Englebert a atomisé Porto

L’antiquaire de Tenneville apprécie les belles choses et un but lui tient à cour : il y a 28 ans, son tir venu d’ailleurs embrasa Sclessin.

Le sourire et la pogne sont restés les mêmes. Solide comme un chêne des forêts ardennaises, Anthony Englebert (48 ans) a pignon sur rue au c£ur du paisible terroir qui l’a vu naître et grandir. Tenneville, pas loin de Bastogne, n’a pas plus de secrets qu’un beau meuble liégeois pour cet antiquaire.  » Mon père s’était lancé dans cette activité passionnante et je l’ai rejoint à la fin de ma carrière de footballeur « , raconte l’ancien arrière gauche du Standard.  » Maintenant, je travaille avec mon épouse. Même si les recherches sont longues, on déniche encore des armoires, des vaisseliers, des créations comme on n’en fait plus de nos jours. Moi, c’est le chêne que je préfère…  »

Le foot fait partie du patrimoine familial. Son beau-père n’était autre que François Daenen, ancien gardien de but de Tilleur, 17 sélections de 1945 à 1953 et surnommé Pocket goalkeeper. Daenen signa des arrêts miraculeux contre l’Angleterre et de grands clubs britanniques lui firent vainement la cour. Englebert a aussi connu ses moments de gloire sur la scène européenne :  » Je suis arrivé en Première du Standard en 1980. J’avais 18 ans et j’étais un des jeunes formés à la dure par Maurice Lempereur. Plus jeune, après avoir logé dans une famille d’accueil dans le centre de Liège, j’ai eu une chambre au Sart Tilman. Le soir, après l’entraînement à Sclessin, les jeunes rentraient en bus et, avant qu’une dame s’occupe de nous, ce fut parfois la débrouille pour le souper. Nous mangions un bout dans une grande surface avant de regagner nos pénates. Les jeunes gardaient les tickets et Roger Petit remboursait à la fin du mois.  »

International Espoirs, Englebert dispute son premier match européen le 22 octobre 1980 en remplaçant Michel Renquin après 25 minutes de jeu à Kaiserslautern. A la fin de cette saison, Ernst Happel cède sa place à Raymond Goethals : c’est le début d’une nouvelle époque. Sur la scène européenne, les Rouches se débarrassent du FC Floriana (Malte) et du Vasas Budapest avant de se retrouver face au FC Porto en quarts de finale de la Coupe des Coupes.

 » Les anciens me parlent encore de ce but « 

C’est le 92e rendez-vous européen du Standard. Goethals avait préparé ce duel avec son soin habituel. Il se méfiait du registre tactique et technique de Porto mais n’hésita pas à ajouter deux doigts de jeunesse :  » Avec Englebert, on peut aller à la guerre « .

Le coach bruxellois n’allait pas le regretter.  » Goethals était un expert tactique « , souligne Englebert. A part le numéro de passeport, chaque Standardman connaissait son adversaire direct sur le bout des doigts :  » Le temps était épouvantable… Balayé par la pluie et le vent, le terrain n’était plus qu’une immense mare de boue. Le Standard détenait une équipe formidable qui ferait encore partie du top européen. J’étais emballé par le métier d’ Arie Haan qui distribuait le jeu, maniait la poudre à distance comme personne ne savait le faire, prodiguait de judicieux conseils aux jeunes. Haan était le cerveau mais le Standard pouvait compter aussi sur la hargne d’ Eric Gerets, le talent de Michel Preud’homme, le calme de Walter Meeuws, la technique de Guy Vandersmissen, le travail de Jos Daerden, le réalisme de Benny Wendt et la classe folle de Simon Tahamata. Nous jouions souvent à cinq derrière. Je décrochais à hauteur de Gérard Plessers sans oublier de fermer la porte derrière Tahamata. Le match contre Porto était verrouillé. A la 31e minute, Meeuws lança Bendt en profondeur. Un défenseur dégagea le ballon. Je l’ai récupéré…  »

A plus de 35 mètres de Fonseca, l’Ardennais tenta un tir terrible, un obus classé à jamais dans les plus belles frappes de l’histoire de Sclessin. Eberlué, le keeper adverse se brûla les gants en tentant d’arrêter cette boule de feu. La foudre était tombée sur les Portugais.  » La rencontre était enfin lancée « , confie Englebert.  » Les anciens me parlent encore de ce but. Comme je n’en ai pas inscrit d’autre en Coupe d’Europe ou en championnat, je m’en souviens bien. J’ai vu une ouverture et j’ai canonné. Sur le coup, j’ai cru que le ballon survolerait la tribune. Mais au lieu de filer vers la Meuse, aidé par la bourrasque, le cuir s’engouffra dans la cage portugaise. Un moment superbe…  »

 » Je suis parti à Winterslag sans me retourner « 

Les chemins menant vers la gloire étaient alors infiniment plus courts qu’actuellement. Le Standard écarta encore le Dinamo Tbilissi avant de disputer la finale contre Barça au Camp Nou (défaite : 2-1) où Englebert ne monta pas au jeu :  » Pourtant, j’en rêvais et j’ai espéré jusqu’à la dernière minute de jeu : hélas…  »

Un an plus tard, Englebert fut rayé de la carte :  » Je n’en revenais pas : celui qui m’avait porté aux cieux m’abandonnait. Goethals m’a dit que Guy Hellers serait son futur back gauche. Je savais qu’Hellers n’était pas un arrière. Goethals m’a dit que je ne jouerais plus. Je suis parti à Winterslag sans me retourner. On a affirmé que ma musculature était fragile mais j’ai surtout été blessé chez les jeunes où on me faisait trop jouer.  »

Après Winterslag, Englebert évolua à Seraing, Ettelbruck et Libramont jusqu’à ses 32 ans avant de se consacrer avec succès à son métier d’antiquaire. Ses enfants, Julie et Bastien, adorent le sport. Bastien (8 ans) est gardien de but comme son grand-père…

par pierre bilic – photo: reporters

« Avec Englebert, on peut aller à la guerre. (Raymond Goethals) »

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