» En Turquie, si j’avais fait la pute j’aurais plus joué « 

Le puissant et technique nouvel ailier d’Adrie Koster retrace un parcours fait de nombreuses rencontres heureuses et de quelques moins bonnes…

Dire que Joachim Mununga a la bougeotte est un euphémisme. A seulement 24 ans, il a déjà connu en pros, Tubize, Malines, Gençlerbirligi et depuis cet été le Beerschot. Chez les jeunes, déjà, il multiplie les blasons. Entre ses débuts à Ottignies où il grandit et le Futurosport de Mouscron, s’enchaînent le Racing Jet Wavre, Oud-Heverlee, le Standard, et Tubize.

 » J’ai même fait un passage par Anderlecht. Je m’entraînais la semaine à Wavre et je jouais les matches le week-end avec le Sporting. C’est là que j’ai rencontré Pelé Mboyo, Geoffrey Mujangi-Bia et Anthony Vanden Borre.  »

Au Standard, il côtoie les Legear, Mirallas, Goreux, Witsel, etc.  » Notre génération était exceptionnelle. Malheureusement, j’étais encore jeune et j’ai fait quelques bêtises… qui m’ont exclu de l’internat du collège Saint-Véronique. On peut dire que j’avais le sang chaud. Mon père, lui, a voulu que j’assume mes erreurs et m’a dit que le Standard, c’était fini pour moi. J’avais envie d’arrêter le foot. C’est mon papyf (papy adoptif), André Remy, qui m’a conseillé de tenter le coup à Tubize. Il vient de la même région que moi. Je l’ai rencontré lors de vacances sur la Côte d’Azur. On avait pas mal discuté et, dès cet instant, il m’a encadré. Il m’obligeait par exemple à lire les journaux, il me répétait qu’il ne voulait pas que je devienne comme les autres joueurs. Je l’ai toujours consulté dans mes choix de carrière…

A Tubize, j’ai rencontré une autre personne qui a beaucoup compté pour moi : Philippe Saint-Jean. J’avais à peine 15 ans quand il m’a envoyé m’entraîner avec la Première. J’avais une énorme faim de foot. Et puis, j’avais appris la culture de la gagne au centre de formation du Standard. Cela avait des répercussions même en dehors du football, on devenait un peu élitiste. Mais sur le terrain, ça nous permettait d’avancer plus vite que d’autres joueurs.

J’ai fait de bonnes rencontres dans ma carrière, des gens désintéressés. J’ai aussi eu la chance d’avoir des parents qui ont toujours mis en avant mon épanouissement personnel et qui ne voyait pas le foot comme un investissement. En jeunes, j’ai joué avec des phénomènes qui n’ont jamais percé à cause d’un mauvais environnement ou d’un comportement déficient. « 

Peter Maes et ses insultes

A 16 ans, Saint-Jean l’emmène avec lui au Futurosport où il reste deux ans. Alors qu’il titille l’équipe première, Jo remballe une nouvelle fois ses affaires et retrouve le Stade Leburton.  » Au départ, j’étais réticent, c’était une forme de retour en arrière. Saint-Jean, Remy et mon père ont discuté ensemble de ce transfert et ont fini par me convaincre d’emmagasiner de l’expérience en D2 au lieu de quelques bribes éventuelles avec l’Excel. J’avais un peu le moral dans les chaussettes les premiers mois mais au final, j’ai vécu deux superbes saisons chez les Sang et Or avec la montée en toile de fond. Et en parallèle, j’ai décroché un diplôme en éducation physique.  »

 » J’aurais pu poursuivre l’aventure en D1 avec Tubize, mais j’ai choisi Malines même si Peter Maes m’avait dit que je ne jouerais pas beaucoup lors de la première saison. J’ai su profiter de la grave blessure de Kevin Geudens à Mouscron lors de la quatrième journée pour ne plus quitter l’équipe. Maes est un coach qui m’a fortement marqué. Il finira un jour à la tête de l’équipe nationale. Partout où il passe, il fait des résultats. Et il continuera à en faire, j’en suis persuadé.

Sa grande force, c’est d’arriver à sortir le maximum de chaque joueur en le provoquant, en l’insultant même. Il laisse aller ses émotions et le joueur finit par répondre. Ça peut parfois aller très loin, jusqu’à des empoignades entre le coach et le joueur. Mais Maes n’est pas rancunier pour un sou. Quand il insulte quelqu’un, il sait ce qu’il fait, il met la pression, il veut voir son joueur sortir de ses gonds. Ce sont des méthodes particulières mais je reste convaincu que c’est un grand coach. À mes débuts, avant que je n’intègre l’équipe, on s’est embrouillé de façon assez… énergique. Il m’avait dans le viseur depuis un petit temps jusqu’à ce que je finisse par être à bout et que je dégage de rage un ballon. S’en est suivi un tête contre tête. C’est Frédéric Renote, le préparateur physique, qui a dû nous séparer. A l’époque j’étais encore un peu trop ghetto youth et j’avais décidé d’aller jusqu’au bout des choses avec lui. Jusqu’à ce qu’il se mette à rire et me balance : – Voilà, enfin tu réagis ! C’est ça que j’attends de toi, que tu sois un homme, que tu aies des choses à dire.  »

Marc Brys, un coach charismatique

Mununga fait forte impression dès sa première année en D1. Malgré un statut de rookie, les gros cubes l’ont dans le viseur. Un rendez-vous est même organisé entre le Standard et la direction malinoise. Alors que le joueur est flatté de la proposition, les deux clubs ne trouvent pas d’accord. Mununga reste donc derrière les casernes.  » J’ai alors fait la rencontre de Marc Brys, un des coaches les plus charismatiques que j’ai pu rencontrer. Très vite, il met tout le monde d’accord : – C’est moi le plus fort, c’est moi le boss. Ma relation avec lui était excellente, il m’a même confié le brassard de capitaine mais j’ai rapidement eu envie d’un nouveau challenge, je ne pensais plus pouvoir franchir un palier au KV.  »

En janvier 2011, Mununga opte pour Gençlerbirligi où il paraphe un contrat de trois ans et demi.  » L’aspect financier a énormément joué dans ce transfert, ce serait idiot de dire le contraire. Mon salaire était multiplié par… beaucoup, je ne saurais même pas vous dire exactement. Mes parents ont toujours géré mes revenus. Mon père n’était pas tellement d’accord que je devienne footballeur. Dans la famille, ils sont tous universitaires et mon père ne voulait pas que je me retrouve sur la paille après ma carrière. Il a donc décidé de gérer mes revenus, mes investissements. Au départ, j’étais un peu dégoûté. Je ne pouvais pas vivre comme les jeunes joueurs de mon âge qui s’achetaient de belles voitures. Moi, c’était la voiture du club. Finalement, il m’a laissé acheter une belle Opel, mais pas question d’opter pour une BMW ou une Mercedes qu’il trouvait trop m’as-tu-vu. Je voulais aussi un appartement mais vu que mon père n’en voyait pas l’utilité, je vivais dans la maison familiale. C’était une manière de contrôler mes agissements. Il me laissait du lest, mais je ne pouvais pas sortir comme je le voulais. Il me répétait souvent : – C’est pas un hôtel ici ! Aujourd’hui, je l’en remercie même si les conflits ont été nombreux.  »

La Turquie et les magouilles

Janvier 2011, départ pour l’Asie et Ankara, ville tentaculaire de quatre millions d’habitants.

 » En signant à Gençlerbirligi ( NDLR : qui débourse 1,3 million d’euros), je me suis dit que ça pouvait être un bon tremplin pour un grand club turc. Ma famille et moi avons été rapidement séduits par le projet. Les installations étaient incroyables, aucun club belge ne dispose d’un tel complexe. Malheureusement, je me suis rapidement blessé aux ischios. Mentalement, j’ai pris un coup sur la tête. Malgré ça, j’ai réintégré l’équipe quelques semaines plus tard. Ça s’est plutôt bien passé jusqu’à ce que Fuat Capa ( NDLR : entraîneur belgo-turc passé notamment par Beringen et le Patro Maasmechelen) ne débarque. Même s’il mériterait que je le salisse un petit peu, je n’ai pas envie de rentrer dans les détails de ce qui s’est réellement passé. Mais grâce à lui, j’ai appris que le foot, c’est aussi du business. En Belgique, je n’en avais pas véritablement conscience, je ne savais pas qu’un entraîneur pouvait lui aussi entrer dans le jeu de quilles. Je savais qu’un manager devait gagner sa vie, qu’un dirigeant aussi mais je n’étais pas conscient qu’un coach aussi prenait de l’argent sur les transferts.

A son arrivée, je ne comprenais pas pourquoi je ne jouais pas. Capa m’a rassuré, m’a dit que je travaillais bien, etc. Peut-être que si j’avais fait la pute, j’aurais joué davantage et je me serais sorti de cette situation. Dans ce milieu, il vaut mieux travailler avec un fauve qui est prêt à se battre avec les fauves. Mes parents et moi, nous étions peut-être trop naïfs. On croyait encore qu’une bonne poignée de main avait de la valeur. Quand j’ai appris ce qui se tramait, j’ai été soulagé, je n’avais plus qu’à attendre que l’aventure se termine.

Je retiens toutefois beaucoup de positif de mon expérience turque : j’ai découvert une autre culture, j’ai été plongé dans un pays musulman. Je n’y ai jamais été victime de racisme alors qu’on m’a raconté les pires histoires. En Turquie, si t’es correct avec tout le monde et que tu montres que tu as du caractère, on te respecte. Le peuple turc est très chaleureux mais si tu insultes le pays, tu peux t’attendre à avoir de très gros problèmes, parfois démesurés ( il rit). Là-bas, j’ai grandi énormément en tant qu’homme. Et puis, je n’étais pas tout seul. J’ai eu le soutien de ma fiancée qui m’a rejoint après ses études d’interprétariat et mes parents me rendaient régulièrement visite. Mes potes de l’équipe Espoir ( Carcela, Benteke, Mboyo, Boyata, Vadis) prenaient souvent de mes nouvelles. C’est sportivement que j’ai galéré.

Avec le recul, j’ai compris pas mal de choses, que beaucoup se décidait en coulisse, même en Belgique. Pourquoi tel joueur est pris et pas l’autre. Maintenant, je comprends… Voilà pourquoi il faut être bien entouré dans ce milieu. T’as beau être Maradona si tu n’as pas les bonnes personnes pour te conseiller, tu vas avoir énormément de difficultés à percer. C’est un monde de requins. J’ai pas fait math 6, je me prends pas pour ce que je ne suis pas, mais je suis conscient d’avoir reçu une bonne éducation. A Malines, avec Xavier Chen et Julien Gorius, on pouvait avoir des discussions intéressantes qui sortaient du cadre foot. Mais c’est loin d’être tout le temps comme ça… Il devrait y avoir davantage de formateurs comme Saint-Jean pour faire grandir les jeunes. Parce que c’est vrai que ça ne vole pas très haut.  »

Entre Bruges et le Beerschot

 » En rejoignant cet été le Beerschot, j’ai fait un effort financier, tout comme le Beerschot en a fait un. De prime abord, je n’étais pas emballé par la destination d’autant que Bruges était aussi dans la danse. J’avais discuté avec Vincent Mannaert mais je voulais partir en vacances l’esprit serein. J’ai donc fini par accepter le Beerschot, un peu à contrec£ur. Revenir à Malines ? Ça n’a jamais été une éventualité. J’ai le sentiment que le KV n’a jamais passé de palier alors que c’est le dernier club belge à avoir gagné une coupe d’Europe, et qui peut compter sur des supporters en or. A un moment, il faut penser à leur rendre leur soutien. Mais c’est l’inverse qui se produit : tout le monde s’en va. Si on remet Nong, Gorius, Buyens, Persoons, Ivens et moi, dans l’équipe, on joue pour être champion.

Lors de nos entrevues, les dirigeants du Beerschot m’ont affirmé toutes leurs ambitions. Ils m’ont dit qu’ils voulaient transférer Stijn Wuytens du PSV, avec qui je jouais en Espoir, Elimane Coulibaly, Funso Ojo, qui a aussi transité par Eindhoven, etc. Ça me paraissait fou mais ils ont tenu leurs promesses.

Je ne veux pas m’éterniser en Belgique, j’aimerais regoûter à une expérience à l’étranger mais j’avais besoin de souffler. Ce n’est pas évident de ne pas faire la pute pendant autant de temps. A un moment, tu te demandes si tu ne dois pas jouer le jeu. Heureusement, je n’ai pas cédé. « 

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: KOEN BAUTERS

 » J’ai compris que le foot est un business. « 

 » Je ne veux pas m’éterniser en Belgique, j’aimerais regoûter à une expérience à l’étranger. « 

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