EN QUÊTE DE LA BONNE VIEILLE ÂME

Contre l’Ukraine, l’Allemagne a développé un bon football de combinaisons par moments mais elle s’est surtout révélée fragile. Joachim Löw a encore du pain sur la planche.

Joachim Löw est tranquille, empreint d’assurance quand il suit les séances d’entraînement de l’équipe nationale allemande. Il observe, il stimule et parfois, il botte lui-même un ballon. Les tournois lui permettent enfin de s’occuper intensément de l’équipe et de son développement.

Löw sait que nul ne doute de lui. Il dirige l’ensemble avec fermeté mais gentillesse. Il est accessible aussi. La semaine dernière, le défenseur Antonio Rüdiger a dû déclarer forfait alors que Mats Hummels n’était pas disponible pour le premier match contre l’Ukraine.

Löw a déclaré à la presse qu’il ne servait à rien de se lamenter et qu’il était payé pour trouver des solutions. Pourtant, s’il y a un compartiment où il opte pour la continuité, c’est bien la défense.

UN HÉROS NATIONAL

L’insouciance de Löw illustre l’assurance qui règne dans l’équipe. Le sélectionneur a déjà reconnu qu’il fallait mieux réfléchir défensivement mais il vante surtout la concentration des joueurs, leurs progrès techniques et tactiques. La préparation a été harmonieuse. Joachim Löw a adapté sa philosophie : il comprend qu’il ne peut pas disputer le tournoi avec la même équipe de base, la charge de travail étant devenue trop lourde.

Il affirme savoir quels joueurs peuvent résister sept matches. Toutes les possibilités de rechange sont dans sa tête. Il n’en parle pas. Rien ne semble pouvoir le désarçonner. Il oeuvre avec l’assurance d’un homme qui connaît le succès depuis près de dix ans.

Pourtant, tout peut basculer très vite en Allemagne. Il y a deux ans, avant le quart de finale contre la France, Joachim Löw a failli être fusillé. On disait qu’il ne pouvait plus rien apporter au football allemand. Il a éliminé la France puis a pulvérisé le Brésil 1-7 dans un des matches les plus mémorables jamais joués à ce niveau.

D’un coup, il est devenu un héros national. On l’a aperçu dans les cercles les plus chics, toujours à l’aise. Étrange détour de la vie d’un homme qui n’avait jamais fait vive impression comme entraîneur de club.

D’AUTRES CULTURES

Depuis ce sacre mondial, Joachim Löw a changé. Il a toujours été l’apôtre du football offensif. Il est à l’origine du changement de culture du football allemand : créativité et inventivité se sont associées à la puissance et à l’abattage. Il a initié ce processus au Mondial 2006. Jürgen Klinsmann était sélectionneur mais les observateurs savaient que ces initiatives venaient de son adjoint.

Löw a appliqué ses idées pour obtenir un football dominant, élégant et entraînant. Dans ses conférences, il expliquait que la beauté du jeu primait, il parlait d’un changement draconien dans l’écolage des jeunes, pour développer leur technique. Il n’a pas changé même si, depuis deux ans, il a parfois opté pour le résultat. L’aventurier est devenu pragmatique.

Joachim Löw n’en répète pas moins dans chaque interview que sa mission consiste à faire progresser l’équipe. On n’en a pas vu trace pendant les qualifications. Après le titre mondial, l’équipe a décompressé. Elle a quelque peu perdu la volonté de peaufiner certains détails. Löw a cherché à progresser personnellement : il s’est rendu à l’étranger, pour mieux connaître d’autres cultures footballistiques.

Il est allé à la Copa America et à la Coupe d’Afrique pour discuter avec des collègues. Il a changé. Il communique bien et tient compte de l’avis des joueurs. Il ne considère plus la critique comme une attaque personnelle. Il travaille davantage les phases arrêtées et permet à ses adjoints de modeler son approche alors qu’avant, il investissait toute son énergie dans l’amélioration des combinaisons et des trajectoires de course. Il a encore du pain sur la planche : l’Allemagne marque relativement peu au départ des phases arrêtées et encaisse trop de buts de cette façon.

SÉCURITÉ DÉFENSIVE

L’équipe entre dans une ère nouvelle. Les adieux de Philipp Lahm, Per Mertesacker et Miroslav Klose ont laissé un vide, sur le terrain comme en dehors. Les responsabilités sont réparties sur plusieurs épaules, sur des joueurs aux personnalités et mentalités différentes. En ce sens, avec ses nouveaux chefs de file, l’Allemagne doit partir en quête de sa bonne vieille mentalité.

Il a fallu revoir certaines positions. Par exemple, le Colonais Jonas Hector, inconnu sur la scène internationale, doit jouer à l’arrière gauche. Ou Benedikt Höwedes (Schalke 04) à droite alors qu’il est défenseur central. Il assure une meilleure sécurité défensive que Joshua Kimmich, qui a éclos cette saison au Bayern.

L’occupation de l’attaque posait aussi problème : Löw allait-il aligner Mario Götze en faux neuf ou Mario Gomez en vrai avant ? Ou allait-il faire appel là à Thomas Müller, le meilleur buteur du Mondial avec cinq goals ? Beaucoup de questions sont restées sans réponse à l’issue des matches amicaux. Comme la sélection du capitaine Bastian Schweinsteiger, longtemps blessé.

Joachim Löw trouve l’équipe actuelle meilleure que celle de 2014. Il a plus de possibilités tactiques et il trouve que le bagage technique a progressé mais surtout, le groupe n’a jamais été aussi soudé. Ce lien est plus fort que la somme des talents individuels.

Il n’y a plus de joueurs mécontents. Le groupe ne semblait pas se soucier de l’identité du capitaine contre l’Ukraine, Bastian Schweinsteiger ayant débuté sur le banc. Löw n’a communiqué son identité que quelques heures avant le coup d’envoi : le gardien, Manuel Neuer.

LES CHANTIERS

Dimanche, le champion du monde a entamé son premier match en toute confiance. Avec, dans l’entrejeu, Mesut Özil et Julian Draxler, deux footballeurs artistes qui ont les mêmes défauts : quand ça va moins bien, ils n’ont pas assez de volonté pour se battre. En pointe, Mario Götze, auquel Löw a maintenu sa confiance malgré une saison ratée au Bayern, et pas seulement parce qu’il a marqué le but du titre mondial contre l’Argentine. Hélas, Götze sombre souvent dans la nonchalance.

L’Allemagne a entamé le tournoi avec du beau jeu, rapidement récompensé d’un but du défenseur central Shkodran Mustafi, qui a joué avec le flegme d’un habitué. Cependant, les carences défensives ont été criantes. Jérôme Boateng a tout essayé pour diriger sa défense mais elle est restée poreuse.

L’Ukraine, qui est bien plus qu’une équipe de contre, a manqué de sang-froid devant le but et un brillant Manuel Neuer a mis ces carences en évidence. La Mannschaft est fragile, surtout sur les flancs. Philipp Lahm, qui pouvait jouer des deux côtés, était bien précieux…

L’Allemagne a ensuite contrôlé la deuxième mi-temps et a parfois développé un football très pur. Elle a bien conservé ses positions, exploité les brèches, montré à quel point ses automatismes étaient rodés. Sami Khedira mais surtout l’intelligent Toni Kroos ont dominé dans un entrejeu qui allie technique, créativité, puissance et abattage, même si Julian Draxler et Mesut Özil n’étaient pas dans le match et que Mario Götze ne s’imposait pas devant : en première mi-temps, il n’a touché le ballon que huit fois.

UN MARATHON

Le sélectionneur a donc du boulot. Il a aussi constaté que si Thomas Müller avait beaucoup travaillé, il n’avait guère délivré d’élans. Löw est en revanche ravi du retour remarqué de Bastian Schweinsteiger. Le médian, out pendant des mois, n’a pas encore retrouvé son poids de forme mais sa personnalité confère une certaine sécurité à l’équipe.

Initialement, Schweinsteiger ne devait pas entrer en action avant les huitièmes de finale. Les plans ont-ils changé ? Le but du footballeur de Manchester United a été fêté par toute l’Allemagne mais ce n’était pas non plus une performance de classe mondiale. Joachim Löw doit étudier de quoi Bastian Schweinsteiger est capable ou non. Le choisir pour son apport actuel et pas pour ce qu’il a été.

Il le fera sans aucun doute. L’Allemagne entame toujours péniblement ses tournois et progresse au fil des matches. La championne du monde ne panique absolument pas. Après tout, un EURO n’est pas un sprint mais un marathon.

PAR JACQUES SYS À LILLE – PHOTOS BELGAIMAGE

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