» Encore frustré par la mort de Weylandt… « 

Le 9 mai 2011, Wouter Weylandt chute et se tue dans la descente du Passo del Bocco : le responsable du service médical du Giro a vécu cette tragédie aux avant-postes.

G iovanni Tredici :  » A posteriori, ma remarque peut paraître malheureuse mais juste avant d’être au courant de l’accident mortel de Wouter Weylandt, j’ai dit à mon chauffeur et au médecin réanimateur qui m’accompagnait que la partie la plus difficile de l’étape était derrière nous… Nous étions dans les ultimes kilomètres de la descente du Passo del Bocco et nous avions quitté les routes étroites. Juste avant ce tronçon plus facile, une grappe de coureurs avait dépassé notre voiture. Wouter Weylandt en faisait partie. Notre véhicule a pris le sillage d’un groupe qui négociait plus lentement cette partie de la descente. Nous étions derrière le jury de la course, qui occupe la première place derrière le peloton. Je n’ai donc pas pu voir la chute de Weylandt.

Nous avons été immédiatement sur place : en 18 secondes, m’a-t-on dit plus tard. En le voyant étendu, ma première pensée a été qu’il était perdu, que nous ne le sauverions pas. Le moniteur a confirmé mon pressentiment : il n’a pas décelé la moindre activité cardiaque. Je suis neuro-traumatologue et il y a quelques années, j’ai décidé qu’un réanimateur devait m’accompagner, pour m’épauler. Celui-ci a entrepris des tentatives de réanimation. Le médecin urgentiste de l’équipe Garmin a aussi droit à toute ma reconnaissance pour l’aide qu’il a fournie. Peu après, l’ambulance est arrivée avec un troisième médecin réanimateur et deux infirmiers.

J’ai toujours essayé de me préparer mentalement à une situation de ce genre. Je donne d’ailleurs ce conseil à mes jeunes collègues : envisagez toutes les situations susceptibles de se présenter et veillez à avoir un scénario en tête. Que faites-vous en présence d’un athlète que vous ne pouvez plus sauver ? Médicalement, il n’y avait pas grand-chose à faire puisque son c£ur s’était arrêté de battre. D’un autre côté, on ne pouvait pas accepter que le monde entier voie ce corps étendu sur la route sans qu’on fasse quoi que ce soit « .

 » Les équipes TV ont évité de filmer des images choquantes « 

 » Je savais que dès que nous cesserions les soins, nous devrions annoncer le décès du coureur. A ce moment, je pensais à la famille de la victime. Nous avons donc tenté de le réanimer plus longtemps que nécessaire : il fallait continuer tant que la famille n’était pas au courant. Je dois remercier les équipes TV qui ont évité de filmer des images choquantes et ont patienté avant de diffuser la triste nouvelle. Ceux qui étaient là ont immédiatement compris que notre tâche était impossible.

Après une quarantaine de minutes, certain que l’organisation avait prévenu la famille, j’ai décidé de mettre fin à nos tentatives. La soirée qui a suivi a été longue : la conférence de presse, les formalités bureaucratiques, l’audition de la police… Il était passé dix heures du soir quand nous avons dîné, à l’hôtel. La télévision ne parlait que de cette tragédie. Cela reste notre soirée la plus triste.

Je n’ai pas suivi l’étape de commémoration du lendemain dans la caravane. Les organisateurs m’ont proposé de rejoindre immédiatement l’arrivée. Les réanimateurs du service médical en ont eu la possibilité également mais ils ont préféré suivre la course car il fallait un nombre suffisant de médecins. Même si le peloton n’allait pas rouler pour gagner, il fallait tenir compte d’un impondérable.

Je trouve que les organisateurs ont pris la bonne décision en faisant poursuivre le Giro. L’équipe de Weylandt a quitté la course, un choix que l’organisation a approuvé. Moi, je me sentais en état de reprendre le collier. Accomplir les tâches du quotidien me procure un grand soutien dans de telles épreuves. J’étais encore à l’université quand mon père est décédé de manière inattendue mais j’ai quand même passé mon examen. Cela m’a aidé à ne pas m’enfoncer dans mon chagrin. Chacun gère sa peine à sa façon. J’ai donc demandé à mes collègues s’ils souhaitaient continuer ou être remplacés. Finalement, ils sont tous restés.

Comme j’ai continué à suivre le Giro, je n’ai pu assister à l’enterrement de Weylandt. Je souhaite d’ailleurs profiter de cette interview pour dire à la famille à quel point j’ai partagé sa souffrance. Cela ne le fera pas revenir mais c’est important. Je tiens aussi à dire que lorsqu’il a heurté le mur, il s’est occasionné une fracture de la cheville gauche et a perdu connaissance. Cela explique pourquoi il ne s’est absolument pas protégé le visage des mains quand il a glissé sur l’asphalte. Il n’a donc pas réalisé qu’il mourait. « 

Huit médecins officient sur l’épreuve

 » Quand je me rappelle l’accident, je ressens avant tout du chagrin mais aussi de la frustration car nous avions la possibilité d’agir. Malheureusement, un effroyable concours de circonstances ne nous l’a pas permis. Wouter portait un casque mais il souffrait d’une fracture frontale du crâne, sous le casque. Je suis maintenant âgé de 68 ans et au fil des ans, je comprends de mieux en mieux à quel point la chance est importante dans la vie. Au cours de la dernière décennie, nous sommes parvenus à sauver la vie de deux spectateurs. C’est énorme, compte tenu du temps limité que nous passons au départ et à l’arrivée. Au départ de la première étape de Tirreno-Adriatico, nous avons vraiment eu beaucoup de chance. Je venais d’aller chercher mon accréditation et mes documents quand un spectateur a été victime d’un malaise. L’issue aurait pu être fatale s’il avait dû attendre quelques minutes.

Maintenant encore, il m’est difficile de parler de l’accident de Weylandt. Je lutte toujours contre les larmes. C’était le deuxième accident mortel que je vivais au Giro mais l’impact émotionnel a été très différent de la première fois, en 1986. Emilio Ravasio n’est pas mort sur la route. L’émotion causée par sa mort s’est diffusée plus lentement. Dans la première étape du Giro, Ravasio a été renversé par un autre coureur et avait bêtement chuté. Il ne portait pas de casque – ce n’était pas encore une obligation. Je l’ai examiné, il est remonté à vélo et a achevé l’étape. A l’arrivée, je suis parti examiner un autre coureur, qui avait été évacué à l’hôpital. Un Français, impliqué dans une chute massive et qui semblait plus mal en point mais sa situation a évolué favorablement. Je suis revenu à l’hôtel vers huit heures et on m’a appris que Ravasio était à l’hôpital de Sciacca. Quelques heures après l’arrivée, il était tombé dans le coma. Il souffrait d’une hémorragie cérébrale. Coup du destin, Sciacca n’avait pas de département neurologique. A l’époque, il y avait une différence encore plus grande que de nos jours dans la qualité des soins en Italie du nord et du sud. Ravasio a été évacué à Palerme, en hélicoptère et de manière peu adéquate faute de médecin urgentiste. Il y a été opéré et nous le pensions sauvé mais seize jours plus tard, Emilio est mort des suites de sa chute.

Depuis ce premier drame, nous n’avons cessé de revoir et d’améliorer le staff médical du Giro. Nous avons deux voitures, chacune avec un médecin réanimateur, une devant et une derrière la course. Notre service compte aussi quatre ambulances de la Croix-Rouge italienne. Une cinquième accompagne la caravane publicitaire et prend place avec les bus d’équipe à l’arrivée. Toutes les ambulances sont équipées d’un défibrillateur. Au total, huit médecins officient au Giro « .

 » Je ferai l’impasse sur l’étape traversant la Ligurie « 

 » Chaque accident nous encourage à réfléchir à d’autres améliorations de nos services. Nous avons ainsi une voiture spécialement équipée et un médecin qui a l’expérience des opérations de sauvetage en montagne, depuis 2009 et la chute de Pedro Horrillo dans un ravin, à plus de 70 mètres. Mon collègue était descendu et un hélicoptère avait offert son aide mais on perd un temps précieux à attendre l’hélicoptère. J’ai toujours mis l’accent sur la meilleure aide possible depuis le sol. Lors de la chute de Horrillo, j’ai poursuivi ma route pour garantir une assistance médicale aux autres coureurs. Je n’ai vu que son vélo. Le problème, c’est qu’ensuite, il m’a fallu deux heures avant de pouvoir reprendre contact avec mon collègue, le réseau GSM de la région étant très faible. Pendant deux heures, je me suis demandé si je devais annoncer une nouvelle fatale. Heureusement, ce ne fut pas le cas.

Le médecin de course doit constamment se demander d’où pourrait surgir le danger et comment il faut répartir les ambulances dans la caravane. Il faut s’adapter au déroulement de la course. On finit par développer une tactique. Avant le départ du Giro, j’étudie soigneusement le parcours. Je m’y attelle dès la fin de Tirreno-Adriatico. Ensuite, sur la carte, je cherche des routes alternatives, pour rejoindre plus vite l’arrivée ou me glisser plus rapidement derrière le peloton de tête. Je me souviens d’une étape très pluvieuse vers l’Aquila, en 2010, avec cette fameuse échappée monstre d’une cinquantaine de coureurs. Notre voiture, le médecin réanimateur à son bord, suivait le peloton de tête mais si un coureur s’était fracturé la jambe, par exemple, il n’aurait pas bénéficié immédiatement des services d’une ambulance. Le jury ne les autorise pas à dépasser le peloton. Or, la course n’a pas connu de temps mort pendant 260 kilomètres. Chaque étape peut être traîtresse.

Le 17 mai prochain, dans l’étape de Sestri Levante, le Giro retraverse la Ligurie, non loin du Passo del Bocco. Je ne suis plus toutes les étapes en voiture et celle-là fait partie de celles sur lesquelles je ferai l’impasse. Je sais que ce sera un jour pénible pour mes collègues car ils vont être confrontés à leurs souvenirs. Petit à petit, je me fais moins présent sur le terrain. Avec l’âge, je supporte moins bien le stress. En revanche, je désire continuer à assurer l’organisation du service médical et j’estime important de continuer à travailler suffisamment sur le terrain pour mieux comprendre ce qui doit être amélioré « .

PAR BENEDICT VANCLOOSTER

 » Weylandt a perdu connaissance. Il n’a donc pas réalisé qu’il mourait. « 

 » Nous avons été immédiatement sur place : en 18 secondes, m’a-t-on dit plus tard. « 

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