ENTRE SIFFLETS & SIFFLEMENTS

Israël est le premier adversaire des Diables Rouges sur la route de l’Euro 2016. Depuis le conflit dans la bande de Gaza, l’organisation de grands événements a été interdite dans ce pays. Pourtant, le football y reprendra ses droits la semaine prochaine.  » A chaque alerte, la vie s’arrête pendant deux minutes. Puis tout reprend son cours.  »

Les images de guerre venues d’Ukraine, d’Irak, d’Israël ou de Syrie ne rendent pas la lecture des journaux très agréable. Il faut toujours être prudent avec les chiffres mais depuis la reprise du conflit entre le Hamas (mouvement de libération de la Palestine) et les autorités israéliennes, on fait état de 1.900 morts palestiniens et 70 israéliens dans la bande de Gaza. La plupart sont des civils, des enfants qui jouaient au foot sur la plage, des écoliers ou des malades victimes d’attentats sur des écoles et des hôpitaux, voire des adolescents rebelles tués à la frontière.

Outre les problèmes humains, cette situation néfaste entraîne également des problèmes d’organisation. C’est le cas en football puisque l’UEFA a déjà sanctionné l’Ukraine et Israël en interdisant le football dans certaines villes ou en obligeant les clubs à disputer leurs rencontres de Coupe d’Europe dans d’autres pays. Les équipes israéliennes ont ainsi bien souvent trouvé refuge à Chypre, une île voisine.

L’organisation de la Toto Cup – équivalent de la Coupe de Ligue, qui précède chaque année le début du championnat, a été reportée à deux reprises avant que le premier tour n’ait lieu les 12 et 13 août, pendant un cessez-le-feu officiel dans la bande de Gaza. Les clubs israéliens pensent donc que le championnat, la Ligat ha’Al, pourra débuter le 23 août comme prévu.

Des alertes à la bombe pendant l’entraînement

Hapoel Be’er Sheva, vice-champion 2014, dispute ses matches à domicile dans le désert du Negev, à 50 km de la bande de Gaza. On y retrouve plusieurs joueurs ayant évolué en Belgique : Elyaniv Barda (ex-Genk), Dor Malul (ex-Beerschot), Maor Buzaglo (ex-Standard) et Shlomi Arbeitman (ex-Gantoise, Mons et Westerlo). La saison dernière, David Hubert et Glynor Plet y jouaient également.

Après quatre ans chez nous, Shlomi Arbeitman et sa famille ont retrouvé leur pays dans des circonstances terribles. Au cours des derniers mois, il ne s’est pas passé un jour sans que la sirène annonçant un bombardement ne retentisse. Heureusement, à Be’er Sheva comme dans le reste du pays, il y a l’Iron Dome, un système de défense qui détruit les missiles avant qu’ils ne soient dangereux. On ne dénombre donc pas beaucoup de victimes dans les villes mais mentalement, ça use, comme en témoigne Sivan, l’épouse d’Arbeitman, enceinte de sept mois.

 » « Ce système de défense n’est pas fiable à 100 % : il ne contre que 80 % des attaques. La sirène retentit chaque jour. Voici peu, il était deux heures du matin. Quand c’est le cas, nous avons une minute pour nous rendre à l’abri – chaque bâtiment en possède un. C’est malheureux à dire mais on finit par s’y faire. Ce n’est pas la première fois que la population vit cela. La plupart des gens d’ici ont grandi sous la menace du terrorisme. Je dois cependant dire qu’après quatre années tranquilles en Belgique, nous devons nous y réhabituer.  »

Pendant les entraînements aussi, il arrive régulièrement que les joueurs de Be’er Sheva doivent se rendre dans le bunker. Selon Arbeitman, cela dure quelques minutes puis la séance reprend.  » Dans le vestiaire, il nous arrive de parler de cette situation mais nous essayons de rester concentrés sur le football. De toute façon, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Sivan et moi avons un peu attendu avant de chercher un appartement en ville. Jusqu’ici, nous avons logé chez ses parents, au bord de la Méditerranée. J’en ai pour une heure chaque matin. Le plus embêtant, pour les joueurs, c’est que nous disputons moins de matches et que nous ne parvenons donc pas à entrer dans le rythme.  »

Matches préliminaires à Chypre

Autre inconvénient : fin juillet, Be’er Sheva a dû disputer ses matches de tour préliminaire de l’Europa League à Larnaca (Chypre). Il a ainsi été rapidement éliminé par Hajduk Split (2-1 et 0-0).  » Au lieu d’être soutenus par 10.000 supporters, nous ne pouvions compter que sur l’appui de quelques centaines de personnes. Ce n’est pas pareil…  »

Allon Sinai, chef de la rubrique sportive du Jerusalem Post, va même plus loin. Selon lui, le conflit dans la bande de Gaza a une influence directe sur les résultats des clubs israéliens.  » Aucun d’entre eux, à part le Maccabi Tel-Aviv, n’a réussi à franchir les tours préliminaires : il y avait longtemps que cela n’était plus arrivé. Le fait de devoir jouer dans des stades presque vides à Chypre au lieu d’évoluer à domicile ne les favorise pas. De plus, cela a un impact sur les recettes, les joueurs étrangers hésitent à signer ici…

Mais évidemment, nous comprenons la décision de l’UEFA : il est difficile d’organiser un match international si l’alerte à la bombe retentit cinq fois pendant la rencontre. Mais tout cela est relatif : à Jérusalem, par exemple, c’est très calme. Lorsque la sirène retentit, tout le monde se rend aux abris pendant deux minutes puis la vie reprend son cours.  »

Sinai adresse tout de même un reproche aux fédérations internationales.  » Ce que je ne comprends pas, c’est qu’elles prennent des mesures si longtemps à l’avance. Pourquoi déplacer dès maintenant des rencontres prévues en septembre, comme le match de football contre la Belgique ou la rencontre de Coupe Davis. D’ici là, il est possible que la situation à Gaza soit tout à fait régularisée.  »

Autre corrélation entre le conflit armé dans la bande de Gaza et le football israélien : la radicalisation dans les stades. La Ligat ha’Al n’avait pourtant pas besoin de cela, elle qui n’a déjà pas très bonne réputation en matière de tolérance et de lutte contre le racisme.

Pas le moindre Palestinien en D1

On ne retrouve d’ailleurs pas le moindre joueur palestinien en D1 et les musulmans – ils représentent 20 % de la population et les Juifs les appellent souvent les Arabes – sont rares également. Ce n’est guère étonnant quand on sait que, très souvent, ils sont sifflés par leurs propres supporters.

Le Beitar Jérusalem, surtout, a très mauvaise réputation en la matière. En 2013, alors que, pour la première fois de son histoire, le club venait d’engager deux musulmans, ses supporters ont déroulé une banderole disant : « Le Beitar sera toujours pur ». Mais le Maccabi Tel Aviv, club plus connu sur la scène internationale, s’est également fait remarquer début août lorsque le médian israélo-arabe Maharan Radi s’est fait insulter et agresser physiquement par ses propres supporters pendant un entraînement. Mitch Goldhar, président des champions en titre, a cependant immédiatement réagi pour condamner cet acte.

Allon Sinai reconnaît une montée de l’intolérance sur et surtout en dehors des terrains mais n’a pas de solution toute prête.  » Nous savons tous que le Beitar pose des problèmes depuis des années. Ce qui s’est passé au Maccabi Tel Aviv est un cas isolé, le fait d’une minorité : on parle d’une dizaine de supporters. Dans une situation comme celle-ci – celle d’un pays en état de guerre – le facteur émotionnel joue davantage que lorsque tout est normal.

Des gens utilisent le football pour exprimer leur frustration. Je suis convaincu que, dans quelques mois, tout sera fini. La meilleure preuve en est que ce joueur était déjà au Maccabi Tel Aviv la saison dernière et qu’il n’y a pas eu de problème. Alors, pourquoi maintenant ? C’est la preuve qu’il s’agit d’une conséquence de la tension extrême qui règne au sein de la population.  »

Un problème politique

 » Le problème consiste également à savoir comment intervenir. Bien sûr, les clubs condamnent ces actes mais on ne peut pas leur imputer le comportement de certains de leurs supporters. Sur le plan légal, ça ne tient pas la route.  »

Il n’empêche qu’on ne trouve pas le moindre palestinien en D1 israélienne, et vice-versa. Est-ce interdit ou juste impossible ?  » Il y a plusieurs raisons à cela « , dit Sinai.  » La première est sportive : souvent, les joueurs palestiniens n’ont pas le niveau suffisant pour jouer en D1 chez nous. Leurs clubs sont amateurs. J’imagine aussi que, vis-à-vis de leur famille ou de leurs amis, les Palestiniens ne peuvent pas venir jouer en Israël. Et l’inverse est vrai aussi : les présidents de clubs israéliens savent qu’ils doivent être prudents avec de tels transferts car ils pourraient perdre ceux qui les soutiennent avant même de s’en être rendu compte. Ce n’est donc pas évident.  »

Shlomi Arbeitman minimise également :  » Dans notre équipe, il y a trois musulmans et cela ne pose pas de problème. Ce sont de bons amis.  » Siva, son épouse, approuve :  » Ce sont surtout les politiciens qui mettent ce genre de choses en exergue. Tout ce que la population veut, c’est la paix. A Gaza aussi. Les seuls pour qui je n’ai aucune complaisance, ce sont les terroristes. Ce sont des radicaux qui prêchent la mort, comme les djihadistes en Irak.  »

David Hubert a joué à Be’er Sheva de janvier à juin 2014. Il en a profité pour sillonner le pays. Avec sa famille et des amis, il s’est rendu à Tel Aviv, à Jerusalem et à la Mer Morte. Il a appris à apprécier Israël et les Israéliens.  » J’ai noté très peu de tensions et je ne me suis pas senti particulièrement en danger « , dit-il.  » Je n’ai eu peur qu’une seule fois, lors de ma deuxième semaine. La sirène a retenti à dix heures du matin, j’étais tout seul dans mon appartement et je ne savais pas quoi faire. Après coup, il est apparu qu’il ne s’agissait que d’un exercice mais on avait oublié de me prévenir.  »

Une image tronquée

 » Dans le vestiaire, je pouvais interroger ouvertement mes équipiers quant au conflit : ce n’était pas un sujet tabou. Bien sûr, chacun avait sa vérité. Les Israéliens évoquaient souvent le droit de se défendre. Selon eux, ils ne réagissaient qu’aux attaques du Hamas. Les Palestiniens, eux, se sentaient prisonniers et désavantagés… C’est une situation très complexe et il n’y a pas de solution toute prête. C’est cela qui irrite le plus la population. La plupart des gens, y compris les footballeurs, ont l’impression que tout se joue au-dessus de leur tête. C’est de la politique.  »

 » Ce qui est vrai, c’est qu’en Israël, la religion a bien plus d’impact sur la vie quotidienne qu’en Belgique. Il est ainsi interdit de faire des efforts physiques du vendredi midi au samedi midi, ce qui fait qu’on ne joue jamais au football pendant cette période. C’est le shabbat, on mange et on fait la fête toute la soirée. C’est un événement très chaleureux : en cinq mois, je n’ai jamais mangé un vendredi soir chez moi. J’étais invité partout : chez des voisins, chez des équipiers, chez des supporters…  »

 » L’image que les Belges ont des Juifs est tronquée par ce qu’ils voient dans certains quartiers d’Anvers. Seuls les hassidiques – on les reconnaît à leurs vêtements noirs et à leurs boucles – sont aussi radicaux, les autres sont beaucoup plus ouverts. Je n’ai rencontré des juifs ultra-orthodoxes que dans l’avion m’emmenant vers Tel Aviv car pour le reste, Israël est un pays très occidental.  »

Hubert suit les événements de la bande de Gaza de près et il appelle régulièrement Barda, son ancien équipier.  » Pour le moment, la situation n’est pas simple « , dit Hubert.  » Le sentiment d’insécurité est permanent. Malgré tout, le championnat devrait pouvoir débuter le week-end prochain. J’espère que, cette fois, le cessez-le-feu tiendra.  »

PAR MATTHIAS STOCKMANS – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Quand le pays est en état de guerre, le facteur émotionnel joue davantage que lorsque tout est calme. Des gens utilisent alors le football pour exprimer leur frustration.  » Allon Sinai, chef des sports au Jerusalem Post.

 » Dans le vestiaire, je pouvais interroger mes équipiers ouvertement sur le conflit. Ce n’était pas du tout un sujet tabou.  » David Hubert

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