ENJOY YOURSELF

Bien avant que Kevin De Bruyne, Romelu Lukaku et Eden Hazard conquièrent la Premier League, d’autres Belges ont cherché leur bonheur outre-Manche. Promenade avec quatre pionniers belges des Iles.

Le 23 septembre 1991, les 22 clubs de First Division ont quitté la Football Association. La Football League est passée de quatre à trois divisions et un nouveau format a vu le jour en 1992-1993 : la Premier League, qui allait devenir une machine à milliards.

MARC DEGRYSE SHEFFIELD WEDNESDAY (1995-1996)

Un an après Luc Nilis (PSV) et Philippe Albert, Marc Degryse a également quitté Anderlecht, qui l’avait transféré six ans plus tôt du Club Bruges pour l’équivalent de 2,25 millions d’euros.

MARC DEGRYSE :  » J’avais trente ans et je n’avais coûté que 1,75 million à Sheffield, qui n’attendait donc pas trop de moi. Le club pensait qu’un footballeur bon marché ne pouvait pas être bon. J’ai signé là-bas le meilleur contrat de ma carrière, gagnant deux fois plus qu’à Anderlecht.

Pour un étranger, il n’était pas évident de s’intégrer rapidement mais contrairement au Roumain Dan Petrescu et à deux Serbes du noyau, je parlais l’anglais. Un anglais scolaire, certes, mais plus compréhensible que le dialecte des Ecossais et des Irlandais du groupe. Au début, je trouvais étrange que les jeunes joueurs devaient nettoyer notre vestiaire. Nous avions chacun un apprenti, qui nous demandait le matin si nous voulions du thé ou du café, qui nettoyait nos chaussures et préparait la tenue d’entraînement.

Mon statut d’international a forcé le respect de mes coéquipiers mais j’ai dû me faire au style de jeu. Le manager me disait de tenter ma chance au lieu de faire des passes. Je jouais en retrait de l’avant-centre, David Hirst, un gaillard qui avalait des bières comme si c’était de l’eau. Il n’était pas le seul, la plupart se rendaient au pub. Tel Mark Bright, qui travaille maintenant pour la BBC, Chris Waddle, Des Walker ou encore le Hollandais Regi Blinker.

David Pleat, le manager, était un dictateur. Il lui arrivait de démolir un joueur devant tout le monde. Il ne faisait pas preuve de la moindre compassion mais il était quand même capable de relâcher les rênes de temps en temps. Je me souviens qu’après une victoire, il a dit : -J’ai réservé vingt billets d’avion. Vous pouvez tous passer quatre jours à Marbella. Mais le week-end prochain, nous jouons contre Tottenham Hotspur, mon ancien club. A bon entendeur, salut !

C’était étrange. De même, il ne jugeait pas utile que nous nous échauffions avant un match. Steve Nicol, un vrai rouquin à la peau très blanche, s’est un jour assis tout nu dans un bain d’eau bouillante, pendant l’échauffement… Quand nous sommes revenus au vestiaire, il avait l’air d’un homard. Il était tout rouge ! Ça ne l’a pas empêché de s’habiller et de se livrer à fond pendant 90 minutes.

Je conserve de nombreux beaux souvenirs. J’ai disputé une bonne saison et marqué huit buts en 34 matches mais je n’avais pas l’habitude de perdre. Le Club et Anderlecht perdaient environ cinq matches par saison, Sheffield s’est incliné à 18 reprises. Je le vivais très mal. Quand le PSV s’est intéressé à moi, je n’ai pas hésité, même si j’ai dû renoncer à un tiers de mon salaire. Une mauvaise décision.  »

NICO CLAESEN TOTTENHAM HOTSPUR FC (1986-1988)

Après une saison au VfB Stuttgart, Nico Claesen est revenu en Belgique, au Standard, en 1985. Un an plus tard, il entamait sa seconde aventure étrangère à Tottenham Hotspur.

NICO CLAESEN :  » Pendant le Mondial 1986, le commentateur sportif néerlandophone Rik De Saedeleer avait soufflé mon nom à David Pleat, consultant de la BBC au Mexique et nouveau manager de Tottenham. J’ai longtemps repoussé l’offre. Ma femme n’avait pas la moindre envie d’aller vivre en Angleterre mais après deux saisons, j’ai eu l’opportunité de rejoindre l’Antwerp, tandis qu’elle voulait rester à Londres (rires).

C’était dimanche tous les jours. Il se passait toujours quelque chose là-bas. Nous étions invités à des premières de films, notamment de Fatal Attraction et, en coulisses, nous avions même pu bavarder avec MichaelDouglas. Assister à un concert de Lionel Richie ou de Madonna ? Pas de problème. Les joueurs de Tottenham avaient accès au Stringfellows, le célèbre club privé de Covent Garden, que fréquentent les stars de la chanson et du cinéma. Comme Tom Jones, George Michael ou Elton John, qui était encore président de Watford à l’époque. Après un match à Vicarage Road, celui-ci avait d’ailleurs invité le groupe à un concert improvisé.

Nous nous entraînions peu, à cause de la succession des matches. Même la préparation, théoriquement destinée à donner de bonnes bases physiques, était ridicule : 14 matches amicaux en 14 jours ! Le noyau était chouette. On pensait surtout à s’amuser. Ou, comme le disait le manager :  » Enjoy yourself and make it happen. «  On parlait rarement de football dans le vestiaire. Ray Clemence, notre gardien, qui comptait plus de 60 matches en équipe nationale, était un parieur notoire. Il ne parlait que de courses hippiques.

En 1987, quand nous nous sommes qualifiés pour la finale de la Coupe, nous avons enregistré la chanson Hot Shot Tottenham avec les rockeurs londoniens Chas & Dave. Elle a été classée 18e du hit-parade anglais. Une belle période. Sur place, nous avions acheté une maison, mais de peur de devoir la revendre à perte, j’avais fait insérer dans mon contrat une clause stipulant que le club devait me rendre au moins la valeur à l’achat. Finalement, nous l’avons revendue au double du prix ! « 

PHILIPPE ALBERT NEWCASTLE UNITED (1994-1998)

Après deux saisons et autant de titres à Anderlecht, Philippe Albert, Soulier d’Or et Footballeur Pro de l’Année en 1992, a signé pour Newcastle United, à 27 ans. Les Magpies ont versé 3,7 millions d’euros.

PHILIPPE ALBERT : » Je me rappelle très bien mon premier match en Angleterre, c’était lors d’un déplacement à Leicester. Et j’ai directement été frappé par le rythme, l’intensité. En Angleterre, on ne calculait pas, on ne se préoccupait pas de la tactique de l’adversaire, tout le monde évoluait en 4-4-2. J’ai connu des scénarii de match que je n’avais jamais vécus en Belgique, comme ce 0-3 à domicile à 20 minutes de la fin qu’on a transformé en 4-3. On jouait toujours à fond, sans arrière-pensées.

Je n’ai jamais connu de séance vidéo par exemple, ni sous Kevin Keegan, ni sous Kenny Daglish. Et peu importe l’adversaire. Quand on a dû affronter le Barça de Rivaldo en Ligue des Champions, on s’est pointé au stade 1 h 30 avant le match comme si de rien n’était et on n’a jamais évoqué les qualités de l’adversaire. J’ai évidemment connu des matches très physiques, on se préparait à aller au combat.

Il fallait se farcir des attaquants comme AlanShearer (Blackburn), EricCantona (Manchester United) ou Les Ferdinand (QPR). C’était dur mais correct. Et, après la rencontre, on se retrouvait dans la salle des joueurs où se rendait également l’équipe visiteuse et on buvait un coup tous ensemble. C’était quasi culturel.

Une fois par mois, on allait aussi tous ensemble au resto, et ça pouvait évidemment guindailler mais il fallait se défoncer le lendemain à l’entraînement. Certains pouvaient avoir des régimes particuliers comme David Ginola ou Faustino Asprilla alors que des gars comme Darren Peacock ou moi devions davantage bosser. Mais je n’ai jamais eu de problèmes avec ça. Les joueurs qui pouvaient nous faire gagner un match devaient arriver frais le week-end.

J’ai aussi connu l’arrivée de l’argent en Premier League. Alan Shearer (transféré à Newcastle) émergeait à 20.000 livres par semaine et il était le mieux payé du championnat. Aujourd’hui, ces chiffres sont multipliés par 10. Heureusement, on avait la chance d’être assez épargné par les tabloids qui étaient pour la plupart basés à Londres, Manchester ou Liverpool. Ginola et d’autres ont vu leur nom sali dans la presse mais sans que ça ne prenne de trop grandes proportions. Ce type de presse est aussi culturel, du temps de George Best, ça existait déjà.

J’ai évidemment pris mon pied dans ce championnat car c’était des matches d’hommes. Quand tu affrontais le Wimbledon de Vinnie Jones, c’était quelque chose. Il ne savait pas jouer au foot mais c’était un guerrier, un leader et il transmettait sa hargne à ses équipiers. Tu savais aussi que face à John Fashanu, lors de chaque duel, tu allais te ramasser un coup de coude. Aujourd’hui, on est très loin de tout ça. Parfois quand je vois des matches en Belgique, je me demande si c’est encore du foot. « 

NICO VAESEN BIRMINGHAM CITY FC (2002-2003/2005-2006)

Après un modeste parcours au pays, à l’Eendracht Alost et au Cercle Bruges, Nico Vaesen a rejoint Huddersfield Town en 1998. Il évoluait en Division One, la D2 anglaise. Quatre ans plus tard, sous le maillot de Birmingham City, il côtoyait les stars de Premier League.

NICO VAESEN :  » Birmingham s’entraînait plus scientifiquement que Huddersfield, où la préparation se résumait à une course le matin et à une séance de musculation l’après-midi, avec les charges les plus lourdes possibles. C’était vieux jeu mais ça faisait partie de leur culture du football. De même qu’après ces deux séances très dures, nous allions tous au pub. Les habitude alimentaires étaient également… spéciales. Mes coéquipiers me regardaient toujours bizarrement quand je mangeais mes fruits au petit-déjeuner. Eux, ils avalaient des oeufs, du bacon, des beans, des saucisses et des patates (il rit).

Pendant les négociations, j’ai demandé qui était l’entraîneur des gardiens. Les dirigeants étaient abasourdis : je ne demandais pas plus d’argent, je voulais savoir avec qui j’allais travailler ! Apparemment, c’était du jamais vu… Le rôle du gardien était différent. Il n’était absolument pas nécessaire de contrôler un ballon ni d’essayer de le placer dans les pieds d’un des défenseurs. Il fallait le dégager.

J’ai vécu, à Birmingham, une saison fantastique. Pour la première fois en 17 ans, nous avons gagné le derby contre Aston Villa. A deux reprises, même ! 3-0 à domicile et 0-2 à Villa Park. Après notre deuxième but, les supporters installés derrière moi ont envahi le terrain. J’ai rarement senti une telle effervescence.

Je me rappelle encore un match à Millwall, la saison précédente. Nous nous étions qualifiés pour la finale des play-offs à TheDen, dans l’ultime minute de jeu. C’était très intimidant. Nous sommes restés cloîtrés trois heures dans notre vestiaire, pendant que police et supporters se battaient. Les fans, à la réputation bouillante, avaient incendié un pub et retourné des voitures dans la foulée. Ils avaient également jeté des pierres en direction de notre car, au moment de quitter l’enceinte. C’était intimidant mais unique aussi.  »

PAR THOMAS BRICMONT & CHRIS TETAERT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je jouais en retrait de l’avant-centre, David Hirst, un gaillard qui avalait des bières comme si c’était de l’eau.  » MARC DEGRYSE, EX-SHEFFIELD WEDNESDAY

 » Avant de jouer le Barça, on s’est pointé au stade 1 h 30 avant le match comme si de rien n’était.  » PHILIPPE ALBERT, EX-NEWCASTLE

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