Entre rouche clair et rouche foncé

On essaie d’y voir clair entre chaos israélien, chansons de Roland, petits arrangements entre amis, révolte de la base, revival by Vukomanovic,…

Ivan Vukomanovic, sweat rouge pétant griffé Standard, est installé à côté d’un Besnik Hasi en costard marqué Anderlecht. Vuko vit son jour de gloire après le 0-2 sec sur le gazon de l’ennemi mais ne le montre même pas, il fixe la table plutôt que les gens. Il triture machinalement une serviette en papier, avale deux grands verres d’eau et donne son debriefing du match. Son Standard a donc signé la perf du week-end, et lui, il a gagné de manière insolente son jeu des différences avec Guy Luzon.

Pêle-mêle, Vukomanovic reste calme sur son banc quand Luzon s’excite à tout moment comme un perdreau qui a pris une décharge. Le nouveau maîtrise très bien le français et le néerlandais où l’ancien n’a jamais fait l’effort de prononcer ne fût-ce qu’un mot dans nos langues. Le Serbe a un jeu organisé et reconnaissable alors que l’Israélien n’a pas arrêté de chercher la bonne formule depuis l’été.

Le Standard version Vukomanovic n’a pas encaissé contre Séville et Anderlecht tandis que les Rouches version Luzon étaient la passoire du foot belge. Paul-José Mpoku signale encore que le coach intérimaire donne des anecdotes foot aux joueurs parce qu’il a fait une vraie carrière sur les pelouses, ce qui n’était pas le cas de l’entraîneur viré.

Et donc, il y a ce succès inattendu, à la limite surréaliste à Bruxelles. Pas le succès de l’élégance mais ça chagrine très peu Vukomanovic :  » On savait qu’on avait en face de nous l’équipe la plus forte de Belgique. Il fallait se dire la vérité, se serrer les coudes. On s’est bien dit toutes les vérités dans le vestiaire dès que j’ai repris l’équipe. On n’allait pas venir ici pour faire du beau jeu. Il fallait fermer, arrêter les adversaires qui allaient essayer de s’infiltrer, tenter de faire mal sur des contre-attaques.  »

Reçu 5 sur 5 et un Standard sorti des soins intensifs. Guéri ? Le pronostic reste réservé. Tous les soucis ne sont évidemment pas évacués en plaçant un nouveau T1 sur le banc. Retour sur une semaine agitée, analyse de la situation et perspectives.

Guy Luzon condamné dès l’été ?

Avant l’ouverture du championnat, un proche de la famille Ferrera nous confie :  » Guy Luzon ne fera pas toute la saison. Soit il devra partir à cause des mauvais résultats, soit les résultats seront bons et il prendra alors de la valeur marchande, ce qui permettra au Standard de faire une bonne affaire en le laissant signer ailleurs.  » Le même homme nous dit à l’époque :  » Quand il faudra le remplacer, Yannick Ferrera sera une piste sérieuse.  »

On y repense juste après la grosse défaite récente à Bruges. Attendant que la conférence de presse des coaches commence, Guy Luzon et son adjoint / interprète David Martane parlent à voix basse, un peu en se cachant la bouche comme c’est la mode pour beaucoup de footballeurs, pour éviter qu’on essaie de lire sur leurs lèvres. Et à ce moment-là, on a l’impression qu’ils se demandent s’ils ne viennent pas de passer leur dernier match sur le banc du Standard.

Erreur, pressentiment à côté de la plaque : Luzon devra encore patienter un match pour se faire dégommer. Son très bref discours aux joueurs le lendemain de l’affront contre Zulte Waregem :  » En raison des résultats, je ne suis plus votre coach.  »

 » C’était clair pour moi que Luzon ne passerait pas novembre « , nous dit aujourd’hui un ancien de la maison, Benjamin Nicaise.  » La fin de son aventure s’est écrite pendant les play-offs. Tu rates le titre après avoir été en tête pendant toute la saison, c’est déjà grave. Tu laisses le trophée à l’ennemi mauve, c’est encore pire. Les supporters ne voulaient pas de lui à son arrivée puis ne l’avaient laissé tranquille pendant la saison passée que parce que les résultats étaient là. Mais au début de ce championnat, ils se sont souvenus qu’il n’avait jamais été le bienvenu. Et en plus de tout cela, il y a les effets de la perte du titre sur le noyau.

Si le Standard avait été champion, il n’y aurait pas eu autant de départs de joueurs importants. Et la direction aurait fait venir des bons renforts parce que les moyens financiers auraient été disponibles. Le stade serait aussi resté derrière le coach : quand tu rapportes le titre au Standard, c’est évidemment un gros plus. Bref, il aurait gagné six mois de crédit. Au lieu de cela, en ratant les play-offs, il a perdu le respect de tout le monde : les joueurs et les supporters. CQFD, il était en sursis dès l’été.  »

Transferts : Trebel, Teixeira et les autres

Adrien Trebel est fiable, Jorge Teixeira a montré du bon et du mauvais, Ricardo Faty et Jeff Louis aussi. Pour les autres transferts de l’été, le premier bilan est mièvre : Martin Milec, Darwin Andrade, Damien Dussaut, Eyong Enoh, JonathanViera, Vinicius Araujo, Tony Watt. Confronté à la question des premières conclusions sur le plateau de La Tribune après Standard – Zulte Waregem, Philippe Albert a fait du Philippe Albert ! Il a visé les  » Frouzes « , pas le terme le plus élogieux pour définir les Français. Et il a signalé, en citant trois noms, que s’il était entraîneur, ils ne seraient même pas alignés en Réserve.

Le Standard a-t-il définitivement loupé son recrutement ? Le club a-t-il mal ou trop peu dépensé l’argent encaissé sur les ventes de Michy Batshuayi, Imoh Ezekiel, WilliamVainqueur, Ibrahima Cissé et les autres ? Guy Vandersmissen, agent et ex-Rouche, tempère :  » Si tu encaisses 10 millions et que tu en dépenses autant, tu gères mal ton club. Je ne dis pas que Roland Duchâtelet devait réinvestir l’intégralité de ce qu’il a touché pendant l’été. La situation aurait été complètement différente si le Standard avait participé à la Ligue des Champions.

Anderlecht a fait une exception en transférant un joueur cher comme StevenDefour, la Ligue des Champions y est évidemment pour quelque chose. La logique, pour le Standard, était de consacrer quelques millions aux transferts, sans engloutir toute la recette de ses bonnes ventes. Mais je suis persuadé qu’il est possible de bien se renforcer pour le championnat de Belgique en dépensant deux ou trois millions.  »

 » Depuis que je travaille comme directeur technique adjoint à Malines, je comprends mieux à quel point c’est difficile de trouver des bons joueurs « , pointe un autre ancien de Sclessin, Olivier Renard.  » Avoir une grosse enveloppe n’est même pas une garantie de succès. On a fait venir neuf nouveaux joueurs à Malines en ne déboursant que pour Ibrahima Cissé. Roland Duchâtelet avait plus d’argent, on peut donc dire que c’était plus simple pour lui que pour nous, mais je n’en suis pas sûr parce que les ambitions sont aussi différentes.

Quand tu es à Anderlecht, à Genk, à Bruges ou au Standard, tu as la pression de ne pas pouvoir te louper parce que le top 4 est une obligation. Le Standard a choisi un cap en recrutant pas mal de jeunes, comme Genk. Dans un an, on dira peut-être que c’était un bon choix. Je me souviens des commentaires au moment de l’arrivée de William Vainqueur : -Encore un joueur de Ligue 2. Et quand il est parti en Russie, c’était la cata. Il n’y a pas que du mauvais dans les joueurs arrivés pendant l’été. Adrien Trebel, par exemple, c’est tout bon.  »

Où sont les leaders ?

Benjamin Nicaise confirme que  » certains sont plus courts que d’autres, c’est clair. Mais il y a un potentiel évident. Un de leurs problèmes est qu’ils doivent débuter dans une atmosphère particulière, à une période où le Standard ne tourne pas. Si tous ces gars-là avaient débarqué il y a un an, ils seraient à un autre niveau aujourd’hui. Milec, Faty, Trebel, c’est très bien, on ne peut sûrement pas dire que ce sont des transferts ratés. Mais c’est toujours la même chose : ce sont les anciens qui doivent montrer la voie. Et pour le moment, qui a un vrai impact dans cette équipe ? On en revient à l’éternelle question des leaders, sur le terrain et dans le vestiaire. Est-ce qu’il y en a encore dans l’équipe actuelle ? J’ai plutôt l’impression que certains leaders supposés se cachent.  »

Le Standard a quand même Jelle Van Damme et Laurent Ciman !  » Un de ces deux-là n’est pas un leader « , corrige Nicaise sans vouloir en dire plus… Il ajoute que  » ça restera compliqué aussi longtemps que chacun cherchera à tirer son épingle du jeu. Ce n’est pas parce que tu fais un bon match de temps en temps que tu es au service de l’équipe. Briller pour briller, ça ne rapporte rien.  » Et le Français conclut que  » la crise peut durer longtemps si les patrons ne reprennent pas leurs responsabilités. Mais il y a du talent, c’est évident. La confiance se perd, pas les qualités. Par exemple, Ciman est allé à la Coupe du Monde. On sait ce que valent Geoffrey Mujangi-Bia et Paul-José Mpoku. Trebel, on commence déjà à le connaître. Et pour la place de gardien, tu as une concurrence entre un international japonais et un gars qui a montré son niveau en Ligue 1. Ce qu’il faut maintenant, c’est un entraîneur qui arrive à mettre toutes ces qualités dans le même sens.  »

Pierre François puis Jean-François de Sart virés, ça fait autant d’hommes qui avaient un carnet d’adresses. Depuis fin juin, Roland Duchâtelet est le seul responsable des transferts.  » S’il peut vraiment compter sur une cellule de scouting et un responsable du recrutement qui travaille pour tous ses clubs et rassemble toutes les bonnes infos, ça peut marcher quand même « , estime Vandersmissen.  » Maintenant, ce qu’on appelle la galaxie Duchâtelet, c’est quand même parfois spécial pour certains joueurs. Tu signes au Standard puis on te propose directement de te parquer à Alcorcon, par exemple. Si je signe un contrat au Standard, je risque d’être intéressé aussi par la D2 anglaise mais sûrement pas par la D2 espagnole ou la D4 allemande avec Iena. Qui a envie d’aller se cacher là-bas ?  »

Pas de DT et un agent privilégié : les limites du système

Jean-François de Sart, qui reste toujours mesuré dans ses propos vu qu’il a deux fils au club, est quand même un peu sorti du bois récemment. Il a confié qu’il avait reçu un  » oui direct, franc et spontané  » en mars dernier, quand il a commencé à négocier une prolongation de son contrat de directeur technique avec le président. Au bout du compte, ils n’ont  » pas pu trouver d’accord sur certaines clauses  » et Roland Duchâtelet lui a fait savoir, par mail, qu’il préférait en rester là.  » Par mail… C’est cela qui me chagrine le plus « , avoue JF.

La semaine dernière, Duchâtelet a contacté l’agent d’AleksandarJankovic, le coach serbe de Malines – qualifié de  » seigneur  » dans le magazine d’Anderlecht distribué ce week-end aux supporters… Jankovic a directement fait savoir qu’il n’était pas intéressé par un déménagement vers Liège. Le Standard aurait inclus Olivier Renard dans le deal pour l’installer dans le fauteuil de DT.

 » Je n’ai eu aucun contact mais pour moi aussi, c’est hors de question « , nous signale Renard.  » Je viens de commencer dans mes fonctions à Malines, la collaboration avec Jankovic et Fi Van Hoof est excellente et je sais que j’ai encore plein de choses à apprendre. Je suis comme le bébé qui apprend à marcher en se tenant aux murs. Si j’essaie de courir, je vais sans doute me planter.  »

Dudu Dahan : l’autre patron du Standard, l’agent de confiance de Roland Duchâtelet. Après les flops Maor Buzaglo, Dudu Biton et Tal Ben-Haim, Guy Luzon est le quatrième Israélien de son écurie à s’être planté chez nous. Un agent interdit d’affaires au Standard nous dit que  » Roland Duchâtelet ne fait confiance à personne ou presque mais il écoute tous les conseils de gars qui n’arrêtent pas de l’entuber. Et personne ne sait ce qu’il veut sur le long terme. Le sait-il seulement lui-même ? « .

Un autre affirme qu’il y a  » des agents prêts à amener n’importe quoi dès qu’on leur lance quelques cacahuètes.  » Discours de vengeance ? Une chose est sûre en tout cas : la collaboration active avec Dahan (présent dimanche au Parc Astrid) ne mérite pas une grande dis’ jusqu’à présent. Pendant ce temps, le patron se prive volontairement des services de plusieurs managers qui pourraient éventuellement avoir dans leur portefeuille l’un ou l’autre joueur susceptible d’aider le Standard : Christophe Henrotay, Didier Frenay, Mogi Bayat, Kismet Eris,…  » J’ai proposé pas mal de joueurs ces dernières années, on m’a chaque fois répondu qu’ils n’étaient pas intéressants pour le Standard « , dit Guy Vandersmissen.

Nouveau coach : la presse place ses pions

Il y a – aussi – l’actuelle réalité financière du club. La masse salariale est colossale (toujours les suites de quelques revalorisations importantes à un moment où plusieurs cadres voulaient s’en aller), le nombre de joueurs sous contrat pro est sans égal en Belgique et ça conduit inévitablement à des pertes d’exploitation : 4 millions en 2011-2012, 9 millions en 2012-2013, et 12,7 millions la saison dernière. Problème supplémentaire, Roland Duchâtelet a vendu cet été une bonne partie de ses bijoux de famille, de ses joueurs qui pouvaient lui rapporter beaucoup d’argent (Batshuayi, Vainqueur).

Et dans le noyau d’aujourd’hui, il y a peu de joueurs suffisamment bankable pour combler les trous. Cela explique aussi le peu d’argent dépensé durant l’été pour le recrutement. Enfin bon, tout n’est pas noir pour le président : une de ses entreprises de haute technologie (Melexis, qui fabrique par exemple des composants pour voitures) vient de signer un bénéfice record. Ça console, on suppose !

Dans les jours qui ont suivi le C4 de Guy Luzon, plus de 20 noms ont circulé pour le remplacer. Et les rumeurs étaient assez différentes en Flandre et en Wallonie. Dans de nombreux cas, on a eu l’impression que la presse favorisait prioritairement les candidatures de sa partie du pays et/ou de coaches parlant sa langue. Eric Gerets, Frankie Vercauteren et Luis Fernandez ont été cités partout, et parmi les contacts (souvent  » de source sûre « ), la Flandre misait plutôt sur Mario Been, Francky Dury, Frederik Vanderbiest ou Peter Maes alors que la Wallonie poussait par exemple Guy Hellers, des Français (Raymond Domenech, JeanFernandez, Elie Baup) ou Yannick Ferrera. Avec ce commentaire particulier de Marc Delire qui, sur le plateau de Belgacom en soirée Ligue des Champions, l’a présenté comme  » le futur entraîneur du Standard « .

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » C’était clair que Luzon ne passerait pas novembre.  » Benjamin Nicaise

 » Le public du Standard est un douzième homme, mais le plus fou, c’est que dans certains matches, il est le douzième homme… de l’équipe adverse.  » Guy Vandersmissen

 » Dans un an, on dira peut-être que le Standard a réussi le recrutement de cet été.  » Olivier Renard

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