Entre panique et avenir

L’entraîneur d’Anderlecht revient dans son ex-club si calme, coaché par celui qu’il avait présenté aux Hurlus.

Dimanche, Mouscron accueille Anderlecht. Pour l’Excel, c’est un match de gala où l’on souhaite briller et faire plaisir au public. Pour le Sporting, un match à gagner pour assurer la deuxième place en championnat. Pour Hugo Broos, le retour dans un stade qu’il connaît comme sa poche et qu’il a aidé à moderniser, face à Lorenzo Staelens, qu’il avait fait venir comme coordinateur des jeunes et qui est devenu son successeur.

Broos est venu en reconnaissance la semaine dernière, à la demande de Sport/ FootMagazine. Et, à le voir serrer des mains et faire la bise à toutes les employées, on sent qu’il revient un peu chez lui au Canonnier. Cinq années, cela laisse des traces: « L’émotion sera beaucoup plus perceptible pour moi que lors du match aller. J’étais déjà tracassé, voici cinq mois, à l’idée de devoir affronter mon ancien club, et dimanche ce sera encore pire. Et puis, Anderlecht a toujours éprouvé de grosses difficultés pour s’imposer au Canonnier ».

Le Sporting demeure pourtant, à ce jour, le seul « grand » que Mouscron n’a jamais vaincu à domicile…

Broos: Cela arrivera bien un jour. J’espère que ce ne sera pas dimanche. Au cours des années précédentes, le match s’était souvent clôturé par un partage, ou par une courte victoire d’Anderlecht, parfois tirée par les cheveux et pas toujours méritée. Je m’attends donc à un match difficile.

Aviez-vous deviné, au moment de votre départ, que Lorenzo serait votre successeur?

Broos: Pas sur le coup. Mais, en discutant avec Gil Vandenbrouck et Didier Vandenabeele, j’ai rapidement compris que ce serait la meilleure solution. Il avait pris ses marques dans la maison depuis six ou sept mois, il connaissait les jeunes du club. Pourquoi Mouscron aurait-il dû chercher ailleurs ce qu’il avait sous la main? L’Excel a eu raison d’offrir une chance à un jeune entraîneur ambitieux.

A-t-il répondu à l’attente, jusqu’ici?

Broos: Tout à fait. Lors du premier tour, il a obtenu 26 points, en réalité 29 puisqu’il en a perdus trois à la suite d’une erreur administrative contre Mons. En cinq années à Mouscron, je n’ai jamais été capable de présenter un tel bilan. Or, Lorenzo n’a pas été gâté par les événements. Il a dû aligner, parfois simultanément, une multitude de jeunes comme Filston, Charlet, Coulibaly, Fransman, Efoulou et d’autres encore. Les remarques fusent de partout

Lorenzo, est-ce frustrant de devoir travailler avec des moyens plus limités que ceux dont disposait Hugo à Mouscron?

Staelens: Non, il faut tenir compte des moyens du club. On le sait lorsqu’on accepte le job. Préparer l’équipe du futur en introduisant des jeunes constitue aussi un beau challenge. Mais il faut accepter de perdre des matches et d’effectuer une légère marche arrière au classement.

Hugo, aviez-vous déjà ressenti cette baisse de moyens à l’époque où vous travailliez au Canonnier?

Broos: Oui, surtout au cours des deux dernières années. Lorsque Nenad Jestrovic a été vendu pour 2,5 millions d’euros, on n’a pu dépenser que 125.000 en achats: Geoffrey Claeys est arrivé et Zoran Ban est revenu gratuitement de Genk.

Est-ce l’une des raisons pour lesquelles vous avez quitté Mouscron?

Broos: Pas du tout. J’avais déjà refusé, précédemment, des propositions de Genk et de l’équipe nationale. Je ne pouvais pas rejeter une troisième proposition, qui émanait d’Anderlecht. Pour la promotion sportive que cela représentait, mais aussi -je dois le reconnaître honnêtement- pour l’aspect financier.

Le job d’entraîneur à Anderlecht correspond-il à ce que vous aviez imaginé?

Broos: Absolument. Je connaissais la maison. Je dois avouer, toutefois, que les conditions de travail ont encore… empiré par rapport à l’époque où j’étais un joueur du Sporting. C’est-à-dire, il y a une vingtaine d’années. Je parle surtout de l’entourage. Il faut composer avec beaucoup plus de zones d’influences qu’autrefois. Les remarques, les pressions, les attaques proviennent de tous les côtés: de la direction, du public, de la presse. Certains journalistes veulent absolument imposer leurs vues. Parfois de manière très subtile. Les supporters font aussi entendre leur voix, sans toujours connaître le fond du problème.

A Mouscron, la pression est moindre…

Staelens: Peut-être, mais elle existe malgré tout. Chaque club s’est fixé des objectifs à atteindre, même si ceux-ci sont différents. Pour Anderlecht, c’est le titre. Pour d’autres clubs, c’est le maintien. Pour Mouscron, c’est simplement réussir une bonne saison. Il est clair que, parfois, je me pose des questions. Par exemple: lorsque nous avons mené 3-4 à Genk, aurai-je dû enlever un attaquant pour introduire un défenseur supplémentaire? C’est toujours plus facile de répondre à la question après coup.

Broos: Le gagnant a raison, le perdant a tort. J’ai connu le même problème après l’élimination en Coupe de Belgique à St-Trond. On m’a reproché de ne pas avoir titularisé Nenad Jestrovic. Si nous nous étions qualifiés, on m’aurait félicité pour mon choix. La critique est facile. La meilleure solution, pour l’entraîneur, est de rester fidèle à ses principes et d’assumer les conséquences.

Eprouvez-vous du plaisir à travailler à Anderlecht?

Broos: Il ne s’agit pas d’éprouver du plaisir, mais d’exercer son métier correctement. Le reste dépend des résultats. S’ils sont bons, un entraîneur éprouvera aussi beaucoup de plaisir à travailler au Parc Astrid. Hélas, cette saison, les résultats sont mitigés. J’espérais mieux en championnat et forcément en Coupe de Belgique, mais je n’avais jamais espéré aller aussi loin en Coupe de l’UEFA. Trop de réactions de panique

L’un des obstacles auxquels vous vous heurtez, est de devoir travailler avec une équipe que vous n’avez pas composée…

Broos: Je ne veux pas me retrancher derrière cette excuse. J’ai accepté l’offre du Sporting en connaissant le noyau que j’aurais à ma disposition.

Vous avez réalisé un seul transfert: celui de Michal Zewlakow, parce qu’il y avait un vide à l’arrière gauche. Or, le défenseur polonais a rarement évolué à cette place-là…

Broos: Oui, pour la bonne raison qu’évoluer comme arrière gauche à Mouscron ou à Anderlecht, ce n’est pas pareil. Michal a connu quelques problèmes d’adaptation: il est passé d’un club familial à un autre où c’est chacun pour soi. On a aussi sous-estimé les effets de la séparation d’avec son frère. Pour les deux jumeaux, d’ailleurs. Pendant 25 ans, Marcin et lui ont quasiment vécu ensemble. Et lorsqu’ils se sont mariés, ils ont habité à 50 mètres l’un de l’autre.

Avez-vous déjà une idée de la manière dont vous souhaitez dessiner l’équipe la saison prochaine?

Broos: Oui, mais savoir si je serai suivi, c’est une autre question. J’en parlerai à la direction après Panathinaikos. A Mouscron, déjà, j’avais l’habitude de faire une évaluation du noyau en février. De voir quels secteurs il conviendrait de renforcer, et de quels moyens je disposerais pour le faire. Je procèderai de la même manière à Anderlecht. Sauf que, si les moyens sont supérieurs, je devrai tenir compte de l’avis d’autres personnes.

Lorenzo, comment jugez-vous le travail d’Hugo au Parc Astrid?

Staelens: A partir du moment où le Sporting n’est pas premier, des remarques fusent. Pourtant, Hugo ne se débrouille pas si mal. Anderlecht est la dernière équipe belge encore en lice sur la scène européenne. En juillet, il a pris le train en marche, en acceptant de conduire un équipage qui avait déjà manqué d’éclat la saison précédente. L’an prochain, lorsqu’il disposera de joueurs qu’il aura lui-même choisis, et que l’équipe sera mieux équilibrée, on pourra juger de l’évolution. La constatation n’est pas neuve, mais des joueurs comme Jan Koller, Tomasz Radzinski, Bart Goor et Didier Dheedene n’ont toujours pas été remplacés. A l’époque où j’évoluais à Anderlecht, Jan Koller était non seulement un brillant attaquant, mais aussi un… défenseur très précieux sur les phases arrêtées, car il renvoyait tous les ballons de la tête.

Broos: Anderlecht n’a sans doute pas transféré à bon escient lorsque ces joueurs sont partis. Il y a souvent des réactions de panique au Parc Astrid, c’est aussi un aspect qui me gêne. On a perdu deux attaquants? On en a donc acheté… six autres! En espérant qu’il y en ait un bon dans le lot. La nostalgie est trop présente

Lorenzo, où en est Mouscron?

Staelens: Nous pratiquons un football relativement agréable, même si le bilan chiffré de 2003 est insuffisant. Les blessés reviennent progressivement. L’équipe doit encore trouver le juste équilibre entre les buts marqués (aucun contre le Standard et La Gantoise, mais quatre à Genk) et les buts encaissés (cinq au stade Fenix, ce qui est trop). Lorsqu’on évolue dans un 4-4-2 classique, on a deux attaquants qui restent en pointe et laissent des espaces dans l’entrejeu. Lorsqu’ils se sentent bien, ils ont tendance à aller de l’avant. Et, derrière, certains n’ont pas la vitesse suffisante pour boucher tous les trous. C’est un peu le problème.

Le 4-4-2, c’était la marque de fabrique d’Hugo Broos…

Staelens: La plupart des attaquants mouscronnois se sentent plus à l’aise dans un 4-4-2 que dans un 4-3-3. A Anderlecht, actuellement, c’est peut-être différent: Seol peut évoluer à gauche, et Mornar à droite, en soutien d’un seul attaquant.

Est-ce la raison pour laquelle, à Anderlecht, Hugo a souvent dérogé à son dispositif fétiche?

Broos: Il faut s’adapter aux joueurs dont on dispose. Lorsque je travaillais à Mouscron, j’avais clairement opté pour le 4-4-2, qui trouvait d’ailleurs un prolongement dans les équipes de jeunes. A Anderlecht, j’ai longtemps cherché la bonne combinaison. En période de préparation, j’ai parfois évolué avec quatre attaquants. L’inconvénient d’un 4-4-2, pour Anderlecht, c’est qu’on ne peut aligner que… deux attaquants! Que faut-il faire avec les quatre autres présents dans le noyau? Les placer sur le banc? D’accord, mais alors j’ai la moitié de la Belgique qui se mobilise pour protester! J’ai essayé différentes formules. A l’avenir, et à l’exception peut-être de quelques matches européens, je repasserai toutefois définitivement au 4-4-2 et appliquerai le système que j’aurais voulu utiliser dès le début.

Hugo, ne trouvez-vous pas que les prestations d’Anderlecht sont trop rarement marquées du sceau de la classe?

Broos: C’est quoi, la classe? Le football a changé. Pourquoi faut-il gagner tous les matches en dessinant des arabesques sur le terrain? Bruges caracole en tête. Est-il brillant et créatif chaque week-end?

Bruges a bâti sa légende sur un football en puissance. Le Standard a traditionnellement vanté sa furia. L’image de marque d’Anderlecht, c’est la technique…

Broos: C’était, voulez-vous dire. On n’est plus au temps de Paul Van Himst ou de Jef Jurion.

Staelens: Je partage l’avis d’Hugo. Ce n’est pas un hasard si, ces dernières années, Anderlecht a transféré des joueurs comme Yves Vanderhaeghe, Didier Dheedene ou… moi-même. Il faut désormais allier la technique au travail pour être performant.

Broos: Exactement. Les meneurs de jeu à l’ancienne, qui attendent de recevoir le ballon dans les pieds pour le relancer, c’est terminé. Je veux bien d’un meneur de jeu, mais à condition qu’il court autant que les autres. Seulement, la nostalgie est un sentiment très présent au Parc Astrid. Je l’ai constaté à maintes reprises. Il y a les nostalgiques des années 70, mais aussi d’une époque plus récente. On a eu du succès avec un « grand » comme Jan Koller ? Donc, il faut engager un autre « grand »! Mais ce n’est pas parce qu’on a la taille de Jan Koller qu’on est nécessairement aussi adroit…

Daniel Devos

« Les conditions de travail à Anderlecht sont pires qu’avant » (Broos)

« Je savais ce que Mouscron pouvait m’offrir » (Staelens)

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