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 » En snowboard, la créativité est sans limites « 

En 2018, Seppe Smits (26 ans), champion du monde en titre en snowboard slope style, sera notre principale chance de médaille aux Jeux d’Hiver. Il nous parle de son sport et de la manière dont il le vit. Ainsi que de son plus grand plaisir : la poudreuse.

Seppe Smits :  » Les paysages hivernaux sont magnifiques. Le nord de la Suède, la nature sauvage de la Nouvelle-Zélande, les Rocheuses au Colorado ou, l’année dernière, Corvatsch, en Suisse : j’avais une vue fan-tas-ti-que sur un lac et dix sommets de plus de 4.000 mètres. En plus, il avait beaucoup neigé la nuit. Voir tomber la neige suffit déjà à m’enchanter, même si glisser sur la poudreuse, sur une belle couche vierge où nul n’est encore passé, est encore mieux.

J’éprouve alors un sentiment indescriptible de liberté. Je plane littéralement sur la neige. Le crépuscule est encore plus spécial. J’ai vu mon plus beau pendant une séance de photos à Levi, au nord de la Finlande. Généralement, nous ne disposons que de vingt minutes pour faire quelques numéros en vitesse mais nous étions déjà en mai et le soleil mettait près de trois heures à se coucher. Une expérience unique.

Est-ce comparable à un sacre mondial ? Difficilement. Glisser sur la neige au coucher du soleil est un plaisir pur, alors que quand on prend conscience qu’on gagne une compétition, surtout un Mondial, l’adrénaline gicle dans le corps, avec un pouls à 160, 170. C’est aussi un sentiment de joie. Comme si on ne pouvait plus s’arrêter de rire.

Je n’ai même pas besoin de gagner : réussir un atterrissage devant 10.000 personnes est très particulier. Parce qu’avant, on est tellement concentré qu’on n’entend rien du tout. Puis, à l’atterrissage, c’est comme si la porte d’une discothèque s’ouvrait. Ça confère un kick inouï. Il y a quelques années, j’ai effectué un saut en duo d’un avion mais comme je ne contrôlais rien, j’avais trouvé ça plutôt monotone : 60 secondes de descente avec la même vue en permanence, sans un seul looping. La prochaine fois – c’est sur ma bucketlist -, je sauterai seul. Ça doit être super cool.  »

De plus en plus fou

 » Ce qui m’attire en snowboard, c’est la possibilité de développer mon style personnel. Vous pouvez demander à dix riders revêtus de la même tenue d’effectuer un saut et je pourrai les identifier tous. La créativité n’a pas de fin. Il y a de centaines de trucs différents qu’on peut exécuter de plusieurs façons. On observe des variations chaque année et le niveau ne cesse de progresser. Les numéros novateurs de 2012 sont devenus standard. Parfois, on dit que la limite a été atteinte. C’est une erreur que je ne commets plus. Dans le passé, j’ai remarqué que le niveau ne cessait de croître. Il faut toujours penser que ça va devenir plus fou.

Je vais participer au slope style et au big air à Pyeongchang. Je préfère la première discipline. C’est celle où j’ai obtenu les meilleurs résultats.  » Seppe Smits

D’autres riders ont déjà exécuté 95 % de mes numéros. Je les étudie en images, je visualise l’exercice et je tente de le personnaliser. On n’appelle pas un nouveau numéro du nom de la personne qui l’a exécuté la première fois, contrairement à ce qui se fait en gymnastique, avec le fameux Nina Derwael.On le dénomme en fonction de la direction, de l’axe – combien de fois on s’incline -, et du nombre de rotations, exprimé en degrés. Par exemple le backside, double cork, 1080. Un cran plus haut, il y a le backside, triple cork, 1440.

J’ai déjà quelques nouveaux numéros en tête pour la piste de Pyeongchang, qui favorise la créativité, mais je n’en préserve pas le secret vis-à-vis de mes collègues. Tout le monde se connaît et sait ce que les autres sont capables de faire, selon leur style. Il est rare que nous soyons vraiment surpris. Ce n’est pas non plus parce que nous voyons quelqu’un essayer quelque chose de nouveau à l’entraînement qu’on le copie. Non, il faut innover, suivre sa propre stratégie.  »

Des cuisses en béton

 » Il y a encore dix ans, la préparation physique des snowboarders ne représentait pas grand-chose mais elle s’est professionnalisée avant les Jeux de Sotchi, les premiers à reprendre le slope style. Pour pouvoir exécuter ces sauts de plus en plus complexes, il faut être très fort, à tous points de vue.

L’été est la période la plus importante. J’effectue trois à quatre séances physiques par semaine, sous la direction de mon oncle, un kinésithérapeute. Ça va d’une heure et demie de course, avec des intervalles, à deux ou trois heures de vélo. Les autres jours, je m’adonne à la musculation. Je dois surtout renforcer les cuisses et les fessiers, ainsi que les muscles soutenant les genoux, qui encaissent des chocs énormes à chaque atterrissage. Une musculature solide permet en outre d’être plus explosif à la détente. De temps à autre, je soulève des charges lourdes mais la plupart des exercices se font avec un gros ballon, pour m’obliger à chercher constamment mon équilibre.

D’autres muscles sont importants : les mollets et les muscles entourant les chevilles, pour négocier les tournants, les abdominaux et les dorsaux pour arrêter la rotation à l’atterrissage ou l’amorcer. Les muscles du cou et des épaules préviennent le déboîtement de l’épaule en cas de chute ou le coup du lapin, qui nous oblige à garder le lit une semaine. Les muscles les moins employés et donc les moins exercés ? Mes bras, tout minces, même s’ils doivent quand même avoir une certaine force.  »

Entraînement sept jours sur sept

 » Je m’entraîne trois à quatre heures par jour, sept jours sur sept, en comptant la prévention des blessures et le stretching, que j’effectue souvent via le yoga, pas pour son aspect spirituel mais parce que les exercices sont plus variés et plus amusants. C’est énorme, en effet, même si je ne suis pas un fana des chiffres. J’ai recours à un pulsomètre pendant les séances de condition mais mes wattages, mon pourcentage de graisse ? Je n’en sais rien.

A l’étranger, je passe régulièrement quatre semaines sans voir une balance. Je me nourris sainement et en suffisance car je consomme énormément d’énergie. Surtout quand, dans mon survêtement de snowboard, avec mes grosses godasses, je dois grimper à plusieurs reprises un monticule de cinq mètres, dans les meetings big air. Il vaut mieux ne pas être trop lourd pour ne pas accroître l’impact. Je pèse environ 68 kilo pour 1m80. Je suis dans la moyenne. Un très bon Finlandais ne mesure que 1m65 et un autre très bon Belge, Sebbe De Buck, fait 1m95. Il n’y a donc pas de taille parfaite dans notre sport.

Ce n’est pas parce que je suis champion du monde en titre que l’or olympique, ou même une médaille tout court, est une formalité.  » Seppe Smits

Je suis déjà tombé des dizaines de fois. Récemment, une rafale m’a donné un coup d’arrêt en plein saut et j’ai durement atterri sur le genou. Je me suis occasionné un hématome osseux mais il ne posera pas problème pour Pyeongchang. Pour le même prix, j’aurais pu me déchirer un ligament du genou, ce qui est beaucoup plus grave qu’un coup ou même qu’une fracture car un ligament ne se rétablit jamais complètement.  »

Oublier sa peur

 » Heureusement, jusqu’à présent, je n’ai eu que de petites déchirures -aux ligaments croisés, au ménisque, aux ligaments latéraux- et je n’ai jamais dû subir d’opération. Je me suis aussi fracturé les deux clavicules et l’humérus. Ma première fois, je n’avais que treize ans. Jamais je n’avais autant souffert : il y avait trois centimètres entre les deux morceaux. Mon seuil de douleur n’était pas encore très élevé non plus !

Les chutes font partie du snowboard. On prend constamment des risques calculés mais ça reste angoissant. Surtout quand, en l’air, on remarque qu’on est trop loin et qu’on ne peut plus freiner. On se maudit et on essaie de limiter l’impact du crash, en atterrissant de la meilleure façon possible : en roulant ou en se laissant tomber pour atterrir partiellement sur le dos, pour que les genoux ne doivent pas encaisser tout le choc. Quand on chute lourdement malgré tout, on a besoin de cinq minutes pour reprendre ses esprits, en espérant que la douleur initiale s’estompe et que rien ne soit abîmé.

Il faut ensuite plusieurs jours pour se remettre, transformer la peur en adrénaline pour réessayer le même numéro. Même sans chute, quand j’effectue un nouveau truc, je dois en augmenter progressivement la difficulté pour avoir plus d’assurance, de me défaire de la peur. Si je ne me défais pas de cette crainte, je ne dois pas essayer un nouveau numéro car je risque de tomber. Pour rester sur ses pieds, il faut être prêt mentalement. Mon tuyau ? Visualiser. Me repasser mentalement le déroulement de l’exercice pour ne pas me laisser surprendre ni perdre ma trajectoire aérienne la première fois que je l’exécuterai.  »

La concentration, clé du succès

 » Je visualise aussi mes exercices un par un avant chaque compétition. Les jours qui la précèdent et une minute avant le départ. Je bavarde généralement avant une épreuve car il ne faut pas trop réfléchir. Puis, juste avant le départ, je me concentre. Je me retire dans ma bulle et je bloque toutes les interférences extérieures. Ce qui est étrange, c’est qu’on a l’impression de passer beaucoup plus de temps en l’air qu’en réalité : mon saut le plus long ne dure que deux secondes et demie. Et en cas d’erreur, on a le sentiment que c’est une éternité. On se concentre sur tellement de choses que c’est comme si le temps s’arrêtait : comment le corps bouge, à quelle hauteur, combien de temps il reste avant l’atterrissage, comment retomber…

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Seppe Smits: ‘ » Le milieu du snowboard est très soudé : en compétition, nous sommes tous logés au même hôtel et le soir, nous nous retrouvons à la même table et au bar. « © KAAT DE MALSCHE / RED BULL CONTENT POOL

Quand tout se déroule à la perfection, on peut encore décider, en plein saut, de réaliser un tweak supplémentaire. Sans vraiment réfléchir. Après des milliers de sauts, le cerveau est en pilotage automatique et ordonne aux muscles de faire ceci ou cela. Je n’ai jamais le sentiment de voler ni d’être en apesanteur. Je sens toujours la force d’attraction. Malheureusement. (Rires)

Cette concentration est la clef du succès. En matière de technique et de physique, tous les snowboarders se valent. Tout l’art consiste à s’adapter aux circonstances, en changement constant : le parcours, la météo (vent, brouillard, pluie, plein soleil…). Je ne suis jamais stressé parce que je suis tellement perfectionniste que je n’exécute un exercice en compétition que quand je le maîtrise à 100 %.

Une seule fois, lors des Jeux précédents, j’ai eu un instant un drôle de sentiment. Mais j’ai quand même achevé le run que j’avais en tête. Malheureusement, le jury m’a accordé juste trop peu de points pour atteindre la finale. Ce n’était pas une question de pression négative. Je n’ai pas besoin d’un coach mental. Jusqu’à présent, je m’en suis bien passé alors pourquoi changer mes méthodes ?  »

Pas de mal du pays

 » L’année dernière, j’ai passé 256 jours à l’étranger et, cette année, j’en suis à 220 car j’ai dû effectuer une rééducation en Belgique, suite à une opération. Mais je ne connais aucun snowboarder qui a le mal du pays et ce n’est certainement pas mon cas. Je sais que je peux toujours compter sur mes copains ici. Nous nous voyons le plus souvent possible quand je suis à Westmalle, notamment pour la Noël. La vie estudiantine et ses sorties ? Je n’en ai pas eu et je n’en ai jamais eu envie. Au contraire, j’ai toujours pensé que ma vie de snowboarder était plus belle. Mon sport ne me rendra pas riche mais je n’aurais pas voulu m’en passer pour tout l’or du monde.

Fonder une famille, c’est pour plus tard. J’ai une amie depuis cinq ans mais je ne craque pas quand je passe trois semaines sans voir Kaat. Elle ne souffre pas non plus de mes nombreuses absences. Ça ne serait pas le cas de toutes les filles mais elle a sa propre passion, la photographie. De temps en temps, je l’emmène en montagne et pendant mes périodes de repos, nous partons ensemble à la découverte du monde. Ça compense beaucoup de choses. Nous ne pensons pas encore aux enfants. Je n’ai que 26 ans et je veux profiter de ma liberté.

Si je ne souffre pas du mal du pays, c’est aussi parce que j’ai un cercle d’amis en snowboard. Nous sommes très liés. En compétitions, nous logeons dans le même hôtel et nous nous retrouvons tous les soirs à table et au bar. Nous parlons de nos centres d’intérêt, de nos familles, des choses de la vie. En anglais, c’est la langue véhiculaire. Aux États-Unis, il m’arrive même de loger chez des collègues. Il n’y a pas de clivage de nationalités. Les Américains ne me considèrent pas comme une curiosité parce que je suis belge. Ils ne savent même pas qu’il n’y a pas de montagnes en Belgique.  » (Rires)

Je mise sur une bonne finition alors que d’autres préfèrent des exercices plus spectaculaires, quitte à les exécuter moins bien.  » Seppe Smits

Tous fans les uns des autres

 » Au fond, nous sommes tous fans les uns des autres. Concurrents aussi, mais nous n’espérons pas que l’autre chute ou rate sa prestation. Même juste avant une compétition, nous nous souhaitons bonne chance, dans la riderslounge. L’ambiance n’est pas tendue comme dans la salle d’attente en natation. Et quand quelqu’un réussit un truc fou, nous sommes tous euphoriques. La jalousie ? Elle est quasi inexistante parce que nous nous adonnons à un sport dangereux et que nous sommes conscients des risques.

Il y a une certaine pression sur moi avant les Jeux parce que je suis le candidat belge à une médaille mais ce n’est pas parce que je suis champion du monde en titre qu’une médaille d’or ou une médaille tout court s’apparente à une formalité. Au Mondial de cette année, par exemple, tous les ténors n’étaient pas présents alors qu’ils seront tous à Pyeongchang. En outre, c’est très serré. Tout dépend des conditions. Il est beaucoup plus difficile de prédire un podium en snowboard qu’en athlétisme ou en natation, des sports dans lesquels les plus costauds s’imposent généralement.

Mon premier objectif est de me qualifier pour la finale avec un exercice relativement contrôlé. Ensuite, je tenterai le tout pour le tout. Je ne jouerai pas la sécurité car ça ne me permettrait pas de monter sur le podium mais même avec un numéro parfait, je dépends des autres.  »

Slope style et big air

 » A Pyeongchang, je vais participer au slope style et au big air, qui fait son entrée au programme olympique. Je préfère le slope style, où j’ai obtenu mes meilleurs résultats, avec deux titres mondiaux. C’est la discipline la plus prestigieuse car le résultat dépend moins du facteur chance. En big air, les plus audacieux sortent leurs trucs les plus fous en un seul saut. On retient les deux meilleures tentatives. Si quelqu’un atterrit bien lors de ses deux premiers exercices, il peut créer la surprise au troisième s’il réussit un truc complètement fou. En slope, les favoris émergent plus systématiquement. Il faut atterrir six fois sur six – on a droit à deux essais – dans les trois rails et les trois sauts. Il s’agit donc d’être solide et régulier.

L’exécution de plusieurs numéros un peu moins spectaculaires est ce qui me réussit le mieux. J’essaie d’être clean : de bien tenir ma planche du début à la fin, d’atterrir en ligne droite et non en tournant… Je mise sur une bonne finition alors que d’autres préfèrent des exercices plus spectaculaires, quitte à les exécuter moins bien. Le score le plus bas et le plus élevé sont supprimés pour diminuer les préférences des membres du jury, même si son appréciation reste subjective.

Je vais quand même sortir mes deux exercices les plus audacieux en big air. Qui sait ? Je serai peut-être la surprise. Et je gagnerai peut-être deux médailles. Avant les Jeux de Sotchi, le bourgmestre de Westmalle avait promis d’organiser une grande fête avec de la Trappiste gratuite si je revenais avec une médaille et si elle était en or, j’avais une statue. Je me demande si sa promesse tient toujours. Je devrais peut-être passer à la maison communale avant mon départ.  » (Rires)

© BELGAIMAGE

Le mérite sportif flamand

Hier, Seppe Smits a reçu le Vlaams Sportjuweel 2017. Cette distinction unique est attribuée chaque année par les autorités régionales à un sportif flamand ayant réalisé une prestation marquante ou achevant une carrière exceptionnelle, un peu à l’image du Mérite Sportif national.  » J’ai déjà été élu deux fois Figure sportive de la province d’Anvers, en 2011 après mon premier titre mondial, et en 2012. Ma commune, Westmalle, m’a aussi élu Sportif de l’Année mais ceci est mon premier prix à un niveau plus élevé. Pourtant, la concurrence était rude. Il y avait notamment Nina Derwael, soutenue comme moi par l’ancien Bloso. Ma longévité au top aura certainement joué autant que mon titre mondial. J’ai déjà 26 ans. C’est jeune dans la vie normale mais en snowboard, je fais déjà partie des vieux, même si je ne le sens pas, ni physiquement ni mentalement. Même si je gagne une médaille olympique, je continuerai. Et qui sait ? En 2018, je serai peut-être élu Sportif de l’Année ! « 

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