Enthousiasme payant

Pierre Bilic

Le coach des Liégeois conquérants classe et cote sur 10 les événements de sa carrière.

Quelques heures après une magnifique éclipse lunaire de 22 minutes, deux des astres du football belge se sont retrouvés dans le ciel du stade Constant Vanden Stock. Qui a décroché la lune ? Qui est revenu les pieds sur terre ? Dominique D’Onofrio n’a pas dû sortir sa lunette astronomique pour revenir sur le choc des étoiles :  » Nous nous attendions à un combat physique. Ce fut le cas. Nous avons ouvert rapidement la marque, ce qui a obligé Anderlecht à se découvrir. Il y avait des espaces à exploiter : nous l’avons fait. Notre organisation a fait la différence après le repos. C’est la victoire d’un groupe talentueux et sérieux. Le Standard revient à six points d’Anderlecht et relance l’intérêt du championnat. Je ne parle pas du titre. Mais, d’évidence, on a prouvé que nous possédons une des bonnes équipes du championnat « .

Sa voie lactée à lui est peuplée de splendides planètes, de tempêtes solaires et d’autres cirques du soleil qui font la richesse, les joies et les peines d’une carrière. L’entraîneur du Standard a parcouru du chemin, imposé une vision offensive du jeu, résisté à la pression en s’appuyant, entre autres, sur une solide dose d’humour. Ce recul lui permet de noter, de dix à zéro, des faits ayant marqué son trajet sportif.

Son staff technique

 » Nous n’avons jamais eu de problème entre nous. La symbiose est parfaite. Tous les membres de ce staff tirent dans la même direction. La collaboration avec José Riga, Christian Piot et Guy Namurois est intéressante et ils m’apportent, tous les trois, leur compétence, leur boulot, leur soutien mental. Un entraîneur est seul quand il doit trancher mais la qualité d’un entourage est importante au moment de se forger une opinion. Ils me connaissent, ont bien cerné mes idées, savent comment je fonctionne avec une option tactique éprouvée. Tout se travaille au quotidien : le système, le technico-tactique, le mental, etc. Notre 4-3-1-2 est un élément de base. Je le travaille depuis un an et demi. Michel Preud’homme pratiquait déjà de la sorte : j’ai repris et rodé tous les jours ce système. C’est un travail énorme. Un entraîneur est incapable d’assumer cela tout seul. Je suis en première ligne, évidemment, et, quand cela ne tourne pas, c’est moi qui en prend plein la gueule. Mais notre enthousiasme paie « .

Sa carrière avant le Standard

 » J’ai entraîné dans toutes les séries, à partir de la P1, sauf en D2. Je retiens surtout les années où j’ai d’abord fait de la formation avec, dans ce contexte, trois belles années au FC Liégeois. Ce fut un magnifique apprentissage avec des titres de vice champions de Belgique des juniors à la clef. Mais je retiens avant tout l’éclosion de deux très bonnes générations de jeunes avec les Eric Deflandre et Gaëtan Englebert. Ces trois saisons merveilleuses m’ont appris beaucoup de choses et fait comprendre, quelque part, que j’étais aussi taillé pour faire de la formation. J’aimais bien cette catégorie des 18 ans, les Juniors UEFA comme on disait à l’époque. RobertWaseige avait créé une section professionnelle et on en faisait partie. Je n’étais pas salarié à temps plein mais on bossait comme des pros. Puis, sur cette lancée, je me suis rapproché du staff de l’équipe fanion. C’était hyper intéressant « .

Les supporters des Rouches

 » Le Standard a le meilleur public de Belgique. Nos supporters sont, comme personne, derrière leur équipe. Ils définissent mieux qu’ailleurs, le terme de douzième homme. L’euphorie peut être extraordinaire après une série de succès. Par contre, c’est parfois l’inverse en cas de pépins. Je comprends cette passion. Certains se privent de tout pour leur club. Ils se lèvent Standard, ils mangent Standard, ils se couchent Standard : c’est leur raison de vivre et ce feu doit être notre moteur. J’aurais même pu leur donner un 10 sur 10. Ils sont le Standard « .

Tomislav Ivic

 » C’est un homme qui m’a beaucoup appris. Malgré l’image qu’on a donnée de lui et les critiques à son encontre, j’estime que ce grand coach vivait avec son temps. Il n’a jamais été dépassé par les méthodes de travail ou les évolutions tactiques. Tomislav Ivic avait ses idées qu’il convenait de respecter. C’est un grand monsieur. Il m’a choisi pour le poste d’adjoint : c’était un honneur de travailler avec lui « .

L’arrivée d’Emile, Lalo, Micky, Roberto, Aliyu.

 » L’arrivée des cinq nouveaux joueurs a procuré un plus au Standard dans l’expérience, la créativité, l’équilibre. Il a fallu un certain temps d’adaptation pour les automatismes. Je me suis aperçu que ce n’était pas évident pour eux. Je voulais que cela se fasse progressivement. J’avais commencé avec Miljenko Mumlek puis, suite aux mauvaises prestations, j’ai dû intégrer les autres plus vite que prévu. Sans cela, j’y aurais été beaucoup plus progressivement. Emile Mpenza, Lalo Sorondo, Miljenko Mumlek, RobertoBisconti et Aliyu Dati sont désormais bien présents et ont apporté de la concurrence chez nous. Le groupe n’est pas figé dans ses certitudes. Il n’y a pas d’embourgeoisement et je peux faire tourner l’équipe, avec la plus grande honnêteté, en fonction des situations et en tenant compte de notre occupation du terrain. J’ai maintenu notre jeu que je ne modifie pas à la première défaite. Cela ne veut pas dire que je ne change jamais d’avis sur le plan tactique. Persister dans l’erreur, c’est dangereux. Dans notre cas, même lors des défaites, il y a eu de bonnes périodes et beaucoup d’occasions de but non concrétisées : cela m’a réconforté dans mes choix. Avec les nouveaux en plus, le Standard a plus d’atouts pour gérer tout cela « .

Ses relations avec la presse

 » Je suis de plus en plus respecté. La presse est dangereuse car elle peut encenser ou détruire très rapidement. J’ai intégré cette réalité mais le problème, c’est qu’on attaque parfois l’homme, pas nécessairement sa façon de travailler, ses idées et la réalité du spectacle sur le terrain. Il y a là aussi des impératifs économiques, et de concurrence, je suppose, qui obligent certains médias à être sensationnels pour attirer l’attention. Le Standard est porteur. Tout ce qu’on lui consacre se lit, s’écoute, se regarde. Quand le Standard casse la baraque, cela se vend car le supporter apprécie. En cas de problèmes, aussi, car le fan veut savoir et comprendre les raisons d’un passage à vide. J’accepte les critiques tactiques, sportives, pas les tacles par derrière, les attaques sur l’homme. L’interprétation d’un journaliste n’est pas nécessairement la même que celle d’un coach. Mais, en général, les analyses sportives des médias sont plus ou moins correctes, même si les cotes des joueurs peuvent varier du tout au tout dans les journaux. Et c’est finalement logique. Chacun a ses préférés, sa lecture du football, cela en fait sa richesse. L’un peut apprécier l’engagement total, l’autre ne jure que par la technique. Les joueurs accordent une très grande importance aux cotes « .

L’Académie Robert Louis-Dreyfus

 » Ce projet a, pour le moment, un peu de plomb dans l’aile. Or, comme la direction du Standard l’a compris, tout passe par les jeunes. C’est l’avenir. On aurait déjà dû poser la première pierre de ce centre d’entraînement et de formation à Ans. Cela traîne un peu pour des raisons que j’ignore. Je le regrette « .

Le manque de confiance des Belges

 » C’est fou mais le Belge n’apprécie pas assez son championnat de D1. Je ne dis pas que c’est la crème de la crème mais de là à souffrir d’un complexe d’infériorité, il y a de la marge. Tous les étrangers, entraîneurs ou joueurs, affirment à raison que la D1 belge est très dure. L’autodérision n’a jamais fait de tort à personne mais quand cela se transforme en manque de confiance, c’est dommage. J’aimerais que les Belges soient plus chauvins car ils travaillent bien avec de petits moyens financiers « .

La protection des jeunes

 » Les clubs forment des jeunes qui s’en vont pour un oui ou pour un non. A 15 ans, mal conseillés, ils n’en ont rien à cirer de leur club formateur, partent, libres comme l’air, vers des horizons parfois très incertains. On a piqué pas mal de joueurs au Standard à qui des agents ont parlé de Manchester City, du Bayern Munich, de Perugia, la Fiorentina, etc. Anderlecht en a pris un chez nous. Nous nous sommes alors intéressés à Anthony Vanden Borre. Ils veulent jouer à ce jeu-là, on va jouer aussi alors… Quand on consacre un million d’euros par an à la formation, cela fait réfléchir. Si on détourne les meilleurs jeunes de 15 ans, ne restent que les joueurs moyens. C’est invivable. Il faut revoir au plus vite la réglementation de la protection des jeunes « .

Ses 12 opérations

 » J’ai été opéré cinq fois de la jambe droite, deux fois de la jambe gauche, une hernie discale, du nez, etc. A 15 ans, ce fut le ménisque et le reste a suivi : rotule et quadriceps. La douleur, le sportif, il la connaît. Chez certains, cela augmente le taux d’adrénaline, ils se dépassent, d’autres sont plus douillets. Roger Claessen a joué avec des fractures car on ne pouvait pas remplacer les blessés. Je me souviens de FranzBeckenbauer jouant en Coupe du Monde avec l’épaule bandée. Ce n’est plus envisageable de nos jours car les mécaniques, si je puis dire, sont poussées plus loin. Impossible d’être au top durant tout le match si un joueur est diminué. Aujourd’hui, un sportif blessé veut comprendre ce qui lui est arrivé, le comment et le pourquoi d’une opération, des techniques de rééducation. A ce point de vue-là, ils ont droit au top chez nous avec le docteur Nebojsa Popovic, le CHU de Liège et les kinés « .

Ses trois défaites d’affilée

 » Après un bon début de championnat, il y a peut-être eu un excès de confiance. Certains joueurs ont cru qu’il suffisait de paraître pour vaincre. Ce n’est jamais le cas. Genk ne méritait pas de gagner chez nous. Les Limbourgeois n’ont jamais été aussi défensifs et ont exploité une erreur de notre part pour ouvrir la marque avant de se retrancher devant leur gardien de but. Le Standard a passé 80 minutes dans le camp de Genk sans concrétiser nos occasions. J’ai ressenti les doutes de certains joueurs. Ils se sont confirmés au Cercle Bruges et face à La Louvière chez nous : domination, cadeaux, défaites. Nous avons réagi et parlé avec, par la suite, de très bonnes choses sur le terrain. Je ne supporte pas la défaite quand on n’a pas tout donné, qu’on s’est caché ou qu’on a fait semblant « .

Pierre Bilic

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