Entre philosophie et tragédie

La passion est le mot-clef du club populaire de Salonique, qui affronte demain le Club Bruges.

Il est dix heures du soir mais les terrasses de la place Aristote sont encore combles. Du port jusqu’à la statue d’ Alexandre le Grand, aux tours blanches, le symbole de la ville, la promenade le long de la mer s’étend sur deux kilomètres, jalonnée de cafés branchés et de bars. A cette heure tardive, il fait encore plus de vingt degrés. C’est l’été le plus chaud qu’ait connu la Grèce en 150 ans. On fume à presque toutes les tables. Depuis le 1er septembre, il est interdit de fumer à l’intérieur, en Grèce. La mesure fait mal, dans un pays de fumeurs à la chaîne. Quand la fraîcheur retiendra les gens à l’intérieur, la mesure posera problème…

Peu après 10 h 30, quelques centaines de manifestants perturbent la quiétude générale. Vêtus de noir, ils scandent des slogans, rassemblés derrière une énorme banderole, en remontant le boulevard Aristote. La police les surveille discrètement, à quelques centaines de mètres. C’est le noyau dur des supporters du PAOK, qui proteste parce que plus tôt dans la journée, la police a arrêté six d’entre eux. Les supporters d’Aris et du PAOK se donnent régulièrement rendez-vous pour faire le coup de poing. Bienvenue à Salonique, capitale du foot de la Grèce du nord !

Ici, les émotions affluent vite. La frustration à l’encontre des riches clubs athéniens est palpable. Les dissensions internes jettent de l’huile sur le feu. Les supporters d’Aris, mieux nantis, se gaussent de ceux qu’ils appellent  » les Turcs et les Bulgares « , du PAOK mais durant la dernière décennie, le clivage social qui séparait les deux clubs s’est dilué.

A Salonique, on dit que depuis deux ans, le PAOK développe le meilleur football de Grèce. Que l’Olympiacos ne représente rien et que le Panathinaikos a de bons joueurs mais pas d’équipe. Sans le soutien de l’Etat, l’AEK ne jouerait même pas en D1. Le PAOK joue avec son c£ur, c’est une vraie équipe et non une alliance de vedettes.  » Nous allons lutter pour le titre jusqu’au bout mais nous ne serons pas champions « , disent des fans du PAOK.  » Comme il y a quelques mois, ce sera une équipe athénienne. Un arbitre n’est qu’un être humain. Vous savez quand même comment ça va en Grèce ? »

Quelqu’un revient sur le déroulement du derby décisif, quand Pablo Garcia, dont l’engagement sans faille en fait l’âme du PAOK, a été averti au bout d’une minute. Mais Garcia n’est pas le seul meneur.  » Suivez bien Vierinha. C’est le Cristiano Ronaldo du PAOK ! L’année prochaine, il sera trop bon pour le championnat grec.  »

Beaucoup de supporters du PAOK ont des familles qui ont été chassées par les Turcs de l’ex-Constantinople. Le club est donc devenu plus qu’un club de foot, c’est une philosophie, un style de vie. PAOK signifie Pan-thessalonikan Athletic Club of Constaninopolitans. L’emblème du club est l’aigle byzantin à deux têtes, comme l’AEK Athènes, un club également fondé par des déplacés.  » Mais le nôtre ferme ses ailes. Nos couleurs sont le noir et le blanc : le noir du deuil suite à notre exil forcé d’une ville que nous aimions, le blanc de l’espoir suscité par notre nouvel environnement.  »

Tragédie autour d’un joueur

Le mercredi, le marché s’étend jusqu’aux portes du stade, bâti par les supporters, gratuitement, de 1957 à 1959, car le club était pauvre. Dans l’arène, les trois quarts des places assises ne sont pas couvertes. On est en train de renouveler le gazon. Même les tasses de café et les distributeurs de boissons affichent le logo noir et blanc du club.

Dans la salle VIP, une armoire de trophées affiche une vieille photo sur laquelle posent trois joueurs du PAOK en compagnie de Pelé, à l’occasion d’un match à New York, contre le Cosmos, en 1984. A côté de Pelé, le légendaire Giorgos Koudas, record de matches pour le PAOK. De 1963 à 1984, il a joué pour le club et a défendu à 43 reprises les couleurs de la Grèce. Il a effectué ses débuts en équipe fanion à 17 ans et demi mais en 1966 s’est produite la  » tragédie  » qui sépare toujours le PAOK et l’Olympiaco :  » Les supporters ont été horrifiés en apprenant que je rejoignais Athènes. Ils ont crié que j’étais des leurs, que je ne pouvais pas partir. Ma signature a posé problème. Je n’ai donc disputé que deux matches amicaux avec l’Olympiacos. Les gens d’ici étaient furieux mais je ne gagnais presque rien et l’Olympiacos m’offrait beaucoup d’argent. Nous étions alors amateurs et je travaillais dans un garage. Le football n’est devenu professionnel qu’en 1979.  » Pendant deux ans, Koudas n’allait plus jouer en club mais seulement pour l’équipe nationale militaire. En 1968, il est revenu au PAOK.  » Les gens étaient toujours fâchés et ont dit qu’ils ne me pardonneraient que si je produisais un foot fantastique. Je me suis exécuté.  » 12.000 supporters ont assisté à son premier entraînement.

Il possède désormais une boutique de vêtements et n’est pas amer :  » Si j’avais vraiment rejoint l’Olympiacos, on ne m’aurait pas surnommé l’ Alexandre le Grand du foot grec. Le football n’est pas seulement argent, il est amour et passion. Ici, on me fête, on m’honore. J’ai arrêté depuis 30 ans mais on me demande encore des autographes et on continue à m’appeler par mon diminutif alors que je suis un vieil homme.  »

Le PAOK a émargé à l’élite grecque de 1970 à 1980.  » Nous jouions un football merveilleux, le football total que prônait JohanCruijff. Le PAOK était alors l’Ajax de Grèce. Je jouais un peu comme Cruijff, j’étais un technicien doté d’un bon dribble.  » Lorsqu’on lui demande pourquoi le PAOK n’a remporté qu’un seul titre, Koudas ne répond pas de manière directe.  » C’est ainsi en Grèce… Cela nous a rendus plus forts mentalement et nous a incités à jouer mieux encore.  »

Il a encore reçu une chance de jouer à l’étranger.  » Le manager de Cruijff m’a demandé si je n’avais pas envie de jouer à Barcelone mais je lui ai demandé pourquoi j’irais m’asseoir sur le banc, même pour des tonnes d’argent, alors qu’ici, je jouais et j’étais adoré ? Là, Cruijff occupait ma place. « 

Conceiçao

Peu avant 10 h, les joueurs arrivent au complexe d’entraînement du PAOK, à 25 kilomètres à l’est de la ville, en pleine verdure. C’est un entraînement à huis clos. Les supporters ne peuvent entrer que le lundi et le mardi.  » Comme vous venez spécialement de Belgique, nous vous permettrons d’entrer « , avait promis l’attaché de presse, Kyriadis Kyriadis, débordé, dans un pays qui compte 20 journaux politiques comportant chacun une section sportive et 14 quotidiens sportifs dont trois de Salonique.

Il passe quatre heures par jour au téléphone avec la presse et parle à 50 journalistes par jour. Aujourd’hui, il en a un de plus, un Belge, auquel il s’empresse de demander comment va Sergio Conceiçao, qui a été joueur puis directeur technique du PAOK jusqu’à la saison passée. Le Portugais a manifestement laissé de bons souvenirs.

Le dernier à arriver à l’entraînement est l’international tunisien, l’arrière droit Anis Boussaidis. A l’instar de l’attaquant Dimitrios Sapilgidis et du médian offensif Nabil El Zhar (ex-Liverpool), il est nouveau. Il y a trois ans, Boussaidis a joué six mois pour Malines, et devient même nostalgique :  » Les supporters malinois sont fantastiques. Et Peter Maes était un bon entraîneur. Où travaille-t-il ?  » Red Bull Salzbourg lui ayant offert de meilleures conditions et jouant en Coupe d’Europe, il a mis le cap sur l’Autriche. Sa première saison sous Huub Stevens s’est bien déroulée mais l’an dernier, après une blessure, il n’a plus retrouvé les grâces du Néerlandais, dont il ne veut même plus prononcer le nom. Il n’a plus joué pour Salzbourg les six derniers mois et n’a donc pas hésité quand le PAOK s’est manifesté, même s’il était encore lié pour une saison :  » J’ai préféré faire un sacrifice financier pour jouer dans un club chaleureux que rester dans un club froid avec un entraîneur malhonnête. Le PAOK est vraiment une grande famille. Le président, le manager sont d’anciens joueurs. Ici, tout le monde parle la langue du football.  »

L’organigramme est impressionnant. Peu de clubs belges de D1 possèdent le bagage footballistique du club de Thessalonique. Le président, le manager, le directeur technique, le manager adjoint et l’entraîneur principal ont tous joué pour le PAOK. Tous portent haut les concepts du club, Fierté, Résistance, Rêve et Conquête.

L’amour du club et l’esprit de famille reviennent sur toutes les lèvres. Prenez l’attaquant Dimitrios Salpigidis, dont l’instinct du but règle le problème auquel était confronté le PAOK la saison passée. Salpigidis, un produit de l’académie des jeunes, a été vendu au Panathinaikos par le président d’alors en 2006, malgré les protestations générales : il avait besoin d’argent. L’année dernière, le Pana a voulu reconduire son contrat mais le joueur a refusé et libre, est revenu au PAOK, auquel il peut encore rendre beaucoup de services, à 28 ans. Il ne gagne que la moitié de ce que lui offrait le Pana !

38 jours

Si l’argent et le pouvoir sont les armes des grands clubs athéniens, la passion est l’atout du PAOK. Elle animait l’ancienne vedette Theodoros Zagorakis quand, un mois après la fin de sa carrière de joueur, en juin 2007, il est devenu président du club. Il n’y injecte pas d’argent mais son arrivée a stoppé la chute financière et il attire les sponsors qui aiment le club et sont sûrs que leur idole fera bon usage de leur argent. Pendant qu’il concoctait un plan pour apurer la dette de 30 millions du club envers les pouvoirs publics, le président a rassemblé dix autres millions pour apurer les dettes à l’égard des joueurs, des managers et des fournisseurs. Normalement, le PAOK écoule 5.000 abonnements par saison, le reste étant vendu match par match. Cette fois, 20.000 supporters ont acquis le sésame, ce qui a rempli les caisses du club en début de saison.

Afin d’assurer le redressement sportif, Zagorakis a fait appel à l’entraîneur portugais Fernando Santos, qui avait entraîné l’AEK Athènes quand il y jouait. Santos a enrôlé Santos, Conceiçao, Pablo Contreras, Pablo Garcia, Zlatan Muslimovic et Vierinha. Après un début pénible, le PAOK s’est mué en formation bien huilée, qui s’appuie sur une solide organisation. Il a depuis deux ans la meilleure défense de Grèce.

Depuis cet été, Santos, qui souhaitait un poste moins stressant, est le nouveau sélectionneur de la Grèce. Il a succédé à Otto Rehhagel. Sous pression, Zagorakis s’est d’abord laissé convaincre de ne pas embaucher le coach actuel, Pavlos Dermitzakis, issu de la même ville que lui et actif comme joueur du PAOK également. Il n’avait que six mois d’expérience en D1 ! Le directeur sportif d’alors, Zizis Vryzas, qui a joué en Italie, a avancé Mario Beretta, mais le courant n’est pas passé et l’Italien a quitté le club après 38 jours, sans avoir dirigé le moindre match officiel.

Une semaine avant le match capital de Ligue des Champions contre l’Ajax, Zagorakis a fait appel à Dermitzakis et ça a fonctionné. Le PAOK joue un peu plus offensivement, avec un peu plus de risques que ces deux dernières années. A Bruges, la tribune réservée aux visiteurs sera pleine. La moitié des fans viendra de Belgique, des Pays-Bas et d’Allemagne, l’autre moitié de Grèce.

Fin de reportage avec Nikos Ioannidis, qui travaille dans une librairie du centre de Salonique et est supporter du PAOK :  » Ma mère vient d’Istanbul, elle a émigré dans les années ’50. J’étais un des 3.000 supporters qui ont vécu la qualification du PAOK au détriment de Fenerbahçe, à Istanbul. Dans le contexte qui oppose Grèce et Turquie, c’était bien plus qu’un simple résultat. Nous avons voyagé 26 heures en bus, sur un trajet de 2.500 kilomètres. Personne ne pouvait voyager individuellement : trop dangereux. Du bus, nous sommes entrés directement au stade et après le match, nous sommes remontés dans le car sans attendre. La police nous a escortés alors que nous passions devant des cafés fréquentés par le noyau dur du Fener. Nous avons été bombardés de pierres. Je suis allé souvent à Istanbul. C’est une ville agréable. Mais quand il s’agit du PAOK, les émotions ressurgissent…  »

Le football n’est pas qu’argent, il est aussi amour et passion. (Giorgos Koudas)

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