Entre sacre et ambulance

Il y a 20 ans, le Danemark remporte le titre sans un de ses artisans dont le genou explose en demi-finales.

Ce 22 juin 1992 : Henrik Andersen s’en souvient avec un brin de philosophie et le même sourire qu’autrefois. Ce lundi-là, à Göteborg, le Danemark mène 2-1 à un quart d’heure du coup de sifflet final de la rencontre de demi-finales de l’EURO qui l’oppose aux Pays-Bas. Personne ne passe sur la gauche où un bloc de granit est infranchissable. Andersen veille au grain jusqu’au moment où deux genoux se heurtent. Marco van Basten se relève mais, pour Andersen, c’est la douleur, l’horreur, la rotule gauche est brisée, largement déplacée, l’ambulance avant la qualification de son pays pour la finale.

Les images de cet accident font le tour du monde entier. Andersen en parle sans problème mais se souvient aussi de la magnifique aventure d’un Danemark soutenu par des cohortes de supporters, parfois un peu éméchés mais plus sympathiques les uns que les autres.

 » Un élément a tout de suite fait la différence en notre faveur : la fraîcheur « , souligne Andersen.  » Le football a changé mais en Pologne et en Ukraine, comme ce fut le cas en 1992, la plupart des équipes auront un problème de gestion de la fatigue. Les calendriers sont de plus en plus chargés. Même si les méthodes d’entraînement ont été dépoussiérées, il y a un moment où le corps dit -Non. Il ne m’étonnerait pas du tout qu’on assiste à des effondrements spectaculaires, même dans un groupe aussi difficile que celui du Danemark avec les Pays-Bas, l’Allemagne et le Portugal. En été, il fait souvent très chaud en Pologne et en Ukraine. La canicule use encore plus vite les organismes. L’Allemagne mise largement sur l’effectif du Bayern Munich qui s’est multiplié sur tous les tableaux : j’imagine que le scénario de la finale de la Ligue des Champions a laissé des traces. Cristiano Ronaldo sera la star du Portugal mais lui non plus n’arrête pas de jouer. Je m’attends donc à des surprises dans toutes les poules. Le Danemark, en tout cas, ne manque pas d’arguments. Tout cela me rappelle 1992 : il faisait chaud à travers toute la Suède, plongée dans un midsummer de toute beauté et cela a eu un impact sur un EURO pas comme les autres.  »

Le Danemark provoque la stupeur

Il y a 20 ans, la Yougoslavie est emportée par la guerre et les sanctions internationales lui interdisent de prendre part à la phase finale de l’EURO 92. Deuxième du groupe qualificatif du banni, le Danemark est invité de toute urgence à se rendre en Suède. C’est l’effervescence à Copenhague où tout est réglé en une semaine : rappel des joueurs, mini-stage d’entraînement, préparation mentale. Michael Laudrup fait faux bond. La star danoise ne s’entend certes pas très bien avec le sévère sélectionneur, Richard Moller Nielsen mais en réalité elle est fatiguée et ne croit pas que son pays puisse se distinguer sur les terrains suédois. Laudrup se trompe lourdement. Le Danemark termine deuxième de son groupe et obtient son billet pour se mesurer aux Pays-Bas en demi-finales.

 » C’est la stupeur car personne ne nous attend à ce stade de l’épreuve « , avance Andersen.  » Tout le monde a pris le Danemark à la légère, or il n’est jamais aussi fort que dans un rôle de challenger. Il peut alors s’appuyer sur sa bonne organisation et ses contres. Cet esprit positif nous permet d’arracher un nul contre l’Angleterre (0-0) et de battre la France (2-1). Pour nous, c’est clair à l’époque : il se passe quelque chose. « 

En demi-finales, le Danemark ennuie les Pays-Bas dans un match doublement important pour Andersen. A 27 ans, il est sur le point de signer pour la Sampdoria Gênes dont les émissaires se trouvent dans la tribune. Après deux saisons à Cologne, qui l’a acheté pour près de deux millions d’euros à Anderlecht, un passage en Italie constituerait un couronnement. Les émissaires génois se frottent les mains dans la tribune de Göteborg : le roc danois domine tous ceux qui se présentent dans sa zone : Van Basten, Frank Rijkaard, Ruud Gullit… Puis, c’est la catastrophe.

 » J’explique tout cela par la maladresse « , lance Andersen.  » Van Basten a poussé le ballon un peu trop loin et tout s’est déroulé en une fraction de seconde. J’ai voulu profiter de sa petite erreur technique et il a tenté de récupérer le cuir. Nos genoux se sont heurtés : le sien était plié, le mien pas. Le coup a été plus sévère pour moi que pour lui. Vingt ans plus tard, je ne lui en veux toujours pas. C’est le football et ce genre d’accident est rarissime. Je n’ai plus jamais vu de telles images. Avec le recul, je peux même dire qu’on se remet plus facilement d’une fracture de la rotule que d’une déchirure des ligaments croisés du genou… « 

Après l’EURO, c’est la galère

Mais l’accident de Göteborg a quand même constitué le début d’une longue période de malchance pour un Andersen qui revient à Cologne. La Sampdoria ne se manifeste plus. Cologne le paie un temps avant que son salaire (sans les primes) soit pris en charge par les assurances et mutuelles. Le manque à gagner est important : 100.000 euros au total, ce qui est important à l’époque.

 » La fédération danoise n’a pas fait grand-chose pour moi « , explique-t-il.  » Les fédés gagnent des fortunes lors de tels tournois. J’ai tout donné pour mon équipe nationale mais elle n’a rien fait pour moi. Elle aurait pu prendre en charge une partie de ce que je perdais sur le plan financier. Je me suis retrouvé assez seul face à mes problèmes : en 2012, heureusement, les joueurs sont mieux protégés. Mon cas a plus que probablement lancé tout un processus de réflexion à l’UEFA et au sein des fédérations. Et puis, d’autres joueurs blessés, dont Majid Oulmers, ex Charleroi, ont fait avancer ce débat.  »

Le 25 juin 1992, Andersen n’assiste pas à la finale que le Danemark gagne 2-0 contre l’Allemagne, un des plus grands exploits de l’histoire du sport danois. C’est en ambulance qu’on le transporte à l’Hôtel de Ville de Copenhague où tout un peuple est en liesse. Andersen en a encore la chair de poule. Puis, c’est le temps de la rééducation :  » J’ai retrouvé la compétition après 11 mois de sueur. Mon genou gauche ? Plus de problème mais il est quand même énorme : c’est probablement dû à la calcification d’une rotule brisée en plusieurs morceaux. En 1993-1994, j’étais apte au service. A ma deuxième sortie, sur le terrain de Bochum, mon pied droit est resté accroché à la pelouse. On m’a relevé avec les ligaments croisés du genou en compote. Là, j’ai pris un coup au moral. Tout était à refaire. En 1994, Morten Olsen -coach à Cologne – me demande de rejouer : je l’ai fait même si je n’étais rétabli qu’à 50 %. J’ai misé sur mon métier mais j’ai quand même forcé et cela a eu un prix : l’ablation d’un ménisque. Une opération banale dont les dégâts révèlent leur ampleur plus tard. Un genou sans ménisque, c’est comme une voiture qui roule sans pneus…  »

Marre du métier d’agent de joueurs

En 1997, après une nouvelle blessure à la cheville, Andersen décide d’en rester là. Il ne peut même pas aider Cologne qui chute en D2 pour la première fois de son histoire. Il se tourne alors vers le métier d’agent de joueurs.

 » Ce job est devenu de plus en plus difficile. Le football, c’est toute ma vie et je ne me voyais pas travailler dans un autre milieu. Des joueurs débarquent désormais du monde entier et la concurrence est aussi abondante que sévère. Je ne me sentais plus à l’aise dans cette activité et, il y a un peu plus d’un an, je me suis réorienté. J’ai été engagé à temps plein au sein de la cellule scouting de Schalke 04 où j’ai notamment connu et apprécié le coach Ralf Rangnick dont le nom a circulé à Anderlecht. C’est un très bon coach, intelligent, exigeant, moderne, très proche de ses joueurs. Cette rumeur m’a un peu étonné. Rangnik a le niveau d’un club du top européen, ce qu’Anderlecht, le club qui me tient le plus à c£ur, je regrette de le dire, n’est hélas plus pour le moment…

Mes missions me conduisent dans le monde entier. Il y a deux mois, je me suis retrouvé au Japon où j’ai vécu un tremblement de terre durant un match disputé dans le stade construit pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. C’était impressionnant ! »

Ses vues sur le Danemark de 2012

Le Danemark est-il aussi fort qu’en 1992 ?  » Je ne pense pas mais cela n’enlève rien à ses arguments « , répond Andersen.

 » Il me semble que notre équipe nationale était plus solidaire en 1992. Actuellement, certains doivent être caressés dans le sens du poil, d’autres secoués. Le Danemark peut facilement appliquer plusieurs systèmes de jeu en fonction des problèmes à résoudre. Je prévois quand même une équipe généralement structurée en 4-2-3-1. Cela signifie que le Danemark cherchera à livrer bataille dans le milieu du jeu. Dans sa poule, ses trois adversaires, que ce soit l’Allemagne, la Hollande ou le Portugal, adorent monopoliser le ballon. S’il le faut, le Danemark se contentera de 30 à 40 % de possession et Olsen croisera les doigts pour que son équipe ouvre la marque. Les possibilités de lancer des contres seront alors encore plus nombreuses. Le Danemark s’en sortira par son organisation et son humilité. Je suis persuadé que ses adversaires ne s’en méfieront pas assez. A ce niveau-là, il faut y croire, jouer sans se poser de questions. « 

Andersen estime que le coach danois a réussi à unir différentes générations. Tout le monde souligne les qualités du jeune Christian Eriksen de l’Ajax Amsterdam.

 » Et c’est à juste titre. Il fera parler de lui mais ce ne sera pas le seul. Eriksen sera un organisateur, une rampe de lancement. Je suis certain que Nicklas Bendtner causera de gros dégâts en pointe. Il a retrouvé toutes ses sensations de buteur à Sunderland. Eriksen pourra compter sur l’aide de milieux de terrain bosseurs qui ont l’art de s’infiltrer, de soutenir Bendtner et de percuter comme Dennis Rommedahl de Brondby et Thomas Kahlenberg d’Evian Thonon-Gaillard. Devant la défense, il y a deux essuie-glaces qui connaissent leur métier : Christian Poulsen (Evian) et William Kvist de Stuttgart. Je suis persuadé qu’Olsen peut réussir un bel Euro 2012. Morten est un fin tacticien qui place toujours remarquablement ses joueurs. Le Danemark n’est pas facilement déstabilisé.  »

PAR PIERRE BILIC

 » Je n’en veux toujours pas à Marco van Basten… « 

 » S’il le faut, le Danemark se contentera de 30 à 40 % de possession de ballon. « 

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