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 » En Roumanie, le fait qu’on m’appelle Bison, ça les mettait en transe « 

1m84, 95 kilos en poids de forme et cinq lettres qui résument finalement assez bien le personnage. Harlem-Eddy Gnohéré, dit  » Bison « , a connu la D4 suisse et la Ligue des Champions. Les régimes weight watchers et les virées au McDo. Côtoyé Blaise Matuidi et Thomas Meunier. Rencontre avec un sac à souvenirs.

Quand on vient de Bruxelles, il faut prendre la route de l’aéroport de Charleroi pour partir à la rencontre d’ Harlem-Eddy Gnohéré. La métaphore se fait toute seule, pour un joueur dont la trajectoire de vie est un voyage. Ou une galère. Question de point de vue. Parce qu’on peut avoir 32 ans et se satisfaire d’un cheminement tortueux. Passé dans le désordre par la Suisse, la Roumanie, Virton, Charleroi, Westerlo, Mouscron et Mons, Bison Gnohéré est un collectionneur d’aventures. Et s’en raconte à coeur ouvert, comme on s’allonge chez le psy. Dans un beau canapé, forcément.

Même si j’ai 32 ans, je peux encore devenir un des meilleurs attaquants de Belgique.  » Harlem Gnohéré

Harlem, tu es arrivé en 2010 chez nous, tout le monde connaît ton surnom, mais personne ne connaît bien ton histoire. Comment un gamin de la banlieue parisienne se retrouve à partir à Cannes pour faire ses débuts ?

HARLEM-EDDY GNOHÉRÉ : Je voulais suivre les traces de mon frère, qui est devenu footballeur pro à Cannes quand j’étais encore gamin. Il a dix ans de plus que moi, c’était mon idole. Son premier match, un de ses seuls en Ligue 1, c’était contre le PSG, au Parc des Princes. Je suis dans le stade et sur le terrain, il y a Raï et mon frère. Quand tu vois ça, tu te dis que toi aussi tu veux faire ce métier-là. Moi, jusqu’à mes douze ans, je n’avais pas de centre de formation. Je traînais dans le quartier, je jouais à Montgeron, un mini-club de banlieue. Et puis, un jour, je me suis fait repérer par des recruteurs. Je pouvais choisir entre Moissy-Cramayel ou Brétigny-sur-Orge, mais mon père trouvait que c’était trop loin parce que je devais prendre le train pour y aller. En fait, il voulait surtout que je quitte la région parisienne. Et clairement, c’est la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Si je n’étais pas parti à Cannes six mois plus tard, j’aurais peut-être fini en prison, comme mon meilleur ami. On était cul et chemise lui et moi, c’est pour ça que mon père voulait que je parte de Paris. Quelque part, je crois qu’il m’a sauvé de la galère en me poussant à quitter cette vie-là. Ça a été dur, j’en ai pleuré pendant une semaine entière au moment de mon départ. Et à chaque fois que je rentrais sur Paris pour les vacances et que je repartais à Cannes, c’était le même déchirement. Mais je n’en parlais à personne. Surtout pas à mon père. J’avais peur de parler de ça avec lui. Je crois que c’est lié au fait que je viens d’une famille très pudique.

Est-ce que ce n’est pas d’autant plus dur de montrer ses émotions quand on a grandi, comme toi, très tôt dans un corps d’adulte ?

GNOHÉRÉ : Si, je pense. À douze ans, je faisais déjà 1m80… Les gens ne se rendaient pas toujours compte de l’âge que j’avais et ne prenaient du coup pas beaucoup de pincettes avec moi. Déjà à l’époque, j’avais l’impression que le fait d’être grand ne m’autorisait pas à me plaindre du manque de mes parents. J’étais livré à moi-même, mais j’étais comme interdit de le dire. Il me manquait un grand frère. Ça a été plus facile en grandissant. À Caen, puis à Troyes, où j’avais une bonne relation avec Blaise Matuidi, notamment, qui m’a un peu pris sous son aile.

À 18 ans, tu décides de quitter l’Aube pour débarquer en Suisse, en division 4…

GNOHÉRÉ : À la base, je débarque en janvier à Lausanne parce qu’un agent m’appelle pour me dire qu’un bon club de troisième division qui vise la montée cherche un attaquant de mon profil. Sauf que sans le savoir, je viens de quitter Troyes et de rompre mon contrat pour débarquer dans un club de quatrième division ! J’en ai voulu à cet agent, mais le fait est que l’encadrement sur place était pas mal, donc je suis resté. Je gagnais mille euros par mois, ce n’était pas la grande vie, mais j’ai planté 21 buts en six mois en jouant milieu droit. C’était foireux, mais c’était bien. Mieux qu’à Tour Le Paquier, en D3, où je signe dans la foulée. Je gagnais le double sans les primes, mais les infrastructures étaient nulles. Je crois même qu’ici, à Gouy-lez-Piéton, où je vis, le terrain est en meilleur état. Mais bref, je suis resté six mois sur place avant de signer chez le rival, au FC Bulle. Je m’étais fait remarquer par Stéphane Henchoz , un ancien de Liverpool, qui était directeur sportif. L’encadrement était plus professionnel et il venait de vendre un attaquant aux Young Boys. Ça avait tout du bon tremplin. Le problème, c’est que je fais une saison à seize buts, mais que derrière, je n’ai aucune proposition et que pire, le club décide de ne pas me garder. Je trouvais ça injuste. Un Suisse aurait été vendu, mais un Français, noir, ça n’allait pas. Là, je me suis dit que j’allais tout arrêter.

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 » Westerlo ? C’est Mehdi qui m’a forcé à y aller  »

Après ton passage réussi à Virton (voir encadré), tu débarques à Charleroi. Là-bas, tu planteras 18 buts et tu finiras meilleur buteur de D2. C’est là que tu prends réellement conscience de tes qualités ?

GNOHÉRÉ : Je me souviens encore de ma première rencontre avec Mehdi Bayat. Je me suis retrouvé à manger à Namur avec lui par l’entremise de Frank Defays. C’est Mehdi qui m’a offert mon premier contrat pro. D’un coup, je me retrouvais à gagner 7.000 euros, hors primes. Et ce n’était pas taxé comme en D1. En fait, à Charleroi, j’ai mieux gagné ma vie en D2 qu’en D1. Et pourtant, je ne jouais pas, au début. Moussa Gueye a planté 17 buts en cinq mois, je n’avais pas voix au chapitre et puis progressivement, je me suis fait ma place. Et à mon tour, j’ai inscrit quatorze buts rien que sur le second tour. Ça a favorisé la montée en D1.

Dans la foulée de votre montée, il y a l’arrivée de Yannick Ferrera à Charleroi. Comment expliques-tu qu’avec lui, comme avec Felice Mazzù plus tard, ça ne collera jamais vraiment ?

GNOHÉRÉ : Pour deux raisons différentes. Le coach Ferrera, je n’aimais pas la manière dont il me parlait. Je n’étais pas assez mature pour concevoir qu’un coach plus jeune que mon frère puisse me parler comme ça. Avec le recul, je crois que c’était pour mon bien, mais je le trouvais très hautain. Tactiquement, il était vraiment bon, mais humainement, c’était plus compliqué. Moi, je n’ai jamais eu une grosse VMA et dans cette équipe de Charleroi où l’on devait beaucoup courir, ça ne fonctionnait pas. J’ai toujours été un joueur fait pour un football dominant. On l’a vu en Roumanie, par la suite. Avec Felice, c’était différent. Lui, je lui en ai voulu parce qu’un jour, je l’ai croisé dans un restaurant à Gosselies et qu’il m’a sorti le grand jeu.  » Je te voulais déjà au White Star, je sais comment t’utiliser, je vais te faire jouer « . Faux, il ne m’a jamais fait jouer. Avec lui, je n’étais pas titulaire, mais il réussissait à me faire croire que je l’étais. Dans l’approche, c’était de l’anti-Ferrera. Le coach Mazzù, il était incroyable humainement.

Entre Yannick Ferrera et Felice Mazzù, il y a ce prêt à Westerlo. Comment un Français qui ne parle pas le néerlandais, qui a grandi à Paris et a horreur des petits bleds, se retrouve à accepter de partir à Westerlo ?

GNOHÉRÉ : C’est Mehdi qui m’a forcé à y aller. C’était à la veille d’un match. Je m’entraînais à l’écart du groupe avec deux autres joueurs à la demande du coach Ferrera. J’ai été voir Mario Notaro, en lui disant que si c’était comme ça, je rentrais chez moi. Sauf qu’on était en bus. Du coup, je suis allé attendre que l’entraînement se termine et c’est là que Mehdi est venu me voir. Il m’a dit qu’il allait trouver une solution. Dans la foulée, il me propose Westerlo, en D2. Pour moi, il me racontait des bêtises. Je ne concevais pas de redescendre d’un étage. Sauf que Mehdi, il est trop fort. Ce n’est même pas convaincant qu’il est, ça va plus loin. Il rentre dans ta tête. Il a insisté pendant des jours, il me harcelait au téléphone, il a même appelé ma femme. Finalement, j’ai éteint mon téléphone pendant trois jours et je suis parti à Paris pour réfléchir. Quand je suis revenu, je lui ai dit que j’avais bien pesé le pour et le contre et que c’était mort. Deux heures plus tard, j’étais dans les bureaux, à Westerlo, en train de signer mon contrat. Tu ne peux pas dire non à Mehdi Bayat. Et pourtant, j’aurais dû. Je pense que j’ai été élu pire transfert de l’histoire du club à Westerlo. Même le président me l’avait dit.

Mehdi Bayat, il est trop fort. Il rentre dans ta tête. Il insiste pendant des jours, il te harcèle au téléphone, il appelle ta femme : tu ne peux pas lui dire non.  » Harlem Gnohéré

 » Un test, sérieusement ?  »

Cet échec ne plaidera clairement pas ta cause dans le Pays Noir. Pas beaucoup plus que ton prêt pourtant plus concluant du côté de Mouscron, entre janvier et juin 2014. Comment s’est passé la rupture avec Charleroi ?

GNOHÉRÉ : Avant même de partir à Mouscron, Mehdi avait été clair avec moi sur le fait qu’il ne me prolongerait pas. Mes cinq buts en dix matches avec l’Excel n’y changeront rien. C’est la première fois qu’un club ne voulait plus de moi. Évidemment, mon ego en a pris un coup. D’autant que je venais d’avoir mon premier petit garçon quand Mehdi m’a dit que c’était fini. Sur le coup, j’ai un peu paniqué. Parce que je me disais que si je ne faisais pas six bons mois à Mouscron, c’était peut-être déjà la fin.

Finalement, ton prêt réussi à Mouscron te permet de rebondir à Mons. Un transfert en forme de cadeau empoisonné, puisque tu connaîtras la faillite de l’Albert. C’est suite à cet épisode que tu te dis qu’il est temps d’aller voir ailleurs ?

GNOHÉRÉ : À Mons, je mets douze buts en six mois, on est dans les six premiers du championnat et puis, en décembre, le jour du dernier match de championnat avant la trêve, Pierre François vient nous voir dans le vestiaire après une victoire pour nous dire qu’on va toucher deux salaires d’un coup. Je m’en souviendrai toujours. On était juste avant Noël. J’étais avec Yannick Loemba, on est devenus fous. C’était incroyable ! D’un coup, on touchait 12.000 euros. Brut, mais quand même. Je suis rentré à Paris, j’ai mis tout le monde bien. J’ai payé le repas de Noël, les cadeaux de mes soeurs, et j’en ai six, quand même ! Ce que je ne savais pas, c’est que c’était le début de la fin. On n’a plus jamais touché un euro du club par la suite.

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En mars, le club déposait le bilan. Comment en viens-tu à partir pour la Roumanie en juillet ?

GNOHÉRÉ : Le 12 mars, on nous a dit que l’histoire était terminée. À partir du 13, je n’ai plus foutu un pied à Mons. Ma femme était enceinte de mon deuxième et je ne voulais pas prendre le risque de me blesser. Je n’ai plus rien fait pendant quatre mois. Puis, en juillet, Mircea Rednic m’appelle pour me proposer de signer à Petrolul. J’étais content parce qu’en Belgique, j’étais considéré comme un joueur de D2. À l’époque, l’Antwerp m’a même appelé pour me proposer de faire un test. Un test, sérieusement ? Ça, ça a été la goutte d’eau. Du coup, je suis parti à Petrolul. Je suis resté quinze jours, ça ne s’est pas bien passé. Le fait est que j’avais des problèmes de poids comme tout le monde le sait.

 » Mbokani doit être mon exemple  »

Ces problèmes de poids comme tu dis, c’est un peu le fil rouge de ta carrière. Comment gères-tu ça au quotidien ?

GNOHÉRÉ : Le truc, c’est que moi, quand ma femme est enceinte, je prends du poids en même temps qu’elle. Du coup, à l’époque, ça a été au clash avec le président de Petrolul, mais Rednic a insisté pour me prendre au Dinamo Bucarest. Les gens lui disaient qu’il était fou de signer un gros. Mais lui savait que j’allais perdre du poids. À ce moment-là, je devais faire 107 kilos. Or, mon poids de forme, c’est 95 kilos. J’ai été courir à jeun, j’ai tout donné. J’ai perdu douze kilos en un mois. Depuis, ce régime, c’est resté mon quotidien. Fini les McDo et les boissons gazeuses. Je connais mon corps. Le pain, c’est une tranche maximum le matin, les pâtes, c’est uniquement le midi et maximum 150 grammes et le soir, c’est une viande blanche avec des légumes verts. Je crois qu’avec le temps, mon estomac s’est rétréci. Quand je suis arrivé à Mouscron, j’avais un peu repris. Aujourd’hui, Beni ( Badibanga, ndlr), quand il me voit, il me dit que je fais pitié, que j’ai trop maigri. Il n’a pas tort, j’ai reperdu huit kilos en deux mois.

En Roumanie, tu planteras 75 buts en un peu moins de cinq saisons. Comment expliques-tu ce déclic ?

GNOHÉRÉ : En Roumanie, le fait qu’on m’appelle Bison, ça les mettait en transe. Ma force, c’est que je marquais toujours pendant les derbies contre le Steaua avec le Dinamo. Du coup, les gens m’adoraient. Je me sentais enfin reconnu à ma juste valeur. En fait, si on fait le compte, j’ai toujours marqué dans les matches qui comptent. Contre le Standard, avec Charleroi, contre la Lazio avec le Steaua, contre Anderlecht avec Mouscron. La confiance que j’ai acquise dans ces matches-là, l’hygiène de vie qui est la mienne aujourd’hui, elle me fait dire que même si j’ai 32 ans, je peux encore devenir un des meilleurs attaquants de Belgique. Dieumerci Mbokani a 36 ans, ça doit être mon exemple.

Pourquoi, à 32 ans et avec le statut qui était le tien en Roumanie, tu as décidé cet été de revenir à Mouscron, dans un club dont on sait qu’a priori, il n’est pas taillé pour faire le jeu et qu’il devra probablement lutter pour son maintien ?

GNOHÉRÉ : À la fin, c’était devenu n’importe quoi en Roumanie. À cause du Covid, ils m’ont pris deux mois de salaire. Après, sans vouloir être arrogant, je ne pensais pas qu’un club comme Mouscron serait capable de s’aligner sur ce que je gagnais en Roumanie. Mais indépendamment de ça, ce qui m’a toujours excité, ce sont les défis. Et puis, le feeling est passé directement avec Diego ( Lopez, le directeur sportif mouscronnois, ndlr). Il est venu me voir à Paris, il m’a dit qu’il voulait faire de moi un leader. J’ai relevé pas mal de challenges dans ma carrière, mais celui-ci est particulièrement excitant. C’est le défi ultime. Parce que j’ai passé ma carrière à fermer des bouches comme on dit. En Roumanie, à cause de mon poids, on ne me considérait même pas comme un joueur de foot, je suis pourtant devenu le meilleur étranger du championnat, le seul à être passé du Dinamo au Steaua, j’ai joué en Ligue des Champions, j’ai mis ma famille à l’abri. Et en fin de saison, je suis même devenu capitaine. Qui aurait cru qu’un jour, je deviendrai capitaine ?

 » c’est un peu grâce à moi que meunier a été decalé sur le coté droit « 

C’est Jerry Prempeh qui est à l’origine de ton surnom de Bison. C’est comme ça qu’il t’avait vendu à Hervé Pierret, l’ancien directeur sportif de Virton, c’est bien ça ?

HARLEM-EDDY GNOHÉRÉ : Je me souviendrai toujours de mon arrivée à Virton. Je n’avais pas le permis, du coup, ils sont venus me chercher à Thionville, où j’étais arrivé en train. J’ai l’impression qu’on a roulé des heures pour arriver jusqu’à Virton. Quand on y est finalement arrivés, j’ai cru qu’il s’agissait d’une blague. J’avais toujours vécu dans des grandes villes. Paris, Genève, Lausanne et là, je me retrouvais dans un bled. Je gagnais 1.200 euros par mois plus les primes. Moitié moins qu’en Suisse, mais j’ai tout de suite eu un bon feeling. Et puis, quand le coach Michel Renquin m’a présenté au vestiaire, il a dit :  » Voilà les gars, on accueille Bison « . Et c’est resté. Même à Paris, aujourd’hui, on m’appelle Bison.

Dans le vestiaire à l’époque, tu côtoies, entre autres, un certain Thomas Meunier, c’est ça ?

GNOHÉRÉ : Les six premiers mois, seulement. À la base, il jouait en pointe avec un autre attaquant, Gregory Molnar, mais le coach Renquin a vu qu’il devait me mettre titulaire, c’était obligé. Ce qu’il a fait, c’est qu’il a décalé Thomas sur le côté droit. Un peu grâce à moi, donc. Bon, en vrai, il se baladait, il allait où il voulait. Il était facile, c’était un truc de fou. Tu voyais déjà que techniquement, il était malade. Puis en janvier, il a été vendu à Bruges en prévision de l’été. Mais une fois qu’il a signé, il n’a plus joué. Il était  » blessé « , soi-disant. Bon, clairement, il ne voulait prendre aucun risque, donc il ne jouait plus. Je le comprends, j’aurais fait pareil. Mais avec lui titulaire, on serait montés en D2 cette année-là.

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