ENTRE AMIS à Francfort

Jacques Sys
Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Malgré un certain optimisme, le chemin des Diables Rouges est pavé de quelques obstacles délicats. Parmi la jetset du football international, Aimé Antheunis pensait surtout à la formation de son équipe.

Vendredi dernier, à Francfort, le Mondial 2006 a pris son essor définitif, avec un sens de l’organisation impressionnant. Dans cet épicentre financier de l’Allemagne, nul ne s’est épargné : de magnifiques hôtesses, le splendide décor d’un hall des foires tout en glaces, un programme minutieusement établi, une amabilité et un sens de l’accueil omniprésents. L’Allemagne considère ce Mondial comme une prestigieuse vitrine nationale.

Derrière cette brillante façade percent quelques problèmes. L’économie allemande stagne, ce qui pourrait avoir une influence sur le tournoi. Il y a un an et demi, le Chancelier Gerhard Schröder avait lancé un appel pathétique aux entreprises, afin de rendre son panache à l’Allemagne et d’utiliser la Coupe du Monde comme tremplin pour relancer l’économie. Les candidats ne se sont pas bousculés aux portes pour la cause. Six sponsors nationaux doivent verser chacun 12,9 millions d’euros. Pour le moment, seuls quatre se sont contractuellement engagés et encore deux d’entre eux menacent-ils de jeter l’éponge. Ils estiment les avantages offerts trop peu attractifs, d’autant que la FIFA garantit à ses quinze partenaires commerciaux personnels l’exclusivité absolue dans leur domaine. C’est ainsi que l’industrie automobile allemande est barrée. Des géants tels que Volkswagen et Mercedes auraient volontiers investi mais ont dû y renoncer, le constructeur sud-coréen Hyundai détenant l’exclusivité du secteur automobile auprès de la FIFA. Franz Beckenbauer, l’idole nationale, est régulièrement descendu de ses montagnes de Kitzbühel, en Autriche, pour réveiller l’enthousiasme des sociétés par ses discours, mais sans obtenir davantage de retour…

Les organisateurs, auxquels on reproche un manque de compétences commerciales, ont pourtant un besoin urgent d’une injection financière. Le tournoi va coûter 450 millions alors qu’au départ, on n’en avait budgétisé que 250. La FIFA leur verse certes une somme totale de 170 millions d’euros par tranches, le solde devant provenir du sponsoring et de la billetterie (on vendrait 3,2 millions de billets). On ne peut cependant compter sur les 200 millions escomptés pour le moment : la vente des billets ne commencera pas avant la fin de l’année prochaine. Le comité d’organisation a donc dû demander un crédit à la fédération allemande de football.

Ça n’a pas empêché Franz Beckenbauer de tenir la dragée haute, ouvertement, à Sepp Blatter, le président de la FIFA, pour imposer des billets à des prix démocratiques. Les tickets les moins chers reviennent à 35 euros, la moitié du montant suggéré par Blatter. Dans un pays où le football reste populaire et où le concept de places debout conserve une signification mythique, la résistance de Beckenbauer a été vivement appréciée.

A l’avenir, le Kaiser et Blatter risquent de s’affronter souvent encore. Par exemple si, juste avant le coup d’envoi du Mondial 2006, Franz Beckenbauer, dont le statut n’a jamais été écorné en Allemagne, venait à poser sa candidature à la présidence de la FIFA, les élections ayant lieu à ce moment…

L’Afsud proposée pour 2010 par un Nobel de la paix

Samedi, durant la cérémonie extrêmement longue, du tirage au sort, on n’a rien remarqué de ces prises de bec. Dans son style habituel, Sepp Blatter a descendu les escaliers de la Frankfurter Festhalle comme s’il était une espèce de libérateur et il a placé le football sur l’autel de la paix. La présence de l’ancien archevêque d’Afrique du Sud, Desmond Tutu, accentua cet aspect, bien que la visite de l’ancien lauréat du Prix Nobel de la Paix avait une autre motivation. Il a ouvertement soutenu la candidature de son pays pour le Mondial 2010 et dit avec humour :- La Fédération sud-africaine de football pense que je suis en relation directe avec Dieu. Il s’est aussi glissé dans la peau d’un authentique charmeur en offrant un bracelet à la bourgmestre de Francfort, Petra Roth. Lorsque celle-ci a remarqué qu’il ne fallait vraiment pas, il a répondu : -Je cherchais simplement un moyen de vous embrasser. Tutu s’est fait plus sérieux quand il a expliqué qu’à son sens, un Mondial organisé par l’Afrique du Sud permettrait à son pays de consolider sa démocratie, ajoutant que le football avait aidé les Noirs à survivre à l’apartheid.

Sepp Blatter n’a cessé de ronronner de bonheur en écoutant ces belles paroles, tout comme celles d’autres belles âmes. Ainsi, Gerhard Mayer-Vorfelder, le président de la fédération allemande de football, a invité le monde à faire connaissance, dans un an et demi, avec un peuple tolérant et formidable, au sein de l’Allemagne réunifiée. Celle-ci ne laisse pas échapper l’occasion de se mettre en valeur. Le caractère amical de l’événement est rappelé à l’envi. Le slogan du tournoi est éloquent : – Die Welt zu Gast bei Freunden . (le monde invité par des amis). On n’a pas fini d’entendre ce slogan.

Bichonner le programme des qualifications cette fois

La délégation belge a observé l’ensemble avec des sentiments mitigés. Pendant l’interminable introduction au tirage des groupes européens, elle a pu tester ses connaissances géographiques. Ensuite, Michael Schumacher et un Pierluigi Collina, de plus en plus médiatique, ont procédé au tirage dans les diverses urnes, en compagnie du poète allemand du rock, Herbert Grönemeyer. La Belgique n’a pas été trop mal servie. L’Espagne, la Serbie &-Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, la Lituanie et Saint-Marin sont ses prochains adversaires. Dans une envolée pleine d’assurance, Aimé Antheunis a refusé d’évoquer la deuxième place, expliquant que la Belgique devait viser la victoire dans sa poule. Il s’est demandé, dans la foulée, si les matches opposant les Diables Rouges à leurs adversaires moins attractifs devaient vraiment avoir lieu à Bruxelles.

Jan Peeters, le président de l’UB, comme toujours rayonnant de satisfaction, s’est réjoui de la recette qu’offrirait le match contre l’Espagne et a répété que la Belgique devait à tout prix être du Mondial allemand.

L’optimisme belge était de rigueur. Les barrages constituent le strict minimum, mais la route du Mondial est pavée d’obstacles. On connaît la qualité de l’Espagne, même si elle peine toujours à former une équipe nationale qui tire à la même corde, ses stars venant de clubs différents. La Serbie & Monténégro a une équipe très technique et jeune mais, même si elle n’est pas encore au niveau de la période d’or de l’ancienne équipe yougoslave, il ne faudrait pas non plus sous-estimer. Comme la Bosnie d’ailleurs. A l’issue des qualifications pour l’EURO, elle n’a échoué qu’à deux unités du Danemark, directement qualifié. La Lituanie et Saint-Marin ne doivent évidemment pas poser le moindre problème.

A juste titre, Aimé Anthuenis a souligné l’importance d’un scouting intense. Cependant, bien plus qu’aux rendez-vous à venir, il pense à la formation de son équipe et à son développement.  » Les bases sont jetées, le cadre est constitué. Cette équipe ne peut que progresser « , a-t-il affirmé. Dans cette optique, il est capital d’organiser un grand nombre de matches amicaux. Anthuenis :  » Si tout se passe comme prévu, nous jouerons sept matches avant le début des qualifications « . C’est un luxe inhabituel pour les Diables Rouges. Outre les trois joutes contre la France (18 février), en Allemagne (28 mars) et aux Pays-Bas (29 mai), la Belgique dispute un match amical le 28 avril.

 » Contre un adversaire d’envergure « , insiste Anthuenis, qui affirme ne pas avoir peur d’un échec cuisant.  » Nous avions pensé à la Tchéquie mais ce n’est pas faisable. La saison s’achève le 15 mai. Nous irons peut-être en Amérique, comme ça avait été convenu, mais nous devrons peut-être nous priver des internationaux qu’alignent les finalistes de la Coupe. Nous ajouterions au match aux Etats-Unis un crochet au Mexique. Ce serait une excellente préparation au déplacement aux Pays-Bas. En août, nous disputons encore un match à domicile. Il constituera la répétition générale avant le premier match des qualifications pour le Mondial « .

Le sélectionneur veut donc s’armer en prévision des qualifications, en espérant que durant l’élaboration du calendrier, le 20 janvier à Belgrade, la Belgique offrira plus de résistance que pour les qualifications pour l’EURO 2004. Chacun à la fédération fait évidemment de son mieux pour minimiser cette succession malencontreuse de matches. Nul n’aime reconnaître ses erreurs, mais à Francfort, on a pu mesurer, une fois de plus, le fossé qui nous sépare du véritable professionnalisme.

Le sélectionneur anglais, Sven-Goran Eriksson, était assisté de deux responsables de communication quand, après le tirage, il s’est rendu à la conférence de presse officielle, entraînant dans son sillage 70 journalistes et cinq équipes TV. Anthuenis s’est débrouillé tout seul. C’est même lui qui a veillé à ce que tous les journalistes aient leur tour, sans que personne ne se glisse devant les autres. Un journaliste d’Europe de l’Est s’y est essayé et s’est fait taper sur les doigts par un Anthuenis sévère mais juste.

Les reproches de Pelé

Le tirage au sort de Francfort a prouvé qu’il ne fallait pas craindre la moindre faille dans l’organisation allemande. Même Sepp Blatter a reconnu que les Allemands avaient une longueur d’avance sur tous les autres et avaient réponse à tout. On ne perd pas de temps. La répartition des matches dans les douze villes concernées n’a pas pris deux heures. Cette efficacité est symbole d’unité. L’Allemagne est prête pour le Mondial, à de nombreux points de vues, mais il reste encore 912 jours avant qu’on inaugure le Mondial, le 9 juin 2006, à Munich, et que tous les hôtes de l’Allemagne soient accueillis d’un triomphant : Die Welt zu Gast bei Freunden.

Pour renforcer ce sentiment, vendredi soir, Blatter a encore déclaré :  » Ici, à Francfort, nous nous sommes vraiment sentis entre amis, comme si nous étions chez nous. C’était formidable « . Peu avant, sur la scène, il avait fraternisé avec tous les pontes présents à Francfort. Avec Franz Beckenbauer, par exemple, mais aussi avec Pele, qui a reçu une formidable ovation des 3.500 personnes présentes. Ça n’a pas empêché Pelé, normalement le champion des discours vides, d’égratigner la FIFA. Il n’a pas compris que le Brésil, tenant du titre mondial, doive disputer des qualifications, et il comprend encore moins que la fédération mondiale prenne de plus en plus de décisions politiques. Sepp Blatter s’est empressé de détourner la conversation. La soirée était trop festive pour entamer une quelconque polémique.

Jacques Sys

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