» En cinq mois, le résultat est très bon, sensationnel, un petit miracle ! « 

Le coach allemand à cour ouvert sur son travail.

On est samedi matin. Des loges du Club Bruges, Christoph Daum contemple le stade Jan Breydel, humant la nostalgie qui se dégage de l’arène un brin désuète. Sur les terrains d’entraînement, plusieurs équipes de jeunes s’activent et on entend leurs cris. La veille, le Club a battu le RC Genk 2-0, au terme d’un match de la même eau que les mois précédents : il s’est créé des occasions tout en gardant le verrou sur la défense mais son football n’a pas été brillant.

Daum sait pertinemment qu’il faut relever la qualité du jeu. Jadis, il a comparé le travail d’un entraîneur à celui d’un électricien qui doit déceler les prises défectueuses et trouver les bonnes pour replacer un club sous tension. Il effectue ce travail avec le Club Bruges. Jour après jour, à l’entraînement, il tente d’extirper les imprécisions du jeu. Convaincre, motiver, inspirer, instruire, ce sont les crédos de Daum. Artiste en paroles, il use volontiers d’images, à moins qu’il ne cite des livres qu’il a lus, comme, récemment, celui du stratège militaire de l’antiquité chinoise, Sun Tzu : L’art de la guerre. Daum en ressort régulièrement des dictons, comme :  » Malheur à celui qui avance dans la vie sans prudence « .

Un entretien avec Daum est enrichissant. Son savoir ne se limite pas à ce qui se déroule sur la pelouse. Il parle aisément d’histoire et de littérature ou de la richesse culturelle de Bruges. Il adore le travail de construction entrepris au Club. Certains estiment qu’il ne joue que le résultat, ce que tendent à illustrer les statistiques : 42 points sur 57, un score de quasi 74 %. Cependant, il reste en quête d’un équilibre.

Christoph Daum : Je travaille ici depuis cinq mois et nous avons effectué d’énormes progrès en discipline de jeu. Nous jouons de manière plus compacte, notre transition est meilleure, l’équipe plus soudée. Je m’attendais cependant à ce que nous progressions plus vite en matière de qualité de jeu et que nous trouvions plus vite certains automatismes. Ainsi, je remarque que Vazquez et Refaelov ont progressé mais j’aurais souhaité que l’ensemble de l’équipe soit à ce stade.

Transferts et blessures ont évidemment un peu cassé notre rythme et nous n’avons pas beaucoup d’alternatives. Je ne veux pas me plaindre de n’avoir pas d’arrière gauche ou de médian défensif spécifique : je dois vivre avec ces limites. Le poste de médian défensif est le plus crucial car le football a tellement évolué que dès que le jeu s’élève, le numéro six remplace le dix. Seulement, il faut avoir deux hommes pour ce poste. C’est la grande force de Barcelone. Les médians qui opèrent devant la défense sont les joueurs qui ont le plus de contacts avec le ballon et qui dirigent le jeu.

Zimling en est-il capable ?

Oui, à condition d’être flanqué d’un joueur possédant les mêmes qualités. C’est ainsi qu’il fonctionne en équipe nationale du Danemark. Je peux imaginer que cela marche à Bruges avec Vadis, à condition de lui apprendre quelques notions tactiques. Il faut clarifier la position défensive de Vadis car il aime jouer devant mais si on aligne deux médians défensifs, il faut que l’un d’eux cadenasse l’axe. Il doit donc accomplir des tâches défensives aussi et non gicler constamment en avant. C’est un processus. Il ne faut pas confondre football offensif et football ouvert.

Plus de précision

A-t-il été difficile d’inculquer une organisation défensive à une formation à vocation offensive ?

Pas trop car Carl Hoefkens a soutenu ce processus. Il est un relais sur le terrain et n’a cessé de répéter que c’était la voie à suivre. Il m’a donc facilité la vie. A partir de cette stabilité défensive, nous essayons de développer un bon football… avec le matériel disponible. Si je possédais de bons joueurs sur les flancs, j’aurais plus d’options et je pourrais annoncer une nouvelle philosophie de jeu. Le football moderne, ou plutôt le football à succès, se distingue par sa précision et une exécution très rapide. Or, nous devons progresser dans ces deux aspects. Nous ne sommes pas assez rapides ni précis. La différence se situe dans des détails : la manière de remettre le ballon en jeu, la pureté des passes, le moment auquel on cède le ballon… La route est encore longue.

Vous attendiez-vous à ce que ce processus soit plus rapide ?

Un entraîneur place toujours la barre haut mais il doit parfois gérer des faiblesses. Les accepter est le plus difficile dans la vie, selon moi. Je ne parle pas seulement des faiblesses des autres mais aussi des miennes. J’ai toujours été ambitieux, c’est le fil rouge de ma carrière. Je suis venu à Bruges pour construire une équipe et quand je vois où nous en sommes, c’est très bon, sensationnel, un petit miracle même.

Nous devons développer un meilleur jeu alors que les circonstances ne nous facilitent pas la vie. Dirar est parti, Vadis s’est blessé. Ce sont des joueurs-clés. Je ne peux me plaindre de l’engagement car l’équipe est mue par une énorme volonté, elle a vraiment la rage de vaincre. Seulement, j’attends plus en circulation du ballon, à la transition. Nous sommes toujours en cours de développement.

Quel est le principal point à améliorer ?

C’est très simple : nous jaillissons trop peu des flancs. Bruges possède cinq avants centraux : Akpala, Vleminckx, Bakenga, Bacca et aussi Meunier. Nous procédons donc beaucoup par le centre, ce qui nous rend faciles à intercepter. Nous devons ouvrir et écarter le jeu. C’est ce que j’essaie de faire comprendre à Meunier, jour après jour. C’est pour cela que le deuxième but contre Genk m’a tellement réjoui : Meunier est venu du flanc et Akpala a poussé le ballon dans les filets. Refaelov devrait aussi opérer davantage du flanc. Il a tendance à converger vers l’axe.

Il nous faut des joueurs qui aiment opérer sur les ailes. Nous ne les avons pas. Je leur parle de flanc mais ils sont à vingt mètres de la ligne alors qu’en fait, ils devraient avoir un pied sur celle-ci.

Un phénomène psychologique

Cette saison, n’avez-vous pas dû accomplir un pas en arrière, après les matches à Anderlecht et à Genk, où vous avez joué si offensivement que les tâches défensives ont été négligées ?

En effet. Nous baignions dans une telle euphorie que tout le monde avait oublié que le football est un équilibre entre marquer et éviter des buts. Dans ces matches, certains voulaient se distinguer et ils ont perdu de vue l’équilibre. Après, j’ai dû à nouveau insister sur l’importance de conquérir rapidement le ballon et je leur ai rappelé que reprendre le ballon, c’était attaquer sans lui.

L’attaque est l’âme de ce club.

Ce qui me frappe, c’est cette mentalité d’ouvrier. Les joueurs veulent vraiment travailler, pas briller, même s’ils admirent le football néerlandais. Ils aimeraient allier ce modèle aux vertus flamandes, une vision que je partage. Seulement, nous en sommes encore loin.

Pire même : contre le Cercle et le Lierse, le Club a connu des problèmes alors qu’il menait 1-0 et que l’adversaire était en infériorité numérique.

Nous ne parvenions plus à dominer. Les équipes en supériorité numérique pensent souvent qu’elles ont moins de travail alors que l’adversaire va courir encore plus. C’est psychologique. On a vu des imprécisions dans ces matches. On a joué dans des espaces très réduits. Le jeu s’est littéralement rétréci. Il m’est déjà arrivé, dans de telles circonstances, de passer provisoirement au marquage individuel, pour permettre à l’équipe de retrouver son jeu.

De la tribune, on a l’impression que le Club attend et est envahi par une certaine crainte. On l’a encore senti à 2-0 contre Genk.

Je ne vous contredirai pas. Le mouvement sans ballon reste le point crucial. Sans mouvement, tout se complique. De fait, il y a eu la peur de commettre des erreurs. La passivité a pris le pas sur la volonté d’ouvrir le jeu et c’est le premier pas vers la défaite. Si on prend l’initiative, on agit au lieu de réagir. Mais dans de telles circonstances, il nous est souvent difficile de nous libérer.

Il n’y a qu’une chose indiscutable en football : le résultat. Tout le reste est sujet à interprétation. Nos résultats sont bons mais la culture de jeu doit s’améliorer. Nous ne sommes pas une équipe dominante. Anderlecht est bien plus loin que nous. C’est ce que je voulais dire il y a quelques semaines en disant qu’Anderlecht avait une avance sur nous.

 » Figueras est une réussite « 

Certains pensent que vous avez voulu délivrer l’équipe de la pression.

Nous nous mettons nous-mêmes la pression. Je sème plus d’optimisme au sein de l’équipe que vis-à-vis de l’extérieur. Quand on est deuxième, on aspire à mieux mais il n’est pas interdit de regarder l’avance qu’on a sur le troisième.

Vous êtes imperturbable. Quand Mario Been, l’entraîneur de Genk, a déclaré que Bruges avait joué défensivement et qu’il s’est demandé comment son public réagirait s’il procédait de cette façon, vous n’avez pas réagi.

Bien sûr que non. La liberté d’expression n’est pas un vain mot. Chacun dit ce qu’il veut. Durant ce match, j’ai souvent vu Thomas Buffel défendre dans son propre rectangle. Je constate aussi que le Club a joué très offensivement contre Genk à deux reprises en championnat régulier et qu’il a encaissé huit buts. Cette fois, pas un seul. Cela ne veut pas dire que j’ai été ravi de notre manière de jouer mais il faut connaître ses limites et les compenser par un bon esprit d’équipe.

Mais cette équipe peut-elle développer le football auquel vous aspirez ? Peu après votre arrivée, vous avez déclaré ne pas vouloir poser d’exigences irréalistes.

Oui. Je dois stimuler les joueurs sans les surcharger. Sinon, ils ne me suivront plus et je leur ôterai une parcelle d’assurance alors qu’ils en ont besoin pour progresser, d’autant qu’il y a beaucoup de jeunes parmi eux. En cinq mois, j’ai constaté que le Club possède un énorme potentiel. Nous devons être attentifs à l’avenir : qu’avons-nous, qui peut émerger des catégories d’âge et quels transferts sont nécessaires pour injecter de la qualité ? C’est ce que nous avons fait en janvier avec l’arrivée de Jordi Figueras. Je tire mon chapeau à Vincent Mannaert pour avoir découvert ce joueur car il était parti en visionner un autre au Rayo Vallecano.

Bacca et Bakenga le sont moins…

Mais je dispose d’alternatives. Nous avions besoin de renforts à d’autres positions.

Au milieu défensif et à l’arrière gauche…

Par exemple. J’avais tenu compte d’une éventuelle rechute de Fredrik Stenman après une absence aussi longue. Nous ne l’aurions sans doute pas fait rejouer aussi vite si nous avions eu une alternative, même s’il brûlait d’impatience. Nous avons souvent pensé : pourvu que tout aille bien.

Bacca et Bakenga ne sont pas prêts à jouer.

Ils sont doués mais littéralement venus de leur résidence de vacances. Ce n’est pas l’idéal. Ils jouent avec l’équipe B et retrouvent le rythme mais ne s’intègrent pas.

 » On sous-estime Akpala « 

On peut quand même comprendre que Bruges ait enrôlé deux attaquants car il n’est pas percutant devant le but adverse.

On sous-estime Joseph Akpala. Il faut le servir des flancs. C’est aussi le problème de Vleminckx, qui vit des ailes. Regardez comment il marquait aux Pays-Bas : toujours sur des passes des flancs, ce qu’il n’a pas ici, surtout depuis le départ de Dirar. Vleminckx ne peut s’épanouir dans notre style de jeu actuel. C’est un joueur de rectangle. C’est pour ça qu’Akpala joue. Il sait conserver le ballon, permettant ainsi aux autres de le rejoindre. Malheureusement, cela se produit trop par l’axe. Je voudrais donc plus d’ouvertures par les ailes.

Vous n’avez pas eu votre mot à dire sur les transferts hivernaux – vous ne le souhaitiez pas non plus. Sera-ce différent en été ?

Je serai en effet plus impliqué.

Vous le désirez ?

La décision revient au club. Je suis son employé. Un club peut établir une organisation qui fonctionne par elle-même et à laquelle on intègre l’entraîneur. Il peut aussi juger que l’entraîneur occupe une position-clé et qu’il doit être impliqué dans tout. Par ailleurs, des entraîneurs ne travaillent qu’avec leur propre staff, qui les accompagne. Bruges n’a pas souhaité suivre cette voie. Il possédait déjà une organisation à laquelle il voulait adjoindre un entraîneur. C’est un choix de modèle.

Quel modèle Bruges a-t-il ?

Il veut former un club stable. Si quelqu’un s’en va, il le remplace. Certaines personnes ne sont pas faciles à remplacer. Il y a des joueurs-clés mais aussi des personnes importantes aux autres étages et elles doivent collaborer. Là aussi, il y a matière à progression, ce qui n’est pas illogique puisque les accents n’ont pas été placés il y a très longtemps. De ce point de vue, le Club Bruges est très jeune.

PAR JACQUES SYS

 » Meunier et Refaelov devraient opérer davantage des flancs. « 

 » On a été très offensif contre Genk en championnat et on a encaissé huit buts ! « 

 » Vadis doit aussi accomplir des tâches défensives et non attaquer constamment. « 

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