En justice, je gagne

Le technicien yougo supporte mal son quotidien dans le noyau B de l’Excel.

Dejan Mitrovic (29 ans)présente un bilan plus que convenable en deux saisons à Mouscron: 45 matches, sept buts, neuf assists. Avant cela, il avait réussi trois bons championnats avec Westerlo. Mais, depuis le mois d’août dernier, le néant. Le noyau B avec cinq entraînements par semaine, le soir. Pas de matches de Réserve. Son contrat expire en juin prochain. L’homme craint de devoir rester dans l’ombre jusqu’à l’été, et cette situation le rend fou.

Dejan Mitrovic: Ce que Mouscron me fait est illégal. J’ai contacté un avocat: si j’attaque le club en justice, je gagne à coup sûr.

Pourquoi ne le faites-vous pas, alors?

Mouscron m’a signé un papier sur lequel il est stipulé que je peux partir pour rien en cours de saison si je trouve un club. C’est un élément important pour moi. Si nous nous affrontons devant les tribunaux, cette clause risque de sauter. Et qu’est-ce que je pourrais gagner en justice? Le club serait peut-être obligé de me réintégrer dans le noyau A. Si cela devait arriver, je n’aurais quand même aucune chance de rejouer. Je serais dans la tribune ou, au mieux, sur le banc une fois de temps en temps. Je ne supporterais pas cette situation et je risquerais de péter les plombs, d’envoyer une bonne pêche à l’une ou l’autre personne. La justice pourrait aussi imposer à l’Excel de me verser en une fois mon salaire jusqu’à la fin de la saison. Mais, dans ce cas-là, je ne pourrais plus travailler avec le noyau B et je me vois mal aller courir seul au bois, tous les jours, jusqu’en juillet. Je patiente donc en me disant que la situation actuelle est sans doute la moins catastrophique pour moi.

Comment est survenue la décision de vous envoyer dans le noyau B?

L’explication officielle, donnée par Lorenzo Staelens, concerne un soi-disant manque d’ardeur au travail. Il dit que je n’ai pas une bonne mentalité. Mais nous n’avons travaillé ensemble que pendant une dizaine de jours, et encore, il savait très bien que je revenais d’une blessure au dos et que je ne pouvais pas me donner à 100%. Comment peut-il me juger en aussi peu de temps? Pour bien cerner un personnage en dix jours, il faut être supérieurement intelligent. Est-ce le cas de Staelens? Moi, en tout cas, je suis incapable de me faire un véritable ami ou un vrai ennemi en un laps de temps aussi court. Staelens n’a fait que tirer les conclusions de ce que lui avaient dit quelques personnes dans le club. Il n’a même pas cherché à savoir si la façon dont ceux-là m’avaient décrit était justifiée. Vous savez, c’est dangereux d’écouter tout ce qui se dit à gauche et à droite. »Staelens m’a comparé à Stoica »

Staelens n’a-t-il pas été plus précis avec vous?

Quand il m’a annoncé que j’étais expédié dans le noyau B, il n’a pas osé me regarder dans les yeux. A la limite, même s’il avait de bonnes raisons de me virer, il devait être franc. Et me mettre en garde dans un premier temps. Après les événements, il a déclaré dans des journaux que j’étais arrogant, que je pourrissais l’ambiance dans le vestiaire, que j’étais paresseux, que j’avais un caractère difficile. Il m’a même comparé à Stoica en disant que j’étais l’enfant terrible de Mouscron. C’est lâche de sa part. J’en suis à ma onzième saison en Belgique et j’ai eu de très bons rapports avec des entraîneurs comme Heyligen, Ceulemans et Broos. Ils ne me reprochaient qu’une chose: je n’apportais pas assez à l’équipe, au vu de mes qualités.

Et ça, c’est justifié, non?

Oui et non. Attention, je ne suis pas intouchable. Je ne dis pas que j’ai raison sur tous les points. Simplement, j’ai mes qualités et mes défauts. L’entraîneur doit en tenir compte. Mes atouts, je les exploite à fond: la technique, l’explosivité, la vitesse balle au pied, l’intelligence de jeu. A côté de cela, j’ai de grosses lacunes dont je suis conscient: je ne cours et je ne défends pas beaucoup, je ne mets peut-être pas le pied comme je devrais le faire. Aller constamment au duel, tackler, ce n’est pas mon truc. Mais il y a, dans chaque équipe, des joueurs auxquels on demande cela en priorité. Je n’ai pas la force de travail d’un Dugardein, d’un De Vleeschauwer, d’un Simons, d’un Englebert, d’un Vanderhaeghe ou d’un Wilmots. Tous ceux-là jouent à l’énergie. Mais ils ont intérêt, sans quoi ils ne tiendraient pas leur place en D1. Si j’avais leurs qualités physiques en plus de ma facilité technique, je serais en Italie ou en Espagne. Pas à Mouscron.

Staelens n’est quand même pas le premier entraîneur qui vous reproche de ne pas en faire assez!

Ceulemans m’a dit un jour : -J’étais incapable de faire tout ce que tu réussis balle au pied, mais j’ai été un des meilleurs joueurs belges parce que je m’engageais bien plus que toi. Colin Andrews, qui m’a entraîné à Cappellen, m’a avoué : -J’ai joué en D1 anglaise, mais tu es un des joueurs dont je n’aurais jamais pu cirer les chaussures si tu avais mon fighting spirit. Quelque part, ils ont raison. Mais, si je cherche à mettre le pied de la première à la dernière minute, il ne faut plus compter sur ma créativité à l’approche du rectangle et ma fraîcheur devant le but. Demande-t-on à Figo, à Zidane ou à Rivaldo de courir comme des dératés aux quatre coins du terrain? Non. Ils redescendent rarement. Ils circulent beaucoup, mais c’est presque toujours dans la moitié de terrain adverse. Ils peuvent se le permettre parce qu’ils ont des cracks derrière eux pour faire le sale boulot. En Belgique, on ne veut pas comprendre qu’il faut de tout pour faire une bonne équipe. On ne veut que des joueurs de caractère et cela explique les gros problèmes du foot belge. Tout commence chez les jeunes. Je suis sidéré quand je vois qu’on impose des tests physiques à des gamins de dix ans. En Yougoslavie, on passe son temps à cultiver leur amour du football: ils contrôlent, ils centrent, ils tirent au but du gauche, du droit, de l’intérieur, de l’extérieur du pied, ils apprennent à jouer en un temps. Bref, ils s’amusent alors qu’ici, on les dégoûte. Si on y pensait un peu plus, les clubs de D1 belge ne seraient pas obligés de transférer autant d’étrangers. « Je rebondirai. Sans doute pas en Belgique »

Votre explication au recul de notre football n’est-elle pas un peu trop simpliste?

Je vois d’autres choses aberrantes, ici. Dans les grands pays du football, personne ne déborde de ses responsabilités: le président apporte les fonds, le directeur sportif fait les transferts, l’entraîneur fait l’équipe, l’adjoint se charge de l’échauffement et du cooling-down, le responsable du terrain monte sur son petit tracteur, le kiné masse, etc. Ici, tout le monde veut s’occuper de l’équipe. Je ne parle pas spécialement de Mouscron, mais du foot belge en général. J’ai déjà vu beaucoup de situations incroyables. Et j’ai eu peu d’entraîneurs qui assumaient leur rôle de pédagogues, de pères spirituels. Le meilleur sur ce plan-là, c’était Andrews. Il savait comment me prendre. Avant chaque match, il me remontait les brettelles: -Come on Mity, son of a bitch! éa marchait et j’étais un lion quand je montais sur le terrain. S’il voyait un fléchissement en fin de première mi-temps, il en remettait une couche dans le vestiaireet menaçait de me sortir si je ne me reprenais pas en mains.

Comment voyez-vous votre avenir?

Je sais que Mouscron ne fera pas marche arrière. Notre conflit est trop avancé. Il y a les explications sportives de Staelens, mais aussi tout le reste. Je suis persuadé que la décision est venue de la direction. Comme par hasard, j’ai appris, le lendemain d’une réunion importante, que j’étais versé dans le noyau B. Deux jours plus tôt, Staelens m’avait dit qu’il était content de mon boulot.

Il y a, ici, deux ou trois personnes qui me détestent. Sans doute parce que je suis trop direct. Tourner autour du pot, ce n’est pas mon truc. Je suis sûr qu’on me reproche d’avoir mis en évidence lors d’une interview, l’année dernière, l’utilité de nos joueurs d’origine yougoslave. J’ai expliqué aux dirigeants que mes propos avaient été déformés. Hugo Broos et Jean-Pierre Detremmerie ont dit qu’ils me croyaient et qu’ils oubliaient. Mais ce n’était pas oublié: cette affaire m’est retombée sur la tête près d’un an plus tard. J’ai aussi eu un petit accrochage avec l’adjoint, Gil Vandenbrouck. Je lui ai signalé un jour que tout le monde se plaignait de la charge de travail physique. C’était vrai. Mais, quand Vandenbrouck a interrogé quelques joueurs, ils ont dit que son programme était très bon. A ce moment-là, j’ai encore un peu mieux compris à quel point le foot était un monde d’égoïstes. Pourtant, ça sautait aux yeux: nous n’avancions plus parce que nous travaillions trop.

Tout cela, on me l’a fait payer au prix fort. Je rebondirai. Sans doute pas en Belgique, malheureusement, mais je retrouverai un bon club. Et mes convictions de chrétien orthodoxe m’aident à tenir le coup. Dans ma religion, un proverbe dit que, quand vous creusez un trou pour un ennemi, vous finissez par tomber vous-même dedans. Certaines personnes de Mouscron auront cette blague. Quant à Staelens, il a joué avec le bien-être de ma famille et je suis sûr que Dieu le punira un jour! Je suis un chaud, c’est dû à mes origines. N’attendez pas de moi que je me comporte comme un Belge ou un Scandinave. Mais je ne suis pas un mauvais gars pour autant. En lisant les commentaires que Staelens a fait à propos de moi dans la presse, tous mes amis en Belgique ont éclaté de rire. Je ne suis pas subitement devenu un méchant après dix années sans problèmes dans ce pays. »Avec trois renforts, Charleroi descend »

On vous a cité récemment à Charleroi.

Il y a eu des contacts, mais rien de concret. J’ai lu que le Sporting allait transférer deux ou trois joueurs en janvier. Si ce club se contente de ça, il bascule à coup sûr en D2 à la fin de la saison. Il a besoin de cinq ou six nouveaux joueurs. Charleroi a trois attaquants valables, mais Eduardo, Kolotilko et Boeka ne valent jamais que six ou sept buts par championnat. Il n’y a pas de vrai buteur. Il manque aussi un médian capable de bien les alimenter. Qui, dans l’équipe actuelle, peut délivrer une quinzaine d’assists par saison? Aliaj est parfois aligné comme meneur de jeu mais il a fait toute sa carrière au back gauche ou comme médian défensif. Dufer doit jouer à droite. Mais il n’est dangereux que quand il est en pleine forme. Idem pour Yazdani. Derrière, cette équipe ne possède pas deux défenseurs centraux capables de mettre vigoureusement le pied. Or, ça marche comme ça dans le football belge: il faut au moins deux arrières pas nécessairement très doués mais qui vont au charbon. C’est la réalité de votre football…

Pierre Danvoye

« Quand vous creusez un trou pour un ennemi, vous tombez vous-même dedans »

« Si j’avais le physique de Wilmots, je serais en Espagne ou en Italie »

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