ENTRE REDS ET BLUES

Dans quel monde baignent nos expatriés aux Iles ? Récit d’un voyage en Angleterre. Première partie : le Nord.

Sunderland. Le match contre WestBrom n’a pas rempli le Stadium of Light. Le football ne va pas mieux que le reste dans cette cité du nord de l’Angleterre, touchée de plein fouet par la crise. Après la défaite 2-4, avec un but et un assist de RomeluLukaku, d’aucuns pensent que le manager Martin O’Neill va jeter l’éponge. D’autant plus qu’il reconnaît, pour la première fois de la saison, que son équipe luttera pour le maintien.

Simon Mignolet, par contre, estime que son équipe est trop bonne pour descendre :  » Nous avons du mal à marquer mais nous ne sommes pas inférieurs à nos rivaux. Nous pouvons terminer dans le top dix, qui constitue notre objectif.  »

Le gardien international habite Newcastle. Les deux villes, séparées d’une vingtaine de kilomètres à peine, sont reliées par la A184 North. La ville, qui compte 250.000 âmes, est vivante et bruyante, surtout le week-end. C’est ici que son amie travaille, comme legal assistant.

Les activités caritatives sont importantes en Angleterre. Chaque club a sa fondation.  » La nôtre s’intéresse aux enfants victimes de troubles de l’apprentissage  » observe l’ex-portier trudonnaire.  » Nous leur avons récemment consacré une soirée. Nous sommes très actifs. Il n’y a que deux équipes dans cette région immense. Il ne faut pas sous-estimer l’importance d’équipes comme Newcastle ou Sunderland pour la communauté. Ce serait une catastrophe pour les habitants si elles étaient rétrogradées. Les gens mettent une semaine à digérer une défaite, ici.  »

Liverpool

Prochaine halte, après une nuit à Newcastle, Liverpool. Avec ses deux clubs séparés par Stanley Park. D’un côté, le Liverpool FC, de l’autre, Everton FC. Entre les deux stades, onze minutes de marche jusqu’à un étang qui sépare le rouge du bleu. Une figure domine le fanshop : Marouane Fellaini, le géant de Goodison.

Stanley Park a été érigé à la fin du 19e siècle pour offrir une bouffée d’oxygène et de verdure aux habitants du nord. Sous le soleil de cet après-midi hivernal, c’est un paradis pour les chiens et leurs maîtres qui profitent de l’accalmie des précipitations qui ont provoqué des inondations dans de nombreuses régions.

Nous nous engouffrons dans un café, en repiquant vers le centre. C’est dimanche, le jour du pub, en Angleterre. On mange, on boit, on se relaxe, on bavarde. Une tradition. Depuis l’arrivée de Sky, c’est aussi l’endroit idéal pour suivre les matches en direct. Vous vous demandez pourquoi les matches ont lieu aussi tôt dans la journée ? À cause de Sky. Il y a bientôt Chelsea-Manchester City mais ici, les gens suivent Swansea-Liverpool. Le Pays de Galles, où Everton compte tant de supporters, contre l’Angleterre, Brendan Rodgers contre son ancien club.

Nous sommes assis à côté d’un géant, couvert de tatouages, le crâne rasé et qui répète f*** à tire-larigot quand son équipe rate une occasion. Il a perdu son travail au port et il travaille de temps en temps dans la construction. Il nous demande si nous savons ce que gagnent ces putains de footeux.  » Et pourtant, certains ne sont même pas heureux.  » Il rappelle l’histoire de Michael Branch. A fucking drugsdealer, assène-t-il. Un Blue, évidemment. Le destin tragique d’un talentueux footballeur, qui a rejoint l’équipe première à 17 ans puis a sombré, sous l’emprise de la cocaïne et a été récemment emprisonné.  » Comme Mike Ward.  » Un autre héros de Goodison, qui a beaucoup gagné et dépensé encore plus à cause de faux amis.

La seconde mi-temps commence, mon voisin me délaisse.  » Life is hard. « Wayne Rooney a également vécu dans la pauvreté, là, à Croxteth, où les gangs surveillent leur territoire, royaume des armes et de la drogue. Le match s’achève sur un nul blanc, les gens quittent le pub car Chelsea-Manchester City est un match de riches et ça ne les intéresse pas.

Manchester

60 kilomètres sur autoroute séparent Liverpool de Manchester. En Angleterre, ces voies rapides s’engouffrent dans les villes. Celle de Liverpool s’achève à quelques kilomètres de la Mersey et des stades. Manchester a un ring, en plus. Pourtant, le lendemain, en tirant les rideaux de notre chambre, nous sommes surpris du peu d’ampleur du trafic. Le ring est bouché mais les Anglais ont résolu le problème des bouchons dans les villes : les gens empruntent les transports publics car le parking est trop cher. Train, bus et métro sont donc très appréciés. Les magasins de cycles se multiplient au centre et les devantures montrent les vélos les plus chics. Bradley Wiggins, Chris Boardman et Mark Cavendish ont fait des émules.

Peu avant quatre heures, nous nous dirigeons vers la banlieue de Sale. La circulation est plus dense à hauteur d’Old Trafford, qui reçoit West Ham dans quelques heures. Mathias Bossaerts habite à Sale, à 1,6 kilomètre du stade. Il n’a que seize ans et il nourrit un rêve : évoluer en Premier League.

La famille belge a déménagé l’année dernière. Elle n’est pas la seule à poursuivre ce rêve. À dix minutes de là vit Andreas Perreira, le fils de Marcos, un ancien footballeur professionnel actif notamment à Saint-Trond. Le fiston a choisi les jeunes de ManU comme point de chute. Mathias et Andreas se sont connus en équipe nationale mais ne se sont pas encore revus ici. Adnan Januzaj, d’origine albanaise, ex-coéquipier de Bossaerts à Anderlecht, a opté lui aussi pour United. Quand ils affrontent Chelsea, ils peuvent croiser un des fils de Charly Musonda. Ils font partie de la même génération, celle qu’apprécie tant Johan Boskamp.

Si Andreas Perreira vit dans une famille d’accueil, les Bossaerts ont suivi leur rejeton. Le père, un homme calme et discret, a pris une interruption de carrière. Leur fils de dix ans, Thomas, fréquente l’école située de l’autre côté de la rue. Il ne s’intéresse pas au football, préférant dessiner. Mathias, lui, a hérité des gènes familiaux. Le père a joué en troisième provinciale à 16 ans et le grand-oncle maternel de Mathias n’est autre que Julien Van Opdorp, un monument du Beerschot.

Saskia :  » Mathias n’a jamais pensé qu’au football, il ne s’est adonné à aucun jeu dépourvu de ballon. Il jouait dans la cour avec son père.  » Elle s’étonne que, lorsqu’il a pu s’entraîner avec Gooreind pour la première fois, il a refusé. Par timidité, sans doute. Un ami est venu le chercher et l’y a conduit, en le tenant par la main. Depuis, il n’a plus quitté le terrain.

Derby

Les voilà donc à Manchester, une décision prise par Mathias. Son parcours : de Gooreind au Beerschot, puis, il y a un an et demi, transfert à Anderlecht. À peine avait-il signé qu’un scout le contactait. Il avait vu Mathias avec les jeunes Diables Rouges en Ecosse et il lui a demandé si un transfert à Manchester City ne l’intéresserait pas. Pour les parents, c’était une décision très difficile.

Saskia :  » Nous avons toujours laissé le choix à Mathias. Une fois, il a failli rejoindre le Standard mais il a refusé au dernier moment et nous sommes restés à la maison.  »

Mathias :  » Je craignais que la mentalité ne me convienne pas. Ce n’était pas un problème linguistique mais je n’avais pas un bon pressentiment.  »

Le père :  » Pour moi, il aurait aussi bien pu rester au Beerschot car la seule chose qui compte à mes yeux, c’est le bonheur de mes fils.  »

Mathias :  » J’ai été enchanté par l’offre de Manchester. La langue ne m’a pas rebuté car je suis des cours d’anglais depuis la première année d’humanités.  »

Le père :  » Nous avons pris notre décision assez rapidement mais nous l’avons tue un moment à Anderlecht, de crainte que Mathias ne puisse plus jouer. Finalement, le club a fini par l’apprendre.  »

Une fois le noeud tranché, tout est allé vite. Saskia :  » Nous formons une famille très soudée. Laisser partir Mathias seul en Angleterre ne nous plaisait pas. J’ai entendu parler d’un jeune qui avait rejoint Liverpool. Finalement, le club a dû faire venir sa mère car il n’en pouvait plus.  »

Le père :  » Certains en sont peut-être capables mais nous avons jugé que c’était mieux de l’accompagner.  »

Que faire durant la journée ? Saskia ne s’ennuie pas :  » Il y a les courses et j’étudie les environs.  » Le père :  » Je m’adonne au sport.  » La famille leur rend régulièrement visite. Ils empruntent alors les transports en commun pour visiter la ville, manger un bout et regarder les matches. Ils ont suivi le derby tous ensemble, des enfants aux grands-parents. Le père :  » C’est un grand stade mais il n’y a pas beaucoup d’ambiance. Quand l’Ajax s’est produit ici, ses supporters n’ont cessé de chanter du début à la fin, mais les supporters de City… Rien. Ils ne chantent que Blue Moon.  »

Mathias :  » Il n’y a pas tellement d’ambiance à Anderlecht non plus.  »

Saskia :  » Nous comparons les clubs au Beerschot mais là, nous étions au milieu du kop qui ne cessait de chanter. Les supporters de l’Ajax présents à Manchester étaient issus du kop qui met de l’ambiance partout.  »

Carrington

Ils ont cherché eux-mêmes leur maison de Sale mais le club les a aidés à la louer. C’est une belle et vaste maison, très lumineuse, avec un jardin. La mère :  » Notre bonheur rejaillit aussi sur Mathias. Si sa famille ne se plaisait pas ici, il ne se sentirait pas bien.  »

Mathias suit des cours d’anglais deux fois par semaine, à raison de deux heures par séance. Le reste de son temps est voué au football. D’école, il n’est plus question. Cela ne tracasse pas sa mère :  » Il doit saisir la chance qu’il reçoit. S’il échoue, il pourra toujours reprendre le cours de sa scolarité.  »

Certes, mais partager les journées de gamins de quinze ans quand on en a 18 ou 19, ce n’est pas évident. Saskia en rit :  » Pas de problème. Tout petit, il disait déjà que ce serait l’école ou le football car la combinaison lui paraissait impossible.  » Mathias enchaîne :  » J’ai essayé de combiner les deux. Je suis passé en techniques lors de mon transfert à Anderlecht mais j’ai toujours eu de bons points. Cependant, c’était difficile à cause des déplacements. Je commençais à étudier dans le bus me menant de l’école à Anderlecht et j’arrivais fatigué à l’entraînement.  »

La mère :  » Il partait tôt le matin et ne rentrait qu’après l’entraînement, vers 21.30 heures. Et le lendemain matin, il partait de nouveau à six heures. Il a vécu une année très dure.  »

Maintenant, le football est roi. Il joue avec les espoirs à différents niveaux : en NextGen, en FA Youth Cup, plus différentes compétitions de coupes. Mathias avoue :  » C’est physiquement dur. Nous courons beaucoup et il y a aussi la musculation. Nous nous entraînons une fois par jour. Ensuite, je me rends à la salle de muscu pour effectuer des exercices de renforcement et de stabilisation. C’est comme en Belgique mais tout est plus professionnel : l’encadrement, l’appareillage. À Anderlecht, nous travaillions sur un tapis mais une fois par semaine, nous pouvions faire de la musculation.  »

Le rêve est devenu réalité : s’entraîner avec l’équipe-fanion. Mathias :  » La réserve s’entraîne dans le même complexe que l’équipe première à Carrington. De temps en temps, je peux m’entraîner avec l’équipe A. Est-ce prématuré ? Quand on vous convoque, vous obtempérez. La première fois, j’ai stressé. J’avais vu ces hommes à la télévision mais je ne savais pas comment défendre contre eux. Roberto Mancini est présent tous les jours.  »

White Kompany

Le père :  » Avec un bonnet à pompon. Il fait froid, ici. Enfin, disons que le temps fraîchit.  »

Saskia :  » Il pleut tout le temps, même en été. Nous avons eu une semaine de beau temps. Une. Nous n’avons pas acheté de sièges de jardin. À quoi bon ? Si nous voulons avoir du soleil, nous allons en vacances en Belgique. Il y fait meilleur.  »

L’encadrement est parfait : tout est filmé et quand Mathias s’est blessé à la cheville, les kinésithérapeutes lui ont montré comment cela s’était produit. Trois ou quatre personnes l’ont encadré pendant la rééducation. Mathias :  » Pendant les matches, il s’agit de travailler dur. J’avais plus de temps morts à Anderlecht. Ici, la pression est constante dès le coup d’envoi. Les attaquants belges sont plutôt statiques en perte de balle. Pas ici. Ils courent dans votre dos.  »

On le surnomme le white Kompany, sans doute à cause de sa nationalité et de sa position, en défense centrale droite.  » Ce surnom est chouette, même si je ne l’entends pas souvent. Vincent Kompany est naturellement mon modèle. Il est un des meilleurs défenseurs du monde. Je le croise tous les jours et il me demande toujours comment je vais. Si j’ai joué, il m’interroge sur le match. Il est très attentionné.  »

La mère :  » Un très chouette gars, modeste, agréable.  »

Le père demande :  » Combien pèse- t-il ?  »

Mathias :  » 97 kilos.  »

Le père :  » Et Richards 98 kilos. Il faut les voir. Ils n’ont pas un gramme de graisse. Kompany n’était pas comme ça avant.  »

Mathias :  » Il faut s’imposer sur le terrain. Je pèse 75 kilos pour 1m84 et on voit la différence.  »

Saskia :  » Selon les normes belges, il était grand.  »

Mathias :  » Mais ici, je ne joue pas avec des joueurs de mon âge et je n’avais encore jamais travaillé systématiquement la force. Je n’ai commencé qu’il y a quatre ou cinq mois.  »

Le père :  » Il a le temps…  » Mathias l’interrompt :  » J’espère continuer à m’entraîner avec les réserves cette saison et peut-être obtenir une séance de plus par semaine avec l’équipe-fanion l’année prochaine mais je reste les pieds sur terre. Je suis déjà heureux d’être ici. Je ne sais pas si c’est la meilleure étape possible. Certains restent au pays, d’autres s’expatrient.  »

Dehors, en route vers notre prochain arrêt, nous repassons devant Old Trafford. Le stade est éclairé. Le théâtre des rêves…

La semaine prochaine : la disparition du football à Birmingham, visite à Southampton et balade à travers Londres, la ville de Hazard, Vermaelen, Vertonghen et Dembélé, avec une question : pourquoi le football londonien n’atteint-il pas un meilleur niveau ?

PAR PETER T’KINT

 » Sunderland est trop bon pour descendre.  » (Simon Mignolet)

L’effigie de Marouane Fellaini domine le fan-shop d’Everton.

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