Entre Danube et Meuse

Les résultats de la colonie belge d’Ujpest FC ne répondent pas encore aux attentes mais Jos Daerden se plaît en Hongrie.  » C’est une aventure salutaire.  »

Un vent glacial s’abat sur la plaine du Danube, large ruban bleu qui sépare Budapest, la capitale de la Hongrie, en deux : à droite, Pest, plate, à gauche, Buda, la partie vallonnée de la ville où Jos Daerden vit avec sa femme ukrainienne Anja et leur fille de 19 ans, Nastiya. Tout en donnant au chauffeur de taxi des consignes dans un hongrois qu’il a appris lui-même, Daerden explique que chez lui, la neige n’a pas encore fondu.  » C’est comme sur les hauteurs « , note-t-il, se souvenant de son époque au Standard, quand le Sart Tilman, sis au sommet de la route du Condroz était, lui aussi, toujours plus enneigé que Sclessin, en bord de Meuse.

En passant devant l’opéra de la ville, il confie avoir été terriblement impressionné par la première représentation à laquelle il a assisté, ici : La Bohème de Puccini.  » Il n’y avait plus de places pour La Traviata « , glisse-t-il sur le ton d’un connaisseur. Le grand Jos ne se plaint pas. Hier encore, il est allé, avec sa femme, à Velence, pour une journée de wellness. Ils ont un peu nagé, mangé un bout et se sont détendus.  » Il y a beaucoup de distractions ici « , conclut-il en levant son verre, dans le bar à vin DiVino.

Déception trudonnaire

Il y a un an, l’entraîneur de 58 ans se voyait dans un rôle de dirigeant d’un club de D2.  » J’avais lu que Saint-Trond cherchait un directeur technique. Nous avions eu trois entretiens et j’avais visionné un match aux Pays-Bas pour le club puis il a fait appel à un bureau d’évaluation qui a choisi Jan-Pieter Martens. Je n’ai plus eu la moindre nouvelle. Quelle différence avec le Cercle Bruges ! Il y a trois ans, il hésitait entre Bob Peeters et moi. Deux jours après mon renvoi du Beerschot, Frans Schotte a demandé à me voir, en compagnie d’Yvan Vandamme. Ils ont été très clairs : soit ils prenaient un entraîneur chevronné soit un jeune. Quand ils ont choisi Bob, ils m’ont gentiment prévenu. Nos discussions et l’honnêteté de ces gens ont constitué un véritable enrichissement.

Même si j’aime toujours le terrain, j’étais prêt à me recycler et à devenir directeur technique. Face à cet échec, j’ai fait le point : que pouvais-je encore briguer en Belgique ? Le marché des entraîneurs est un carrousel dont on tombe, tôt ou tard. Jeune entraîneur, j’avais effectué du bon boulot à Beveren pendant trois ans mais aucun club ne s’était présenté ensuite, hormis Lommel, très mal classé. Si le Standard limoge Ron Jans, ce n’est pas pour engager Jos Daerden. Glen De Boeck était le prince héritier de la corporation puis ce fut Bob et vous voyez où on en est maintenant. A-t-on parlé de Franky Van der Elst ? D’Hugo Broos ? De Jan Ceulemans ? De Stéphane Demol ? Un moment donné, c’est fini. Pour moi aussi, bien que je ne m’estime pas dénué de qualités : c’est simplement la réalité.  »

La pression de Preud’homme

Son embauche à Ujpest FC n’a rien à voir avec l’échec de ses négociations à Saint-Trond, ni donc avec le réseau de Roland Duchâtelet. Elle est liée à Jean-Pierre Haverals, son adjoint lors de son second passage au Beerschot, comme entraîneur, en 2009-2010. Le fils de Duchâtelet, Roderick, détenait alors des parts du Kiel.  » Jean-Pierre m’a téléphoné, pour me dire que Roderick cherchait un entraîneur en Hongrie. Je ne le connaissais pas et selon Jean-Pierre, il pensait que j’avais déjà trouvé un accord avec Al Shabab mais ce n’était pas le cas. Michel Preud’homme souhaitait que j’entraîne les U21 mais j’étais en proie au doute, car qu’est-ce qui est préférable : être l’entraîneur en chef d’un petit club ou l’adjoint de Michel à Al Shabab, de Sef Vergoossen à Genk ou de Co Adriaanse à Metallurh Donetsk ?

En Arabie Saudite, on vous octroie un salaire royal, sans négociation, mais certains aspects pratiques de la vie m’effrayaient, surtout pour ma femme et ma fille. Michel insistait. Je devais le rencontrer à Zwolle, lors d’un congrès d’entraîneurs, mais Roderick m’a téléphoné deux jours avant. Marc Brys s’était présenté, il avait discuté en vain avec Ariël Jacobs. Anja et moi avons assisté au dernier match de championnat d’Ujpest et j’ai rapidement signé mon contrat.  »

Le maillot à la poubelle

Le stade Szusza Ferenc brille sous le soleil hivernal. L’arène conviviale est située dans un quartier triste, empreint de nostalgie. Lorsqu’on franchit la porte du stade, on découvre les initiales du club, UTE, au coeur du logo : Ujpesti Torna Egylet, soit club de gymnastique d’Ujpest. On y pratique le hockey sur glace, la boxe, la gymnastique et quelques autres sports, en plus du football. Le stade, couvert, peut accueillir 13.000 personnes.

 » Il respire le football. En plus, il a les mêmes couleurs que le Beerschot. Que voulez-vous de plus ? Depuis la fusion, j’ai entraîné le Kiel deux fois neuf mois. Si on effectue le calcul des points, c’est moi qui ai obtenu le meilleur pourcentage. Lors de mon second mandat, nous avons signé une série de 27 points sur 33 mais il s’est alors produit des choses que j’ai dû taire, dans l’intérêt du club. Je me suis fait avoir. En plus, je venais de faire la connaissance de ma femme actuelle en Ukraine et je vivais des moments privés pénibles.

Mais j’ai le Beerschot dans la peau. Ici, Bavon Tshibuabua est entré dans l’histoire en marquant le but de la victoire contre Ferencvaros. Dans vingt ans, on en parlera encore. Ujpest-Ferencvaros, c’est Beerschot-Antwerp au carré. Mark, mon adjoint, s’est présenté au club revêtu d’un T-shirt vert. Or, c’est la couleur de Ferencvaros. Le maillot a fini à la poubelle ! Joske, le responsable du matériel du Kiel, n’enfilerait jamais de vêtement rouge.  »

Il voue une énorme reconnaissance à Roderick Duchâtelet.  » Je me plais ici. Il me voue une telle confiance que je veux la lui rendre au centuple. Roderick est un bienfait dans le monde du football. Nous prenons les décisions ensemble et nous soutenons. C’est fantastique de travailler ainsi. Nous avons placé la barre haut. Il n’est pas présent au quotidien mais quand il le faut, généralement lors des matches. Il a pallié le départ de Filips Dhondt en accordant une promotion à un membre du personnel, une jeune femme, Esther. Elle n’a que 29 ans mais elle est en train de tout réformer.  »

Transparent avec les fans

La reprise du club par le clan belge ne se déroule pas sans heurts. Après l’élimination en Coupe, des supporters ont bloqué le car des joueurs. À Pecs, ils ont déroulé deux banderoles d’avertissement, en néerlandais : Ujpest dépasse le seul football. Si vous ne le comprenez pas, partez. Le 2 décembre, le club a achevé l’année sur un nul contre Vidéoton.

Le lendemain, Duchâtelet a assisté à une fête de supporters et il a raconté qu’il avait déjà investi 3,5 millions d’euros dans le club et qu’il était prêt à racheter le reste, 5 %, au précédent propriétaire, et qu’il voulait acquérir le stade, qui appartient à l’état.

 » Il est en bons termes avec les supporters parce qu’il est transparent. Il leur explique pourquoi certaines choses sont possibles ou non. Quand nous convoitons un joueur hongrois, son prix est généralement surestimé. Ce n’est pas parce qu’Ujpest se manifeste qu’il faut croire qu’on va faire fortune. Prenez le stade : pour pouvoir apposer une nouvelle pelouse, Roderick a dû payer la garantie de sa poche et maintenant, on décrète que le gazon n’est pas assez bon, pour bloquer son argent.  »

Une fois, le président a dérapé. Après la défaite à Halades, il a placé onze phases contestables sur le site du club. Un but d’Ujpest a été annulé et deux anciens Trudonnaires, Alessandro Iandoli et Grégory Christ, ont été exclus.  » Greg sur une phase sur laquelle nous méritions le penalty et l’adversaire la carte rouge. On sent qu’ici, les gens considèrent Ujpest comme un club d’étrangers alors que nous ne sommes pas venus en nous croyant au-dessus du lot. Je l’ai encore répété au journal Extra Time : pour rehausser le niveau, il faut opérer des réformes, mais c’est dans le but de faire progresser le football hongrois.  »

Le train des joueurs

Treizième après 17 des 30 matches, Ujpest FC est décevant.  » Nous sommes à quatre points de la quatrième place. Il a fallu patienter pour compléter le noyau. En stage en Belgique, je n’avais que seize joueurs au lieu des 26 prévus. On nous a proposé 3 à 400 joueurs mais nous avons pris notre temps. Nous en avons fait visionner certains en sus par des collaborateurs du Standard.  »

Une phrase qui apporte évidemment de l’eau au moulin de ceux qui prétendent qu’Ujpest FC serait une filiale du club de Roland Duchâtelet, qui serait encore lié lui-même à Saint-Trond. Autres signes qui ne trompent pas : plusieurs joueurs viennent de Belgique : outre Iandoli, Christ et Tshibuabua, il y a encore Nikolas Proesmans, Henri Eninful, Yadim Zaris et Naïm Aarab.

 » 80 % des nouveaux participent à tous les matches « , précise Daerden.  » Iandoli est le meilleur arrière gauche de Hongrie. J’ai voulu le transférer d’Eupen au Beerschot il y a trois ans. Aarab m’a été renseigné par Jean-François de Sart. J’ai lancé Tshibuabua au Kiel. Je ne subis pas la moindre pression de Roderick ni de Roland Duchâtelet. Je peux travailler tranquillement.  »

Iandoli pourrait rejoindre Liège.  » Le Standard constituera toujours la première option pour Ujpest FC, ce n’est pas un problème. Encore faut-il qu’il preste et que Mircea Rednic veuille de lui.  »

Daerden en parlera peut-être à l’entraîneur roumain, avec lequel il dîne cette semaine. Jusqu’au 7 janvier, date de la rentrée scolaire, Daerden et sa famille séjournent en Belgique. En janvier et en février, Ujpest effectuera deux stages en Turquie pour préparer la reprise du championnat, le 2 mars.

PAR JAN HAUSPIE

 » J’ai travaillé deux fois au Beerschot et j’ai toujours ce club dans la peau. « 

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