EN HIBERNATION

Il y a un an, pas moins de 71 joueurs avaient changé de club au cours du mercato d’hiver. Cette fois, hormis le rush du dernier jour, on s’est beaucoup moins agité sur le marché des transferts. Pourquoi ?

« De fait, on a pu suivre calmement les mouvements « , rigole Walter Mortelmans, agent de joueurs expérimenté.  » Je pense que les conséquences de la formule des play-offs commencent à se faire sentir. Sept ou huit clubs n’ont plus rien à gagner ni à perdre. Qu’est-ce que ça peut leur faire de terminer neuvième, dixième ou onzième ? Pourquoi fourniraient-ils un effort maintenant alors que des joueurs seront libres en juin ? Alors, ils préfèrent attendre.

La deuxième raison de ce calme pourrait être le manque d’argent. Je n’ai pas de regard sur la trésorerie des clubs mais je constate quand même que ça coince. Même les grands n’ont plus beaucoup de moyens. Ils ne peuvent plus rivaliser avec ce qui se fait à l’étranger. Anderlecht en est un exemple éloquent.  »

Patrick De Coster, manager de joueurs également, renchérit :  » Nos clubs se sont mis à réfléchir. Engager cinq ou six joueurs pour sept matches, c’est mettre la pagaille dans le groupe. Mieux vaut dire aux joueurs qu’ils n’ont pas gagné suffisamment et qu’on va donc augmenter les primes qu’acheter quatre ou cinq éléments supplémentaires.

Certains se seront frotté les mains malgré tout. Je songe à Charleroi, qui a assaini ses finances en vendant OnurKaya, Danijel Milicevic et DavidPollet. Pourquoi pas ? Le club est quasi assuré d’une place en play-offs II et le fait qu’il termine septième ou neuvième ne change pas grand-chose. Le montant des droits de télévision est de toute façon calculé sur base du classement des cinq dernières saisons.

Je suis étonné par le peu d’Africains qui débarquent encore. Là aussi, je pense que les dirigeants de clubs ont tiré les leçons du passé. Ils ne sont pas beaucoup plus chers qu’avant mais ils ne s’adaptent pas facilement. Et puis, on n’engage pas que le joueur : il y a tout son entourage. C’est un gros investissement.  »

La D2, un cercle fermé

Gunter Thibaut, qui débute dans le métier d’agent de joueurs, observe :  » L’hiver a été difficile. J’ai travaillé dur pour peu de résultats. Les clubs veulent bien faire un effort pour un buteur mais pas pour un médian ou un défenseur. Ils proposent toujours des sommes très basses, à prendre ou à laisser. Si vous refusez, ils prennent un autre joueur. En D1, le système des play-offs joue un rôle. Le club qui n’a pas trop d’ambitions reste calme. Je constate aussi qu’à cette époque, les clubs préfèrent louer. Et un agent ne gagne rien sur une location.

Les accords de collaboration compliquent encore les choses. On forme ainsi un cercle fermé, surtout en D2. Le RWDM travaille avec Monaco, Mouscron avec Lille, Eupen avec les Qataris, St-Trond avec le Standard, l’Antwerp avec Rubie et ses Anglais, Roulers avec Frenay. Il est difficile d’entrer dans ces clubs. Par contre, une fois qu’on est dedans, on fait ce qu’on veut. Un joueur du Standard a le choix entre l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre ou la Belgique…

Cela bouscule le système de cascade qui avait cours auparavant. Si le club A investissait un million pour acquérir des joueurs du club B, celui-ci réinvestissait à son tour une grande partie du montant dans des joueurs des clubs C et D, etc. Aujourd’hui, l’argent n’est pas réinjecté : le Standard n’a rien fait, le Club Bruges a acheté à l’étranger et Anderlecht n’a longtemps songé qu’à louer. Du coup, rien ne bougeait.  »

Les dirigeants de clubs sont-ils d’accord avec ces avis ? Ce qui frappe, surtout, c’est le calme dont font preuve les clubs de bas de tableau. On est loin de la panique qui s’était emparée du Beerschot l’an dernier.

Luc Devroe, directeur sportif d’Ostende :  » Au départ, nous ne voulions rien faire car je ne suis pas fan du mercato d’hiver. Mais quelques opportunités se sont présentées et nous les avons saisies. Les clubs qui doivent transférer beaucoup en janvier sont ceux qui n’ont pas bien travaillé au cours de l’été. Moi, je n’étais pas là : je ne suis arrivé que le 1er novembre. A ce moment-là, l’équipe n’avait pas encore beaucoup de points mais j’ai tout de suite dit qu’elle avait davantage de potentiel et que nous n’allions pas changer grand-chose.  »

Les clubs vendeurs thésaurisent

 » Beaucoup de clubs ont raisonné de la même façon  » poursuit Devroe.  » Les seuls qui ont bougé sont ceux qui ont encore un peu d’ambition et qui luttent pour quelque chose, comme Lokeren ou La Gantoise. Les Waeslandiens ont fait leurs courses au Cercle et à Charleroi, Gand a également dépensé de l’argent sur le marché belge mais les clubs vendeurs ont thésaurisé. Je pense qu’ils s’habituent de plus en plus au système des play-offs.  »

Dirk Poppe, secrétaire de Waasland Beveren :  » J’ai toujours dit que j’étais contre le principe du mercato d’hiver. Mais le football est devenu un business et il est trop tard pour se battre. Pour moi, on ne peut transférer en hiver que des joueurs qui apportent une plus-value et qui entrent dans le budget. Or, les deux conditions sont difficiles à combiner. Ceux qui veulent venir n’ont, bien souvent, plus joué depuis un certain temps. Ou alors, ils n’étaient pas suffisamment bons dans leur club précédent et ne constituent donc pas une plus-value pour quelques matches. Quant aux très bons, ils sont impayables.  »

Dimitri Mbuyu, manager sportif de Mons :  » La saison dernière, nous avons effectué deux transferts au mercato d’hiver. Nous étions à l’aise et nous pouvions déjà préparer la saison suivante. Cette fois-ci, ça ne tourne pas et nous n’avons pas eu la force de réagir, je le reconnais honnêtement. Nous avons récupéré Zola parce que nous le connaissons bien et nous espérons qu’il retrouvera rapidement son meilleur niveau sur le plan physique. Waasland Beveren n’a manifestement pas réagi non plus. L’an dernier, le Beerschot l’avait fait mais cela n’a pas fonctionné. D’ailleurs, je n’y crois pas. Un joueur qui arrive peut-il être rentable directement ? Je suis plutôt partisan de la stabilité. Il ne faut pas acheter sept ou huit joueurs lors de chaque mercato.  »

Herman Vermeulen, entraîneur d’OHL :  » Ce en quoi je ne crois pas, d’une façon générale, c’est au renforcement du secteur offensif à cette période de l’année. A moins de faire comme Ostende : prendre des joueurs qu’on connaît déjà et qui sont rompus à notre championnat, comme FernandoCanesin. Mais aller décrocher un joueur dans les pays de l’Est ou dans les Balkans, c’est impossible.

Primo, les joueurs qui marquent ne sont pas sur le marché ; secundo : il ne reste que sept matches à disputer. Six si on tient compte du fait qu’ils ne sont pas qualifiés tout de suite. Les attaquants, ça se transfère en été, quand les joueurs cherchent de nouveaux défis. Un défenseur ou un gardien, c’est autre chose : ça se trouve en hiver, à condition d’être sûr de ce qu’on transfère. Et c’est là que le bât blesse parce que, plus le budget est étroit, plus c’est difficile.

Beaucoup de clubs en font l’expérience en ce moment, parce qu’ils ont déjà dépensé l’argent des sponsors, des abonnements et des droits de télévision. Alors, ils ont deux possibilités : soit ils ne prennent pas le risque d’hypothéquer leur licence, soit ils dépensent maintenant et ils se calment en été. C’est une décision qui appartient aux dirigeants et à laquelle les entraîneurs doivent se conformer.  »

Panique ou ambition ?

Wim De Coninck, consultant pour Belgacom TV :  » La politique qui m’a le plus frappé, c’est celle de Gand. Comme d’habitude, j’ai envie de dire. Les dirigeants ont-ils agi de la sorte parce qu’ils paniquent ou parce qu’ils sont ambitieux ? Difficile à dire. On remarque aussi que tout le monde a compté ses sous. Sauf Bruges et Anderlecht, qui ont mis le paquet pour un attaquant, et Gand. Les autres se sont tenus tranquilles, surtout ceux qui ne peuvent rien espérer de mieux que les play-offs II. L’exode des joueurs de Charleroi m’a un peu frappé aussi. Sans Kaya, Milicevic et Pollet, ça va devenir difficile pour les Zèbres. Je suis étonné que Bruges n’ait pas tout fait pour avoir Pollet. C’est un joueur sous-estimé. Un joueur avec la double nationalité belgo-française, formé à Lens… Quand j’étais toujours à Roulers, j’ai voulu l’engager mais c’était impayable. Je pense qu’il peut s’imposer à Anderlecht. Il a de la profondeur, il est fort dans le rectangle, il a deux pieds et il sait se déplacer. Je pense aussi qu’on sous-estime allégrement ses qualités techniques. Je suis d’avis qu’il peut aider le Sporting dans la course au titre avec, à la clef, une qualification directe pour la Ligue des Champions qui peut rapporter gros.

D’une façon générale, je trouve quand même un peu inquiétant que même de grands clubs comme Anderlecht se sont comportés comme des petits, en voulant faire des transferts sans argent : des locations, des intermédiaires pour convaincre les gens… Ils sont passés à côté de BryanRuiz, Steven Defour, MichyBatshuyai et ThorganHazard. Cela ne se serait jamais produit auparavant. Et puis, soudain, ils signent Pollet pour quatre ans et demi. Bizarre…  »

PAR PETER T’KINT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Le seul club qui s’est réellement frotté les mains lors du mercato, c’est Charleroi.  » Patrick De Coster, manager

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