Enfants de LA GUERRE

Les délégations de la Palestine, de l’Irak et de l’Afghanistan ont eu droit à une ovation debout dans un stade comble lors de la cérémonie d’ouverture. Les sportifs de ces pays répondaient de manière enthousiaste aux vivas du public. Le seul fait d’avoir rallié Athènes représente un exploit. Ces trois pays comptaient une seule médaille dans l’histoire des Jeux. A Rome, en 1960, l’Irak décrocha une médaille de bronze en haltérophilie, la seule médaille du pays sur les dix campagnes olympiques, depuis la première participation en 1936. L’Afghanistan a également participé dix fois, depuis 1936. Le meilleur résultat fut une cinquième place en lutte, en 1964. La Palestine fit ses débuts sous les anneaux en 1996 et a été présente depuis lors.

Afghanes en pantalons

Jamais auparavant, des femmes n’avaient fait partie de la délégation afghane ou palestinienne. En Afghanistan, cela fut difficile à organiser mais le CIO a été très clair : sans femme dans l’équipe, pas de subsides pour les Jeux. Cette femme ne fut pas Lima Azimi, 23 ans, dont on parla tant aux championnats du monde de Paris l’an dernier. Elle devait s’aligner dans les séries du 100 m, aux côtés de Merlene Ottey et Kelli White mais n’était vêtue que d’un t-shirt et d’un pantalon long. Elle avait couru la distance en 18 »37 avec des chaussures que les organisateurs avaient dû lui acheter, car elle avait perdu ses pantoufles de gymnastique durant le voyage. C’était par ailleurs la première fois qu’elle quittait son pays. Pour participer aux J.O. cette année, elle aurait dû suivre un stage de six mois en Iran mais elle a refusé, préférant continuer ses études.

Vendredi matin, sa remplaçante s’alignait également en série du 100 m. Cela ne fait qu’un an que Robina Muqimyaar fait de l’athlétisme. Elle s’est entraînée dans une caserne militaire, la piste autour du stade étant criblée de balles et inutilisable. Lorsqu’elle va courir, c’est voilée et en pantalon long. Même en Grèce, où elle fut invitée à s’entraîner pendant deux mois. Comment est-elle arrivée là ? Elle a simplement entendu qu’on recherchait des filles pour l’équipe olympique et s’est présentée, même si elle sait qu’avec son record personnel de 15 secondes, elle ne doit pas espérer une médaille.

La deuxième athlète afghane, Friba Razayee, 18 ans, rêvait de s’aligner en boxe à Athènes. Elle est tombée amoureuse de ce sport lorsqu’elle et sa famille étaient rentrées du Pakistan. Sur conseil de son père, elle passa plutôt au judo, par manque de sparring-partners féminins. En effet, en 2004, il est toujours inimaginable qu’un homme monte sur le ring avec une femme en Afghanistan.

Chez les hommes, le boxeur Basharmal Sultani a perdu déjà dimanche dernier contre l’Egyptien Mohamed Hikal. Pour Sultani, 19 ans, participer était plus important que gagner tout comme pour son compatriote Masound Azizi, aligné samedi dernier en séries du 100 m. Il a même pu s’entraîner avec l’ancien coach de Kostas Kenteris, le champion olympique grec du 200 m qui est suspecté de dopage. Le frère d’Azizi était l’un des deux derniers athlètes afghans qui avaient participé aux Jeux de 1996, à Atlanta. L’autre athlète avait demandé l’asile politique au Canada. Hier mardi, c’était le grand jour pour le lutteur Ahmad Bashir Rahmati, 19 ans, le cinquième Afghan de la délégation. Ces dernières années, il gagne sa vie en aidant dans le restaurant de son père et est entraîné par un ancien champion olympique japonais.

Le chef de la délégation afghane a promis que la fois prochaine, les athlètes seront encore plus nombreux. Anwar Jekdalek, qui est aussi maire de Kaboul, était judoka en 1980. En pleine préparation pour les Jeux de Moscou, il apprend qu’il doit rejoindre l’armée de résistance afghane, suite à l’invasion de son pays par l’Union Soviétique.

 » Irak is back  »

L’Irak présente une délégation plus imposante, soutenue sur les plans sportif et financier par le Comité olympique américain. C’est pourquoi ce n’est pas un hasard qu’on retrouve une femme dans la sélection. Lors des séries du 100 m, Alaa Jassim Hikmat (18 ans) s’est présentée vendredi en pantalon.

Le Comité olympique irakien a récupéré sa reconnaissance en février 2004, après avoir été suspendu au niveau international suite aux brutalités de son président, un des fils du dictateur déchu Saddam Hussein. Les athlètes irakiens ne vivent pas encore de leur sport. On a pu à peine prévoir un survêtement pour chacun et ils ont dû s’entraîner à l’étranger. Les sportifs irakiens à Athènes ont pour noms Raid Rasheed (28 ans, taekwondo), Hadir Lazame (29 ans, judo), Alaa Motar (24 ans, 400 m haies) et Ali Najah (24 ans, boxe), qui doit sa présence à l’instructeur de boxe américain Maurice Watkins. L’automne dernier, l’ancien boxeur professionnel envoyé avec le reste des troupes américaines en Irak s’est fait fort de trouver et de former un talent local à Bagdad. Le premier jour, il reçut déjà 24 candidatures. Najah lui a plu parce qu’il a dit tout de go : -Si vous cherchez quelqu’un pour les Jeux Olympiques, je suis votre homme. Watkins s’est entraîné avec un petit groupe dans une salle de Bagdad et l’a emmené ensuite à des compétitions aux Philippines, en Chine et au Pakistan. Gagner n’était pas leur fort : en mai dernier, Watkins et ses trois assistants irakiens durent concentrer leurs efforts sur un seul homme et ce fut Najah. Il se rendit dans un camp d’entraînement aux Etats-Unis. Sur son t-shirt est inscrit -Irak is back. Chez lui aussi, la célèbre phrase de Pierre de Coubertin prend tout son sens.

Par contre, Mohammed Abbas, le nageur de 26 ans, a pu goûter à un exploit sportif mardi passé. Avant le départ de sa série du 100 m nage libre, son temps était de 58 »24, soit 10 secondes de plus que Pieter Van den Hoogenband. Une minute après, il était l’homme le plus heureux de la terre en ayant remporté sa série et pulvérisé son record personnel (56 »81). Mais dans les sept autres séries, tout le monde nagea plus rapidement.

Pour vingt autres Irakiens, le séjour athénien se prolonge. Ils font partie de l’équipe olympique de football qui s’est qualifiée via le tournoi préolympique et qui a atteint les quarts de finale grâce à deux victoires lors de ses deux premières rencontres. Ces jeunes qui disputent le championnat d’Irak sauf quatre professionnels qui militent en Egypte, Syrie et Arabie Saoudite, savent maintenant que la victoire a aussi bon goût. Leur succès rend fiers leurs compatriotes, peu importe s’il ne s’agit que de quatre personnes dans une voiture, klaxonnant place Metaxourgia après la victoire. L’Irak revit quelque peu.

Geert Foutré

 » Un boxeur irakien entraîné par un GI EX-PRO « 

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