Enfin, du respect !

Son Tubize bat tous les pronostics négatifs. Temps pour le président de commenter d’autres sujets chauds : la Fédération, le splitsing, la réforme, la crise, la licence, les gros sous…

Défense de se moquer : Raymond Langendries tape sur le clou depuis la montée de Tubize en D1. Beaucoup ne s’en sont pas privés en début de championnat. Aujourd’hui, on ne rit plus ; c’est le président qui rigole discrètement.

Raymond Langendries : L’effet Albert Cartier a été rapide : il sait comment traiter des joueurs qui ont sans doute moins de qualités techniques que la plupart des adversaires. Et l’esprit tubizien s’est vite installé dans le noyau…

C’est quoi, l’esprit tubizien ?

Un esprit fait d’humilité. On sait d’où on vient et où on veut aller. Ici, on n’aura jamais la grosse tête.

Vos chances de maintien ?

Je ne peux être qu’optimiste tout en restant réaliste. Je dirais fifty-fifty.

Après une dizaine de journées, Tubize était tout en queue de classement mais vous nous aviez dit que c’était conforme à vos prévisions. Et aujourd’hui, vous respectez toujours votre tableau de marche d’avant-saison ?

Absolument. En construisant l’équipe un mois après tout le monde, à cause de la montée tardive, nous étions condamnés à souffrir pendant tout le premier tour. Tout s’est mis en place progressivement. Notre classement actuel, ce n’est déjà pas mal par rapport à tous les pronostics des gens du milieu. Tout le monde nous condamnait à l’avance. Nous avons entre-temps lancé un premier avertissement : ne pas vendre la peau de l’ours.

Ces pronostics vous ont énervé ?

Ils m’ont irrité. C’était un manque total de respect. Sous prétexte que nous avions le plus petit budget et le plus petit stade, il fallait nous oublier avant même la première journée. J’ai entendu des trucs dingues. Tubize allait battre le record du plus petit nombre de points en D1 : les 10 points de Hasselt en 1979-1980. Mais en nous traitant comme on l’a fait, on nous a donné beaucoup de mordant. Après cinq matches, ceux qui avaient été cyniques et dédaigneux avec Tubize pensaient encore qu’ils avaient eu raison. Aujourd’hui, il y en a sans doute beaucoup qui pensent qu’ils se sont trompés.

Dès le début, on a perçu Tubize comme un club sympathique en Wallonie et minable en Flandre. Voyez-vous du changement entre-temps ?

Notre image reste sympathique en Wallonie : celle d’un club où tout n’est pas dominé par l’argent. Et nous commençons à être pris au sérieux.

Et en Flandre ?

Je remarque qu’on commence à se poser des questions là-bas. Hein Vanhaezebrouck et Francky Dury disent publiquement que notre club mérite tout le respect. Et depuis notre victoire récente contre Lokeren, Georges Leekens sait aussi de quoi on parle… (Il rigole). Evidemment, cette évolution a son revers : on ne nous accueille plus partout comme le petit Poucet de la D1, comme l’équipe qui prenait plein de buts gags et faisait rire d’elle. Je pense même que les jugements de la presse flamande ont évolué. C’est normal : entre la 11e et la 20e journée, nous avons pris autant de points que le Club Bruges… C’est le monde à l’envers. En début de saison, j’ai aussi eu beaucoup de mal à digérer les critiques sur notre jeu soi-disant dur. On nous accusait de pratiquer un football de sauvages. Mais c’est normal d’avoir des poussées d’adrénaline quand on joue ses premiers matches en D1. Malgré cela, je n’ai jamais vu un joueur de Tubize qui cherchait à agresser un adversaire. Mais bon, c’était encore un raccourci facile : ils ne sont pas bons, donc ils sont maladroits.

Imiter Mouscron mais pas trop !

Vous attirez très peu de monde : n’est-ce pas une des déceptions de votre saison ?

Je ne suis pas d’accord. Je suis satisfait quand je compare avec les assistances de clubs similaires : Dender, Roulers, Mons. Le but est de finir la saison avec une moyenne de 4.000 à 4.500 personnes. C’est faisable. Et nous aurions encore fait mieux si on ne nous avait pas imposé de jouer à domicile contre le Standard et Bruges au moment où notre stade était en chantier.

Ce n’était pas possible d’en tenir compte au moment de l’élaboration du calendrier ?

Nous avons parlé mais nous avons eu l’impression de ne pas être vraiment écoutés.

Une moyenne de 4.500 spectateurs, c’est viable à long terme en D1 ?

Aussi viable que 7.500 à Charleroi ou 20.000 à Anderlecht. La billetterie représente tellement peu dans le budget… Même en passant à une moyenne de 10.000, les conséquences sur le budget seraient fort limitées.

Vous croyez que les gens de la région sont prêts à répondre ?

Tubize est déjà plus une ville de foot que Wavre ou Braine-l’Alleud parce que nous avons une tradition ouvrière. Mais je ne suis pas naïf : je ne vais pas dire que nous construirons un stade de 15.000 places et que nous serons sûrs de le remplir. Je préfère n’avoir que 8.000 sièges et les occuper que 15.000 places et seulement 7.000 spectateurs. Nous sommes allés jouer à Charleroi : l’ambiance est plus chaude chez nous. Pourtant, Charleroi est une ville de 250.000 habitants. Soit dix fois plus que Tubize. Nous avons la même taille que Westerlo qui tourne avec une moyenne de 6.000 à 7.000 personnes. Pourtant, il y a déjà une tradition là-bas. Mais ce club n’attirera jamais 20.000 supporters.

Un budget de 4 millions, c’est vraiment minuscule !

Je ne sais même pas si nous arrivons à 4 millions.

Il augmentera si vous vous maintenez ?

Tubize a toujours progressé, donc le budget serait plus important l’année prochaine.

A peine en D1, Mouscron a visé un budget semblable à celui d’Anderlecht. Et vous ?

Ah non ! Mes pronostics ne sont pas du tout les mêmes. J’ai suivi l’exemple de Mouscron pour l’accession à la D1 : c’était un projet étalé sur dix ans. Mais la comparaison s’arrête là. Je ne vais pas dans le même sens que Jean-Pierre Detremmerie. Ce n’est pas dans une ville de 20.000 habitants qu’on peut installer un club du Top 5.

 » La réforme ? On file droit vers une cruelle désillusion « 

Des transferts ronflants au mercato de janvier, comme au Germinal Beerschot, ce n’est pas pour vous ?

Comment pourrions-nous nous offrir des joueurs réputés et chers ? Ici, on ne fera jamais de folies. Nous avons cherché l’un ou l’autre complément au noyau, en tenant compte du fait que les nouveaux ne devaient pas être une menace pour l’équilibre de groupe. Il nous fallait du renfort : nous tournons depuis le début avec très peu de blessés et de suspendus, ça ne peut pas durer éternellement.

On peut construire deux équipes en six mois : est-ce moral ?

On est complètement sorti de la philosophie première du mercato d’hiver, qui devait permettre de remplacer l’un ou l’autre blessé de longue durée. C’est plus que jamais le règne de l’argent. Il faut bien nourrir les agents, aussi… Et plus que jamais, je me demande à quoi servent les centres de formation. Mais il faut faire avec les réalités d’aujourd’hui. J’aurais bien aimé aligner une équipe de joueurs formés chez nous, de gars de la région, de Belges en tout cas. Mais à partir du moment où un joueur qui n’a jamais rien prouvé en D1 vous remet des exigences complètement déraisonnables, vous êtes bien obligé d’aller recruter à l’étranger. Et ce n’est pas ma faute si des footballeurs qui sont montés au jeu deux fois sur une saison avec un club du top se prennent déjà pour des vedettes.

Votre avis sur la réforme de la D1 ? On a décidé, maintenant on réfléchit…

Exactement. On file droit vers une cruelle désillusion. Vous verrez la qualité du jeu au deuxième tour ! Les enjeux seront tellement forts pour tellement d’équipes que le niveau technique va méchamment baisser. Tous les joueurs vont mouiller le maillot, ils iront chaque semaine au charbon, les duels seront acharnés. Ce n’est pas bon pour la qualité du spectacle.

Tous les clubs ont voté pour la réforme.

Nous étions toujours en D2, donc nous n’avons pas voté.

Et si vous aviez dû voter ?

En tant que petit club, et comme petit nouveau en D1, je ne sais pas si nous aurions eu le culot de ramer à contre-courant. Nous aurions sans doute accepté le plan, comme tous les autres. En tout cas, les conséquences sont là. Le calendrier sera très difficile à tenir et on aura des joueurs sur les rotules. Vraiment, cette formule est vouée à l’échec.

Y a-t-il une place pour un petit club comme Tubize dans un championnat à 16 ?

Ce sera plus facile de se maintenir dans une compétition à 16 que dans le championnat de cette saison avec ses trois ou quatre descendants.

Le splitsing partiel de l’Union Belge : encore une grosse erreur ?

Je suis partagé entre deux sentiments. Je comprends les clubs flamands. Ils avaient l’impression de ne pas être mis sur le même pied que les équipes wallonnes car ils ne recevaient pas de subsides pour leurs infrastructures alors qu’on en distribue en Wallonie. D’un autre côté, en tant qu’homme politique, je n’accepte pas l’intrusion de la politique dans la gestion du football. Surtout quand il s’agit de l’intrusion d’un séparatiste. On a mis le doigt dans un dangereux engrenage.

Vous pensez qu’on pourrait aller plus loin ?

Si la situation communautaire continue à s’aggraver, pourquoi le foot n’irait-il pas plus loin dans le séparatisme ? Une fois qu’on est dans le système…

Le manque de charisme à la tête de l’Union Belge n’aide pas à faire évoluer notre football !

(Il réfléchit). Oui, c’est vrai. Toute association reflète l’image de celui qui en occupe la tête… François De Keersmaecker est sans doute très compétent dans ses matières mais il n’a pas le charisme. Ce n’est pas donné à tout le monde.

 » Nos arbitres sont bons « 

L’arbitrage : une autre plaie de notre football !

Pas d’accord. Pour moi, le niveau est bon en Belgique.

Mais chaque week-end ou presque, des résultats sont influencés par des erreurs d’arbitrage.

Cela a toujours existé.

Au moment où les supporters de Genk ont attaqué les Wallons dans votre stade, vous auriez aimé que l’arbitre prenne ses responsabilités, non ?

Oui, il y a une loi football, des dispositions légales. Et s’il y avait de temps en temps un homme comme Louis Derwa pour monter sur le terrain et mettre l’arbitre en face de ses responsabilités, les supporters commenceraient peut-être à réfléchir. Combattre des actes pareils peut se faire autrement qu’en déployant de belles banderoles avant les matches.

Quelles seront les répercussions de la crise sur le foot belge ?

Il ne sera pas épargné, il n’y a pas de raison. Les sponsors vont réduire leurs investissements. Je pense que les effets pourraient se manifester très vite.

Louis Derwa a déclaré :  » Des clubs belges vont peut-être passer à la trappe dans les mois à venir « . C’est inquiétant !

Il y a déjà eu des disparitions de clubs de D1 à cause de problèmes financiers, non ? Par exemple, je ne sais pas comment va évoluer un club que j’aime : Mouscron. Et la Fédération a un rôle à jouer dans le contexte actuel. Il serait par exemple urgent de revoir les exigences de la licence. Elles sont trop contraignantes à certains points de vue. On impose aux clubs qui montent d’avoir des infrastructures de D1 pour le 15 octobre. Qu’ils aient ou non un passé en D1 ! Nous y sommes arrivés mais Tubize est un cas à part et je suis sûr que personne d’autre n’aurait pu faire la même chose. Tout a été facilité parce que je suis bourgmestre et que le stade appartient à la Ville. Et j’ai des entrées du côté de l’exécutif wallon, qui octroie les subsides. Nous avons ainsi pu raccourcir fortement les délais, tout en suivant la procédure légale. Mais normalement, il faut au minimum six mois pour tout régler. La licence est aussi trop exigeante en matière de sécurité. En D2, on nous a imposé des grillages devant la tribune des visiteurs : cela a coûté une fortune, pour enfermer les gens comme dans une cage. L’Union Belge ne tient pas assez compte de la réalité financière des clubs.

A côté de cela, on donne la licence à des clubs qui ont de grosses dettes privées. Sous prétexte qu’ils ne doivent rien à la Fédération, au fisc et à la TVA, on les laisse continuer.

C’est vrai. Je suis partisan d’une réflexion de fond.

20 millions d’euros pour Fellaini : est-ce moral ?

Et 110 millions pour Kaká, c’est moral ? Le monde du foot est devenu fou. C’est la folie avec un cheik à Manchester City pendant que Manchester United va mal à cause de la faillite de son sponsor principal. Et d’autres grands clubs européens risquent de connaître des problèmes terribles. Il faut redescendre les pieds sur terre. Peut-être en réduisant les salaires. Comment expliquer à des gens qui souffrent de la crise que de simples footballeurs gagnent des centaines de milliers d’euros par semaine ?

par pierre danvoye – photos: reporters/ gouverneur

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