Enfin l’Espagne

C’est un vainqueur moral, parce que c’est un vainqueur qui n’a rien usurpé. Sur toute une phase finale, le constat est rare et fait du bien : il n’y eut aucun match au terme duquel son vaincu méritait plus que l’Espagne l’issue heureuse même si, hormis la double correction aux Russes, toutes les victoires ibériques le furent de justesse. Mais le foot est en soi un sport de justesse … et nombre de finales du top s’y clôturent sur ce minimum syndical qu’est un score Arsenal ! Encore heureux que le maigre 1-0 profite parfois au brillant plutôt qu’au costaud…

C’est un beau vainqueur parce que le binôme technicité/vivacité fut sa marque de fabrique, ce qui n’est pas toujours le cas d’un vainqueur final ! De ce double point de vue, s’est-on rendu compte à quel point un Marcos Senna est supérieur à un Torsten Frings, à quel point un Andres Iniesta sait faire avec un ballon (hormis la frappe…) plus de choses qu’un Bastian Schweinsteger, à quel point la mobilité du petit Xavi s’est avérée plus grande que celle du grand Michael Ballack, à quel point David Silva virevolte mieux balle au pied que Lukas Podolski. Or, en foot, le binôme technicité/vivacité n’est pas toujours garant de triomphe au marquoir : si l’Allemagne avait battu l’Espagne de justesse – c’était plausible et ce sera peut-être le cas demain -, c’eût été une énième victoire du plus puissant sur le plus technique. Réjouissons-nous de l’inverse, faut bouffer le plaisir quand il est au menu.

C’est un vainqueur rassurant parce que les heureux élus sont… plutôt normaux, plutôt comme nous, pas trop géants ! On ne l’a pas assez dit et je n’ai pas calculé, mais je mettrais mon pied à couper que la moyenne de taille espagnole fut parmi les plus basses… comme quoi la vivacité est aussi un choix à poser lors d’une sélection ! Car excepté le 1,86m de Fernando Torrès, de Senna à David Villa en passant par les quatre médians offensifs (les trois déjà cités et Cesc Fabregas), aucun ne dépassait le 1,80 m. Et si l’on mettait Carlos Puyol debout tout nu sur la tête de Carlos Marchena, l’axe défensif ne culminerait qu’à 3,61m, concédant ainsi 28 cm à Christoph Metzelder et Per Mertesacker similairement accouplés ! Le foot qui gagne au top n’est pas encore systématiquement le basket du top, ouf !

C’est le vainqueur d’une grande nation du foot, ogre européen depuis longtemps via ses clubs-phares (22 victoires !). L’équipe nationale mérite pour cela pleinement d’enfin décrocher un grand tournoi : il était injuste, au palmarès des plus vernis, de la voir depuis 40 ans si loin derrière l’Italie, l’Allemagne ou la France ! Et les vainqueurs de 2008 devraient en priorité dédier leur victoire à tous leurs glorieux prédécesseurs moins gâtés par le sort footeux. J’en oublie des tas, mais je vous cite pêle-mêle les dix premiers qui font du pressing sur mes souvenirs : Juan ManuelAsensi, Juanito, Carlos Reixach, Luis Arconada, Michel, Pep Guardiola, Sergi, Emilio Butragueno, Carlos Santillana, Luis Enrique… J’ajoute l’immense Raul qui n’est pas encore un souvenir, mais n’échappe pas plus qu’un autre à la loi du genre et à la roue qui tourne : les jeunes qui s’amènent font mourir les vieux…

C’est un beau vainqueur, mais pas un beau tournoi. Pas plus moche qu’un autre, pas plus beau non plus. Je le redis comme je le pense, quitte à passer à tort pour un vieux con blasé : au contraire, je suis un vieux con qui espère encore ! Le foot mérite mieux que cela, les footballeurs sont tellement meilleurs que ce qui nous est régulièrement donné en spectacle ! Trop souvent, le résultat désigne le plus chanceux au lieu du plus brillant. Trop souvent les scores sont maigres : jamais 31 matches à seulement 2,5 buts de moyenne ne pourront constituer pour moi trois semaines de Nirvana. Trop souvent, les arbitres sifflent ou pas sur des phases strictement identiques. Trop souvent, la télé impitoyable révèle un sport où la triche fait partie intégrante des consignes : la boucherie meurtrière diminue et c’est un énorme progrès, dommage qu’elle soit remplacée par un jeu de bras vicelard de tous les instants…

Quant au nombre de nations, je plaide pour le statu quo : l’Euro à 16 reste le gabarit idéal pour un tournoi. 31 matches en 3 semaines, c’est bien… et Michel Platini va faire une grosse connerie s’il passe à 20 équipes, voire à 24 comme il en est question : finie l’échelle humaine, bonjour l’indigestion, bonjour la copie conforme d’un Mondial où tu satures dès avant les huitièmes ! Mais tous veulent davantage de chances de disputer des phases finales, et tous gueulent en même temps sur la surcharge des calendriers. Et on s’étonne que tout m’irrite…

par bernard jeunejean

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