêteront pas d’investir si nous montons en D1, au contraire. » Une montée permettrait donc d’engager des joueurs encore meilleurs. C’est peut-être ça qui ne motive pas ceux qui sont là actuellement à se donner à fond.

PAR KRISTOF DE RYCK – PHOTOS BELGAIMAGE

« Je suis bien conscient d’avoir nui à l’image du club » PATRICK DECUYPER

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