En pensant au Heysel

La rencontre des deux clubs a réveillé les souvenirs sans réparer les blessures.

Le destin a parfois de drôles d’idées : alors que l’on se préparait à commémorer le 20e anniversaire de la catastrophe du Heysel, il a fait qu’en ce début avril, la Juventus et Liverpool se retrouvent opposées en Ligue des Champions.

Jamais, depuis ce funeste 29 mai 1985, les deux formations ne s’étaient retrouvées face à face. Depuis cette date, une nouvelle génération de supporters a vu le jour mais, si elle est plus loin des c£urs et des esprits, la tragédie ne peut être oubliée. Du côté de Liverpool (le club et la Ville), on a de nombreuses fois souligné le devoir de mémoire, répété que le Heysel était un poids que l’on conserve en soi dont on ne réussira pas à se débarrasser de sitôt.  » Les faits remontent déjà à un certain temps mais c’est quelque chose que l’on ne peut oublier « , a affirmé à plusieurs reprises Rick Parry, directeur exécutif de Liverpool.  » Nous avons à plusieurs reprises tenté d’organiser un match amical mais nous n’y sommes jamais parvenus. Mais les rapports entre les deux clubs et les deux clans de supporters sont excellents « .

On n’en attendait pas moins de la part d’un dirigeant qui désire avant tout que la mémoire et l’amitié l’emportent. Directement après le tirage au sort, Liverpool a fait savoir qu’elle allait profiter de l’occasion, entretenant l’espoir que le décompte des 39 victimes et le souvenir des cris de douleur des 600 blessés du Heysel écartent à jamais d’autres épisodes macabres du même type. Le mot tragédie est souvent associé à la fatalité et pour Liverpool (la Ville et le club), il est sûr que le drame du Heysel est le fruit de l’inconscience des hommes soi-disant attachés au cercle de la cité.

Afin de montrer sa bonne volonté, Liverpool a rapidement mis en place une véritable campagne de sensibilisation en lançant d’emblée plusieurs messages de fraternité. La presse a largement soutenu cette initiative. Ainsi un grand We’re sorry (nous sommes désolés) placé en dessous des noms des 39 victimes barrait la une du Liverpool Echo. En vue du match proprement dit, de nombreuses initiatives ont été prises afin de fédérer les supporters des deux camps.

Des hommages récupérés

Ainsi, le Lord Mayor (le bourgmestre), Clir FrankRoderick, le consul d’Italie, Nunzia Bertali, et une équipe de volontaires ont assisté à l’atterrissage des deux premiers charters amenant les supporters de la Juventus. Sur leur t-shirt, ce mot, Benvenuti (bienvenus, en italien). Ensuite, Liverpool FC a organisé un match amical entre les supporters des Reds et de la Juve à l’académie du club. L’office du tourisme situé Queen Square, en plein centre, était décoré en noir et blanc, les couleurs de la Juventus. Le soir du match, les supporters italiens ont reçu un dépliant de quatre pages en italien encourageant l’amitié ainsi qu’un message de Ian Rush, qui réitère les excuses du club : We are sorry. You’ll never walk alone. Aux fans de la Vieille Dame a été offert un bracelet rouge-blanc-noir (les couleurs des deux clubs) avec l’inscription friendshipamicizia. Côté business, des écharpes à moitié rouge et à moitié noir et blanc (9 euros) ainsi que des t-shirts avec la mention You’ll never walk alone-non caminerai mai solo (15 euros) ont été mis en vente pour commémorer l’événement Pour en revenir à des manifestations moins financières, avant le coup d’envoi, une banderole sur laquelle figuraient les noms des 39 victimes du Heysel et en grand les mots memoriae amicizia (mémoire et amitié) est partie du kop des Reds et a traversé tout le terrain afin de se rendre du côté des supporters italiens. Dans la foulée, Phil Neal et Michel Platini ainsi que Ian Rush ont porté ensemble une plaque sur laquelle figuraient les emblèmes des deux clubs. Cette initiative n’a pas eu le succès escompté. Les applaudissements n’ont pas été très nourris. En fin de compte le choix de Neal et de Platini ne s’est pas révélé une bonne idée. Depuis plusieurs jours, l’ex-capitaine des Reds n’était plus en odeur de sainteté parmi les supporters.

Selon TheObserver en effet, Neal aurait précisé qu’il n’accorderait d’interview que s’il était payé, ajoutant même :  » J’ai pratiquement oublié cette nuit. C’était une épreuve. Pourquoi vous aiderais-je ? » Sur le site du club, la réaction n’allait pas tarder. Plus fort : le lundi soir, Neal était l’invité d’une réunion avec la presse italienne au St John’s Beacon, siège de Radio City. L’ex-défenseur ne s’y présenta pas et ses représentants annoncèrent qu’il était à un autre meeting. Enfin, quand on sait qu’en septembre 2000, Neal a mis en vente la médaille qu’il avait reçue en 85, empochant 4.500 euros, il y a de quoi se demander s’il était opportun de lui demander de participer à une opération appelée mémoire et amitié ?

Quant à Platini, tout le monde a encore en mémoire la façon dont il a exulté après avoir transformé le penalty. Dans un premier temps, il avançait qu’il n’était pas au courant de l’ampleur du drame. Mais les images allaient démontrer le contraire. Quant aux déclarations de ses équipiers, elles ne laissaient pas place au doute : en montant sur le terrain, les joueurs savaient. Plus tard, le Français affirma que ce soir-là, quelque chose en lui  » était mort « . Depuis, il a souvent répété cette expression malheureuse à l’égard de ceux qui étaient vraiment morts. Il aurait mieux fait de s’en tenir à la phrase qu’il avait sorti à ses équipiers au moment de monter sur le terrain : -Au cirque, quand le trapéziste meurt, les clowns entrent en piste. Nous ne sommes pas des clowns, je crois, mais le discours est le même « .

Désormais candidat à la présidence de l’UEFA, Platini ne tient plus le même discours :  » Une fois rentré à Turin, j’ai éprouvé beaucoup de mal. Ce fut une période difficile et je suis retourné deux jours plus tard à Bruxelles pour rendre visite aux blessés. Oui, ce jour-là, quelque chose en moi est mort : je ne joue pas pour voir 39 personnes mourir dans un stade. Ce n’est pas ma philosophie du football « .

3.000 supporters de la Juve à Anfield

41.216 personnes ont assisté à la rencontre de la semaine dernière. Parmi eux, 3.000 supporters de la Juventus. S’il n’y eut aucun incident sérieux à enregistrer c’est sans aucun doute aux forces de l’ordre qu’on le doit. Les ennuis surgirent à l’arrivée du second charter : une centaine de fans descendirent de l’avion en criant ûJe hais Liverpool, Ces trublions refusèrent les marques de sympathie et les poignées de mains que leur tendaient le maire et ses amis. Ils ont forcé le guichet de contrôle des passeports avant d’être arrêtés. Dix d’entre eux se retrouvèrent au poste.

D’autres, entre 15 et 16 heures, se sont fait remarquer sur une sorte d’esplanade menant aux docks. Là, ils trouvèrent malin de railler certains supporters de Liverpool en leur rappelant la tragédie d’Hillsborough qui vit, le 15 avril 1989, périr 96 fans des Reds écrasés ou étouffés contre les grilles du stade de Sheffield alors que quelque 2.000 spectateurs ont tenté de forcer l’entrée pour assister à la demi-finale de la Coupe d’Angleterre entre Liverpool et Nottingham Forest. La police a directement encerclé les lascars transalpins et tout est immédiatement rentré dans l’ordre. Il est probable que ce sont ces mêmes gars qui, une heure avant le match, ont scandé à plusieurs reprises Liverpool, Liverpool va fan culo (inutile de traduire) et Englishanimals. C’est sans doute parmi eux qu’il faut chercher les spectateurs ayant tourné le dos et levé le majeur lorsque la banderole appelant à la fraternité arrivait dans leur direction. Il y a fort à parier qu’ils sont aussi à la base des coups de sifflets qui ont retenti lorsque les supporters des Reds ont entamé leur célèbre et prenant You’ll never walk alone et pendant la minute de silence observée à la mémoire de Jean-Paul II.

A ce propos, les choses ne furent pas très claires : la direction de Liverpool avait laissé entendre qu’avec l’aide de la Juventus, elle avait obtenu de l’UEFA qu’une minute de silence serait observée à la mémoire des 39 victimes du Heysel. Et de nombreuses personnes marquèrent leur étonnement quand le speaker annonça en italien que l’UEFA avait décidé que l’on pose ce geste pour le pape. Alertée, la direction ne donna pas d’explication mais rapidement le bruit courut que l’UEFA n’avait pas oublié que, suite à l’affaire du Heysel, elle avait été considérée comme coresponsable de toutes les manifestations organisées en son nom.

L’attitude de ces dizaines de supporters bianconeri n’a pas choqué que les Anglais. Elle a été désapprouvée par la direction turinoise. Mais celle-ci n’est certainement pas à l’abri de toute critique. Comme ses devancières, elle fait tout pour oublier et faire oublier au plus vite la tragédie du Heysel. Le lendemain de la victoire en Coupe Intercontinentale 85, les dirigeants de l’époque n’avaient pas hésité à annoncer :  » Bruxelles a été effacé « . Pourtant, 20 ans après, la tache est toujours là.

Mardi dernier, avant le match aller, la direction actuelle de la Juventus n’avait prévu aucune manifestation pour commémorer le 20e anniversaire du drame. Avant le match, elle a tenu une réunion avec son homologue de Liverpool afin de voir ce qu’il y aurait lieu de faire à l’occasion du retour qui avait lieu une semaine plus tard. Qu’est-il sorti, dans les grandes lignes, de cette entrevue ?  » En principe, la décision devrait être prise vendredi « , a directement coupé court la responsable de presse.

Devant l’absence de réaction, certains journaux anglais se demandaient s’il ne valait pas mieux conseiller aux supporters des Reds de ne pas se rendre au Stadio delle Alpi. Surtout que Channel Four montrait dans le même temps que des supporters de Liverpool déclarés avaient pu tranquillement acquérir des places pour le retour dans des zones du stade réservées aux fans locaux. Côté italien, on soulignait une fois encore que l’étrange paradoxe est que l’hécatombe de Bruxelles a servi plus aux Anglais qu’aux Italiens, plus aux agresseurs qu’aux agressés. Si les Anglais ont pris des mesures sévères, strictes et immédiates pour régler chaque incident, les Italiens sont toujours là à se morfondre. La paresse du législateur tend systématiquement à éviter ce genre de sujets porteurs de souvenirs tragiques et de comportements barbares.

Nicolas Ribaudo

La conclusion : on déconseille aux supporters des REDS DE SE RENDRE à TURIN !

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