» Entre les jambes  » dans toutes les langues

Si je vous dis que les Anglais ont inventé le foot et si vous ne me croyez pas, vous me répondrez peut-être en disant : – Mon £il !. Eh bien, je vous le donne en mille, lorsque les Anglais formulent à leur tour dans leur idiome une incrédulité quelconque, l’expression équivalente à notre £il, c’est My foot ! Si ça n’est pas la preuve qu’ils l’ont bien inventé !…

Les langues ont toutes leur charme, les comparer est un délice. Je n’en veux ici pour preuve que notre petit pont francophone et footballistique. Certes, en Flandre et c’est la preuve qu’au moins notre football est toujours national, la traduction est littérale : een bruggetje doen, c’est effacer l’opposant en lui passant le ballon entre les jambes ! Mais dans d’autres langues, d’autres images foisonnent pour décrire ce même dribble. En allemand, en espagnol, en italien et en portugais, il s’agit plutôt de l’équivalent du mot français tunnel : c’est moins vexant que le petit pont si l’on estime moins humiliant de se faire piéger dans le noir, ça l’est davantage si l’on considère qu’un tunnel est plus long qu’un petit pont ! En Amérique du Sud, on désigne aussi l’action par le mot caño qui signifie chalumeau, paille à boire : allusion infiniment plus étroite que le pont le plus minuscule,… c’est dire que les dribbleurs aiment se foutre des autres du côté du Brésil !

Rodrigo Beenkens m’a aussi appris qu’au Portugal, subir un petit pont, c’était parfois aussi subir un caleçon ( cueca) ! Sans doute une allusion au fait d’être piégé par les dessous, et que l’on peut relier au tablier ( apron) en hongrois : tablier qu’il eût mieux valu mettre pour éviter la honte, d’où le fait que les Hongrois disent aussi faire du cuir par allusion aux tabliers de cuir lourds et longs des artisans… Les Autrichiens, eux, imagent ce dribble en parlant de concombre ( gurker)… comprenez ça comme vous pouvez ! Ou demandez à Bobby Böhmer quand vous le croiserez au Mambourg…

Ce qui m’amène à Kinshasa où la foule crie parfois – Tshobo ! Tshobo ! lors d’un petit pont réussi. La légende veut qu’un jour après l’entraînement, un footballeur nommé Ambarra relata à ses potes hilares les détails de sa nuit torride avec une demoiselle du coin : il leur scanda la musique de ce qu’il convient d’appeler son va-et-vient coïtal, et ça faisait Tshobo ! Tshobo ! Au match suivant, Ambarra fut victime d’un petit pont : et ses partenaires le chambrèrent en reprenant en ch£ur l’onomatopée, qui fit école depuis ! Machos que nous sommes, sommes-nous tellement loin du concombre autrichien ? !

En Angleterre, le passage entre jambes footeuses s’appelle une noix de muscade ( nutmeg), et l’explication est ici plus historique que grivoise. Vers 1850, les cargaisons de noix de muscade en provenance des Etats-Unis étaient fréquemment avariées ou surévaluées, au grand dam des acheteurs les moins vigilants : d’où l’expression being nutmegged appliquée à tout qui s’était fait arnaquer. Et comme, à la même époque, le peuple se mit à jouer avec un ballon… Et comme le petit pont subi était aussi vexant que se faire noix-de-muscader, la métaphore pénétra peu à peu les stades… Ce qui explique qu’en Premier League, Wayne Bridge ne soit pas le roi des petits ponts (fallait que je la place, celle-là…).

Voilà. Je n’en suis qu’au tout début de mon grand projet. J’envisage in fine une publication exhaustive en 18 volumes lorsque j’en saurai davantage sur le petit pont en grec, ukrainien, danois, letton, roumain, yiddish, russe, québécois, afrikaans, japonais, croate, gaumais, surinamais, bulgare, sanskrit, catalan, coréen, persan, slovène, euskara, ch’ti et tutti quanti… Toutes vos infos sont les bienvenues, qu’il s’agisse d’une langue lointaine ou d’un régionalisme tout proche. Par exemple, à Noiseux-sur-Berwette, ET UNIQUEMENT à Noiseux-sur-Berwette, ce petit village de l’Ardenne profonde qui résiste encore à l’envahisseur, faire un petit pont se dit s’offrir une Georgette. Allez savoir pourquoi…

par bernard jeunejean

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