EN HAUT de l’affiche

Pierre Bilic

L’acteur en vue de Ciné Sclessin a été très touché par le chef- d’ouvre des frères Dardenne : L’Enfant.

Ecran blanc ou toile verte : chacun tourne, jour après jour, le film de sa vie, son Cela se passe près de chez vous à soi. Pellicule couleurs ou noir et blanc, belle aventure humaine et drame social peuvent s’étreindre comme des danseurs de tango.

La jeune star du Standard a déjà eu sa part de soucis et de moments éprouvants. On ne débarque pas d’Afrique sans cicatrices. Elles strient le c£ur et les souvenirs mais Mémé Tchite les passe à son révélateur personnel : optimisme et sourire. En arrivant au Kinepolis de Rocourt, il avait évidemment entendu parler du film qui a permis au duo Dardenne de remporter leur deuxième Palme d’Or au Festival de Cannes.

Ses amis lui avaient parlé de Rosetta, de la Promesse et du Fils, trois des autres films des cinéastes liégeois. Son £il était en éveil avant de découvrir L’Enfant. Son succès actuel, qu’il sait fragile, pas encore installé dans la durée, ne l’a pas du tout éloigné des réalités, souvent cruelles, de la société. C’est même une de ses sources. Mais, enfant de la pauvre Afrique, imaginait-il que la solitude, le chômage et l’absence d’horizons pouvaient, parfois, entraîner autant de dégâts le long de la Meuse liégeoise qui, au 19e siècle, était le c£ur et le rein de la deuxième puissance industrielle au monde ? Probablement pas.

 » C’est un très grand film… « , dit-il après la projection.  » Il fait réfléchir sur le sort des gens et je suis certain que je vais penser longtemps à Bruno et Sonia, les héros de L’Enfant. J’ai aussi eu mes galères en Afrique. Comme tant d’autres, j’ai connu la faim car il n’y avait pas toujours quelque chose à se mettre sous la dent à la maison. Chez nous, tout le monde sait ce que c’est d’avoir le ventre creux. On s’habitue. C’est la crise, dit-on par pudeur. Mais je n’aurais jamais commis les mêmes erreurs que Bruno pour résoudre mes problèmes. En arriver là, c’est impossible en Afrique noire. Vendre un fils par appât du gain, non, jamais, jamais je ne pourrais en arriver à de telles extrémités. Impossible « …

Quand Sonia met au monde le petit Jimmy, elle est seule. Son compagnon, Bruno, trempe dans des coups de petite frappe. Il n’est visiblement pas prêt pour le rôle de papa. Lui, ce qui lui plaît, c’est le pognon qu’on prend n’importe comment. Sa compagne le retrouve dans la rue où il manigance un coup qui devrait lui rapporter quelques euros. Sonia a Jimmy dans ses bras. Il s’en fout, ne mesure pas que c’est son enfant. Bruno les abandonne brutalement, repart vers ses larcins. Il accorde plus d’importance à son portable qu’à ce petit c£ur qui bat dans les bras de sa compagne. Plus grave : il a cédé pour une semaine le petit appartement qui devait recevoir la maman et son fils. Sonia ne peut compter sur personne.

 » La famille africaine, c’est un grand cercle et on ne laisse pas tomber ceux qui en font partie  »

 » En Afrique, la société est organisée autrement « , avance Mémé Tchite.  » Il n’y a pas de sécurité sociale, comme ici, mais une fille-mère ne sera jamais seule comme Sonia. Il y aura toujours une tante, une marraine, une cousine, un frère ou une s£ur pour ne pas la laisser seule. La famille africaine, c’est un grand cercle et on ne laisse pas tomber ceux qui en font partie. Tout le monde aide tout le monde. Même si ce n’est pas rose tous les jours, la femme y occupe une place de choix. C’est elle qui fait bouillir la marmite. Il n’est pas question de mettre un pied dans la cuisine : on est tout de suite éjecté « .

Cette chaleur familiale, il l’a retrouvée chez son ami et conseiller, José de Medina. Dès qu’il le peut, Mémé se rend à Bruxelles. A Liège, le buteur du Standard a cependant découvert la solitude, le froid hivernal, l’obligation de s’assumer seul, de préparer sa tambouille, d’entretenir sa tanière, etc. Or, l’homme africain déteste vivre comme cela. Chez lui, tout se partage et la solitude n’existe pas. Une grâce éthiopienne a heureusement croisé Mémé mais il préfère ne pas en parler. La force de frappe du Standard aide les siens.

 » Il me serait impossible de faire autrement « , dit-il.  » Je dois leur envoyer de l’argent. C’est le c£ur qui parle « . Il mesure cependant que sa renommée aura pour effet d’agrandir sa famille à l’infini. Or, Mémé ne peut pas nourrir toute l’Afrique. José de Medina l’a déjà prévenu : c’est le plus grand problème de tous les joueurs africains. Sambegou Bangoura a coulé à pic à cause de sa générosité pour les siens. Tôt ou tard, Mémé Tchite devra faire des choix, verser 30 % de son salaire à sa famille mais pas plus car il en va de son avenir, de sa vie en Europe où tout est cher. Bruno et Sonia le savent. Ils ont une planque sous les ponts, le long de la Meuse, dorment parfois dans des refuges pour SDF. Petit à petit, la maman incite son copain à reconnaître leur fils. Bruno n’est cependant pas encore un père responsable. Il vend des objets volés, s’allie sans vergogne à des gamins qu’il incite à chaparder. Le travail ne l’intéresse pas du tout. Dans une région frappée par la crise, il a opté pour le gain immédiat, l’argent facile.

 » Cette cupidité m’a révolté « , affirme Mémé Tchite.  » Moi aussi, j’ai vécu dans la rue en Afrique. Mais j’avais quelque chose que Bruno n’a pas : le sport. Je n’aimais pas l’école. Ce n’était pas mon truc. Je brossais. Pas pour voler, comme Bruno, mais pour jouer au football et organiser des matches dans mon quartier. Je disais toujours à mes parents que mon avenir se situait en Europe. Ils me répondaient : -Mais tu es fou ! Non, non, je ne rêvais pas et je savais que ce serait possible grâce au football. Dans le film, on aperçoit brièvement le stade du Standard. Bruno ne s’est probablement jamais appuyé sur les valeurs du sport pour construire son existence. C’est certainement un grand vide car le football peut être un fil rouge. Dans une équipe, on se soutient, on tient compte des autres. Bruno n’a pas appris tout cela. Il ne pense qu’à lui, ne se soucie pas de Sonia et de leur bébé « .

En Afrique, Mémé Tchite n’était-il finalement pas plus près de la reconnaissance que Bruno qui vit au pied de l’estrade rouge de Sclessin ? Etrange.  » Non, je ne pense pas qu’on puisse dire cela « , lance Mémé Tchite.  » Il fait les mauvais choix, refuse les perches qu’on lui tend. Sonia l’adore, lui a offert un fils : c’était le moment de se ranger. Il ne le fait pas. Même si la société est très matérialiste, il n’a pas le droit de trahir les gens comme il le fait. La confiance des autres, cela se mérite « .

Si Bruno opte sans cesse pour la facilité, Mémé n’a jamais juré que par le travail. Lokeren l’avait à l’£il via Willy Verhoost. Il passa des tests à Charleroi, au Standard et à Anderlecht. Le jeune homme saisit sa chance, opta finalement pour Sclessin où Daniel Boccar crut tout de suite en lui. Sa patience fut mise à rude épreuve. Il ne signa au Standard que le jour où son visa venait à expiration. Bonjour la tension et l’obligation de rentrer en Afrique sans rien. Son ami José de Medina était nerveux, lui pas. C’est quand même autre chose que Bruno, le héros de L’Enfant. Au moindre problème, il plonge un peu plus. Obligée de faire la file devant le guichet d’un organisme administratif, Sonia confie Jimmy à son ami. Bruno ne trouve pas mieux que de le vendre à des voleurs d’enfants. Les retrouvailles avec la maman sont plus que dramatiques.

 » Rien ne vaut un enfant : or, Bruno l’a vendu pour une poignée de billets  »

 » On ne peut pas imaginer de scène plus cruelle « , raconte Mémé Tchite.  » Rien ne vaut un enfant : or, Bruno l’a vendu pour une poignée de billets. Il commercialise un bébé, le range dans son portefeuille. Bruno n’est plus dans la vraie vie. Il n’a plus aucune valeur. C’est ignoble. Comment peut-on en arriver là ? A-t-il été privé de la moindre structure familiale ? Répète-t-il des scènes dont il a été victime lui-même ? On apprendra plus tard que sa famille est en mille morceaux. Il s’adressera à sa maman qui le recevra en pleine nuit sur le seuil de sa maison. Après l’avoir écouté et avoir échangé quelques mots, elle referme la porte. On entend la clef qui tourne dans la serrure. Même si Bruno a menti, et que sa mère ne le sait pas, il se retrouve seul à la rue. Est-il le fruit d’une société trop égoïste ? Quand Sonia le retrouve, elle s’inquiète pour l’enfant. Où est-il ? Dans la cache sous le pont ? La réponse lui explose en plein visage : -Non, je l’ai vendu. Pour de l’argent que voilà. C’est pas grave, je croyais qu’on allait faire un autre enfant. C’est inacceptable, insoutenable. La maman s’écroule, brisée, doit être hospitalisée. En Afrique, les enfants sont le ciment d’une famille. Là, Jimmy n’était qu’une marchandise, un petit objet encombrant. Cette scène m’a retourné « .

Bruno sombre. Il a un premier sursaut, retrouve le bébé, rembourse les gangsters de la mafia des enfants volés. Les bandits le mettent sous pression, l’obligent à payer leur manque à gagner. Sans le sou, il arrache le sac d’une vieille avec la collaboration d’un gamin. Après une folle poursuite, ils abandonnent leur moto et se retrouvent dans les eaux glaciales de la Meuse. Bruno et son complice sont même sur le point de se noyer, de terminer tristement leur vie dans une solitude terrifiante. Avec ce qui leur reste d’énergie, ils échappent au fleuve prêt à les engloutir.

Mémé n’a-t-il jamais songé à laisser tomber les bras dans la vie ?  » Non, ce n’est pas dans ma nature « , précise-t-il.  » Bruno ne voit l’avenir que d’une façon négative. A la rigueur, il a du succès dans ses choix. C’est un voleur qui brasse de… bonnes affaires. Il lui arrive d’avoir les poches bourrées d’argent. Comme quand il offre une veste à Sonia. Le lendemain, il n’a plus rien. On ne peut pas avancer comme cela. Le négatif vous rattrape toujours. J’étais certain d’avoir ma place au Standard, que ce soit lors de mes tests, la saison passée ou à la reprise des entraînements cet été. J’ai tout de suite mis toute la gomme à l’entraînement afin de compliquer le choix du coach. Et celui qui est bon en semaine l’est aussi en match. J’ai beaucoup marqué, car je le voulais, et j’ai bien entamé le championnat « .

José de Medina le rejoint dans son analyse :  » Tout cela est le fruit de sa volonté. Moi qui l’ai découvert en Afrique, j’ai douté. Je n’avais pourtant jamais travaillé avec un jeune homme aussi décidé, bien éduqué, correct. Au Congo, j’ai eu des problèmes avec des joueurs de Kinshasa. Les gars de la capitale roulent des mécaniques, croient que tout leur est dû, pensent surtout à l’argent, parfois même uniquement à cela. Mémé est tout le contraire. J’estimais qu’une location à La Louvière, au FC Brussels, à Lokeren, ou ailleurs, lui offrirait ce temps de jeu dont il avait besoin. Ce n’était pas l’avis de Mémé, même s’il était le seul à le penser. Je m’inquiétais. Il vient souvent chez moi, à Bruxelles. Je suis un peu son grand frère. Il a volé un de mes pyjamas, s’est installé dans le salon et m’a dit calmement : -Ne t’inquiète pas, cela s’arrangera, je jouerai au Standard cette saison. C’est cela, Tchite « .

Bruno n’a jamais été animé par cette confiance en soi. Après l’arrestation de son jeune complice, il réfléchit, rend le scooter qui leur avait permis de réaliser leur dernier mauvais coup. Bruno rend visite au gamin, avoue à la police qu’il a tout monté lui-même, disculpe son jeune compère. La prison l’attend mais lui permettra aussi de revenir dans le droit chemin. Sonia lui rend visite. Elle lui offre un café. Les deux jeunes se retrouvent dans une mer de larmes. Leur vie retrouve un sens. On devine dans leur peine les graines d’un avenir porteur d’espoirs. Plus rien ne sera jamais comme avant.

 » L’Enfant est un film qui ébranle  »

 » Je ne m’attendais pas à cette fin « , avance Mémé Tchite.  » Tout est tellement triste mais c’est la preuve qu’il ne faut jamais désespérer. Bruno a compris qu’il ne pouvait pas continuer de la sorte. Il y a toujours un espoir qu’il faut entretenir. Bruno l’a admis très tard, presque trop tard. Si elle a été insouciante, Sonia n’a jamais sombré dans le négatif et la facilité. Elle a été capable d’assumer seule la naissance de son fils. Sans elle, Bruno n’en serait pas sorti. Sonia a toujours été honnête et n’a pas cessé de donner des preuves d’amour au père de son fils. Il est seul en prison et c’est elle qui lui rend visite et lui redonne l’espoir. Elle l’a sauvé. L’Enfant est un film qui ébranle. Ce drame ne peut pas laisser indifférent. Présentée sans fioritures, la souffrance y est tellement forte. A mon avis, j’en parlerai autour de moi. Ce n’est pas comparable à ce qu’on voit généralement dans les salles de cinéma. Je suis content d’avoir vu la Palme d’Or du dernier Festival de Cannes. Cela m’a permis de réfléchir, de mieux cerner les problèmes de la région où je joue. Je veux offrir un peu de bonheur aux spectateurs qui viennent à Sclessin. Bruno n’est qu’un cas parmi d’autres, qui sont positifs, mais je devine mieux, grâce à L’Enfant, que tout n’est pas rose. J’espère que la fin du film sera une source de motivation pour ceux qui vivent des moments délicats. A quelque chose malheur est parfois bon. Si mon aventure pouvait être utile, ce serait bien aussi. Mon chemin a été long mais cela vaut la peine de faire des sacrifices. On me parle désormais des Diables Rouges. Cela m’intéresse, on verra, mais il y a d’abord le Standard. Si j’opte pour la nationalité belge, tout sera plus facile. Chez moi, je voulais toujours jouer avec des plus grands que moi. Il y avait un type que j’admirais et il me disait sans cesse : -Toi, le petit, va plus loin. C’était Shabani Nonda. J’y pense souvent « .

Mémé Tchite est en haut de l’affiche en D1 et son film est gorgé de richesses africaines :  » Je savais que j’allais me sortir de là « . Bruno, dans L’Enfant, ne le mesura qu’à la dernière seconde de son match avec la vie : il était temps.

Pierre Bilic

 » J’AI CONNU LA FAIM car il n’y avait pas toujours quelque chose à se mettre sous la dent à la maison « 

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