En décalage

Pierre Bilic

Les Russes sont bons en coupes d’Europe mais où en est leur équipe nationale?

C’est parce qu’ils ont négligé la puissance de l’âme russe que Napoléon et Hitler ont égaré leurs rêves dictatoriaux et sanguinaires sur les routes menant à Moscou. Féru d’histoire, Robert Waseige sait que la Russie ne doit jamais être prise à la légère. Elle s’est aisément extraite d’un groupe de qualification comprenant la Suisse, la Slovénie, la Yougoslavie, le Luxembourg et les Iles Féroë. Bilan : 7 victoires, 2 nuls, 1 défaite, 18 buts marqués, 2 buts encaissés.

« J’ai assisté au succès de la Russie contre la Suisse à Moscou », déclare Alexandre Kolotilko. Le baroudeur de Molenbeek connaît pas mal de joueurs de la formation nationale de son pays. Avant d’être transféré aux Girondins à Bordeaux, Alexandre avait fait partie des équipes nationales russes des -17 et -19 ans: « J’ai déjà eu pas mal de coups de fil de journalistes moscovites. La Russie n’avait pas pris part à la Coupe du Monde en France. Il y avait un décalage par rapport aux clubs qui, comme le Spartak et le Lokomotiv de Moscou s’illustrent régulièrement en Ligue des Champions ou dans le cadre de la Coupe de l’UEFA.

L’équipe nationale devait bénéficier tout ou tard des retombées de tous les progrès de nos clubs les plus performants. Avant la dislocation de l’URSS, le football était très solide avec des apports ukrainiens, géorgiens, etc. La donne a changé du tout au tout et, après la perestroïka, le football russe s’est plus ouvert aux influences occidentales. Il y a désormais des joueurs étrangers, notamment africains, dans nos clubs. Et, au fil des ans, de plus en plus de vedettes russes ont été transférées dans de grands clubs étrangers. Leur apport est important en équipe nationale où ils aident les jeunes internationaux russes. Le style de jeu de l’équipe nationale a nettement évolué ».

L’impact d’Oleg Romantsev.

Ce dernier changement est à mettre à l’actif d’ Oleg Romantsev, coach national de la Russie et du Spartak Moscou. « Si on reconnaissait tout de suite le style soviétique, la manière de jouer des Russes est plus raffinée », dit Kolotilko. « Oleg Romantsev ne veut pas s’en tenir à un seul système tactique. Il accorde beaucoup d’importance à la récupération et la Russie joue très bien en déplacement. Ça pourrait signifier que c’est une équipe de contres mais tout part d’un 4-4-2 et l’équipe s’adapte aux forces de l’adversaire. Romantsev estime que ces variations russes compliquent de façon très intéressante la tâche de ses adversaires. En général, six internationaux évoluant à l’étranger font partie de l’équipe: Onopko, Smertine, Karpin, Mostovoi, Alenitchev, Khokhlov. La principale vedette russe n’est autre qu’Alexandre Mostovoï. Il est l’homme des idées mais est bien soutenu par toute la ligne médiane. Il s’entend bien avec Karpin qui, comme lui, joue au Celta de Vigo. Autrement dit, c’est un entrejeu très technique.

Derrière, c’est très solide avec, notamment, un formidable gardien de but: Nigmatulin. Il a encore étalé toute sa classe en Ligue des Champions. Et il déjà trouvé un accord avec un club italien même s’il a prolongé son séjour d’un an au Lokomotiv Moscou. A mon avis, il a le niveau des meilleurs gardiens de but de l’histoire du foot russe: Yachine, Dasaev, etc. Devant lui, Onopko et Tchougainov jouent ensemble depuis longtemps. Nikiforov du PSV peut dépanner en cas de problème dans la ligne médiane. Bestchastnykh et Khokhlov marquent facilement car ils reçoivent sans cesse de bons ballons d’une ligne médiane qui tente d’abord de bien jouer. Face à la Suisse, la Russie pouvait se contenter d’un point. Elle n’a pas été dépassée par toute l’importance de ce match. La Russie a franchi aisément l’obstacle et la Suisse n’a pu s’y opposer tant la différence était grande. C’est donc une nouvelle Russie qu’on verra en Asie. Cette équipe est plus moderne que du temps de l’URSS. La Russie fait partie d’un tout autre monde. Elle veut s’y affirmer encore un peu plus grâce à cette phase finale de la Coupe du Monde. Les clubs sont passés à l’heure de la gestion à l’occidentale ».

Libre dans sa tête

L’équipe russe actuelle semble plus créative que l’armada soviétique du Mundial 86 placée sous la gouverne de Valéri Lobanovski. Ce sera une dimension à surveiller. Si les entraîneurs se demandent comment ils gèreront le problème de l’humidité qui compliquera la tâche de tous les footballeurs en Asie, la moitié de l’équipe russe aura bénéficé d’une longue hibernation. Les joueurs des clubs russes lèveront le pied avant de reprendre la compétition en mars ou en avril. Est-ce un avantage? Auront-ils plus de réserves que leurs adversaires belges, japonais et tunisiens?

« Les clubs qui sont au repos en hiver prennent souvent part à de longues tournées dans les pays chauds », avance Kolotilko. « Cela permet aux joueurs de recharger les accus. Ils seront forcément plus frais que ceux qui s’offrent une saison sans grande coupure. Si la remise en route est parfois assez difficile en avril, deux mois plus tard, ces joueurs tournent à plein régime ».

Kolotilko se souvient un peu du fameux Belgique-URSS (4-3 après prolongations) du 15 juin 1986 à Leon au Mexique. Le Molenbeekois s’attend-il à découvrir des Diables Rouges aussi fûtés tactiquement qu’alors?

« La qualification de la Belgique n’est pas passée inaperçue », conclut-il. « Personne ne sort les Tchèques par hasard. Les Diables ont gagné deux fois en misant sur leur arsenal tactique. Il me semble que la Belgique a une meilleure occupation du terrain que nous. Très unie, elle ne sera pas facilement déstabilisée. Par contre, l’équipe russe est plus technique: elle compte quelques artistes. Cela ne l’empêche pas d’avoir du répondant athlétique, surtout dans la ligne arrière. Le football russe est en plein renouveau. En réalisant une grande Coupe du Monde en Asie, la Russie redeviendra un grand pays du football. Belgique-Russie sera intéressant à plus d’un titre ».

Pierre Bilic

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