» EN BULGARIE, ON TE PROPOSE DES BANANES TOUT LE TEMPS « 

Concurrent de Kevin Vandenbergh à la pointe de l’attaque malinoise il y a quatre ans, il est aujourd’hui le successeur de Kara Mbodj au coeur de la défense de Genk. Rencontre avec un caméléon.

Il fait froid, mais l’homme n’est pas du genre à se défiler. Pas même quand il faut s’attabler pendant une bonne heure dans une salle annexe non chauffée de la Cristal Arena. Christian Kabasele a des choses à raconter. Lui, l’attaquant liégeois né à Lubumbashi (RDC), devenu défenseur et vice-capitaine du Genk de Peter Maes. Pour se rendre compte de cette ascension stupéfiante, il n’y a qu’à le voir revenir de son entretien avec Peter Maes, Thomas Buffel et Igor De Camarago. Entre quatre murs, les hommes forts du vestiaire limbourgeois ont négocié les primes accordées au noyau en vue de la Coupe de Belgique.

Réalises-tu seulement ce qui t’arrive depuis deux saisons ?

CHRISTIANKABASELE : C’est l’histoire de ma vie, mais j’ai encore du mal à réaliser ce nouveau rôle de vice-capitaine, à me dire que je suis titulaire dans un club comme Genk. Pour l’anecdote, quand Igor a signé cet été, je me suis dit qu’on allait partager le même vestiaire alors qu’il y a quelques années encore j’allais l’encourager au Standard, je rêvais limite de lui la nuit. J’ai du mal à réaliser parce qu’il y a tout qui s’enchaîne très vite, beaucoup de choses ont changé dans ma vie. Par exemple, ça peut paraître un peu bizarre, mais cette année, je ne regarde plus trop de football à la télévision. Cette saison, je crois que le fait d’avoir pris conscience que j’étais moi-même devenu pro, ça m’offre un regard différent sur le foot. Quand je rentre à la maison, j’ai envie de m’aérer un peu la tête. À la base, je ne voulais même pas être footballeur pro. Je faisais uniquement ça pour m’amuser et j’avais commencé des études de Droit à l’Université de Liège. Puis Eupen m’a dit que j’avais des qualités et que je devais essayer, mais ça n’a pas marché, puis il y a eu Malines, la Bulgarie,… C’est que cela devait se passer comme ça. On dit souvent qu’il faut savoir tomber très bas pour pouvoir mieux se relever. Je n’ai jamais été tout au fond du trou, mais je n’ai pas vraiment eu une trajectoire rectiligne.

Prenons les choses dans l’ordre. Tu as fait tes débuts avec Eupen lors de la saison 2008-2009. À 17 ans, en D2, mais surtout en attaque !

KABASELE : C’est vrai, j’ai commencé attaquant lors de mon premier passage à Eupen, et ce n’est que lors de ma deuxième expérience chez les Pandas, il y a deux ans, que j’ai été repositionné comme défenseur central par le coach espagnol Bartholomé Marquez Lopez. Il cherchait une solution de rechange et il est venu me voir à l’entraînement pour me dire qu’il avait pensé à un truc pendant la nuit et que j’allais jouer en défense pour notre dernier match de préparation contre le Bayer Leverkusen. J’ai été un peu surpris, j’ai même cherché des solutions pour quitter le club à un moment parce que j’avais peur que cela ne marche pas en défense. Que se seraient alors dit les clubs intéressés ?  » Kabasele était attaquant, maintenant il joue défenseur, mais il n’est même pas titulaire ? «  Ça ne faisait pas franchement sérieux. Mais finalement, et heureusement pour moi, je n’ai pas eu la possibilité de partir et je ne me suis plus trop posé de questions. J’ai assuré lors des premiers matchs et je ne suis plus sorti de l’équipe. Les supporters étaient les premiers surpris, mais ils ont compris aussi vite que moi que c’était ma meilleure place. Parce que je dois bien reconnaître que je ne me serais sans doute jamais imposé nulle part comme attaquant.

 » CHEZ LES ESPOIRS, THOMAS MEUNIER JOUAIT EN 10 ET MOI EN ATTAQUE  »

Ça tient finalement à peu de choses une carrière de footballeur pro….

KABASELE : C’est clair. Je me souviendrai toujours qu’en équipe nationale U21, Thomas Meunier jouait numéro 10 et moi attaquant de pointe. Quand on voit nos évolutions respectives, c’est quand même surprenant de nous retrouver tous les deux en défense quelques années plus tard. Mais quand je regarde le terrain maintenant (Il se retourne vers les gradins de la Cristal Arena, NDLR), je n’ai certainement pas à me plaindre. Honnêtement, comme attaquant, je ne me suis jamais imaginé jouer dans un club du top en Belgique. Encore aujourd’hui, lors des exercices de finition, je me fais chambrer par Pierre Denier qui me dit que ça lui fait plaisir de revoir l’attaquant d’Eupen.

Ce qui est paradoxal, c’est que lors de tes deux premières saisons passées sur le banc à Eupen, tu figurais dans les sélections des U17 et U18 nationaux. Toujours en tant qu’attaquant de pointe…

KABASELE : Mon père me disait que si j’avais la reconnaissance de l’entraîneur de l’équipe nationale, c’était déjà beaucoup. À l’époque, c’était Marc Van Geersom le coach et je jouais avec Kevin De Bruyne. J’avais d’ailleurs plus de facilité à marquer puisque j’ai inscrit 5 buts en 10 matchs avec les U17 et U18 à cette époque. Ça me faisait du bien. Je me disais que le petit gars d’Eupen arrivait à s’imposer à côté de joueurs qui évoluaient déjà à Lille, au Standard ou à Genk. Il y avait par exemple Koen Casteels au but, Luis Pedro Cavanda sur un côté. Il y avait du beau monde.

Autre particularité : alors que ça ne marche pas pour toi en D2 avec Eupen, tu te retrouves prêté à Malines, en D1 ?

KABASELE : Ça confirmait que j’avais des qualités, mais ça ne m’empêchait pas d’être perdu. Je me posais beaucoup de questions et dans ce genre de situation, on a un peu ce réflexe humain de se dire que c’est la faute des autres, des entraîneurs,… Mais quand je regarde en arrière, je me rends compte que je ne vivais pas comme un vrai pro. J’ai finalement décidé d’arrêter mes études après un an parce qu’avec mon père on s’est dit que cela ne rapporterait rien d’être moyen à l’école et moyen au foot. J’ai donc choisi le football. Je m’étais donné trois ans pour réussir. Et finalement ça a payé, même si à Malines, Fi Van Hoof m’avait rapidement dit qu’il ne comptait pas sur moi. À l’époque, il venait d’engager Kevin Vandenbergh.

Il n’empêche que tu fêteras ta première titularisation en D1 avec ton premier but…

KABASELE : C’était en PO2 contre le Lierse avec Malines, le 08 avril 2011. Julien Gorius avait tiré le corner et j’avais placé ma tête au second poteau. C’était Kawashima au goal. Je me rappelle de tout. D’autant plus qu’il y avait ce soir-là un agent bulgare en contact avec Ludogorets dans les tribunes.

Et donc, alors que tu commences à te faire un nom en Belgique, tu te décides à rejoindre ce club ambitieux, basé à Razgrad, au nord-est de la Bulgarie. Qu’est-ce qui t’a attiré dans le projet ?

KABASELE : Après mon prêt à Malines, je suis revenu à Eupen à l’été 2011, mais entre-temps la direction avait changé. Les Allemands avaient remplacé les Italiens et le directeur sportif de l’époque m’a fait comprendre que je n’étais pas une priorité. On était une semaine avant la fin du mercato et j’ai reçu cette offre de Bulgarie qui tombait un peu de nulle part. Je l’ai d’abord refusée poliment, mais ils ont insisté et l’entraîneur d’Eupen (NDLR Danny Ost) m’a fait comprendre qu’il valait mieux que j’accepte. J’ai tourné le bouton dans ma tête et le président bulgare a su se montrer très convaincant. Il voulait jouer la Coupe d’Europe chaque année, disputer la Ligue des Champions. Presque 5 ans plus tard, force est de constater qu’il ne s’est pas trompé.

 » CHAQUE SEMAINE, ON ME TRAITAIT DE SINGE EN BULGARIE  »

Comment c’était la vie en Bulgarie ? Tu vivais à Razgrad, à cinq bonnes heures de route de Sofia.

KABASELE : Au début, c’était difficile. J’étais jeune (20 ans), j’étais seul et je suis arrivé blessé. Il m’a fallu trois bons mois pour m’acclimater, me sentir à l’aise. Par la suite, j’ai reçu du temps de jeu et j’ai marqué quelques buts. Au final, je trouve que c’était une expérience positive, même si elle s’est mal terminée.

Justement, pourquoi avoir quitté la Bulgarie après seulement une saison, deux trophées et la Coupe d’Europe qui se profilait…

KABASELE : En gros, un club ukrainien était intéressé par mes services et Ludogorets ainsi que mon agent de l’époque, Daniel Striani, m’ont fait comprendre que ce serait une bonne chose. Mais moi, je ne voulais absolument pas recommencer un travail d’acclimatation ailleurs. Malgré tout, à la veille du départ en stage en Autriche, la traductrice du club m’appelle et me signifie que je ne devais pas me présenter le lendemain. Quand on t’annonce ça, c’est ton monde qui s’écroule. C’était horrible, j’étais en week-end à Varna avec ma copine et, du jour au lendemain, je me retrouvais sans club et sans agent. Vu que je connaissais encore pas mal de gens à Eupen, ils ont parlé de moi aux nouveaux investisseurs qataris et Josep Colomer, le nouveau directeur sportif, a accepté de me prendre en test pendant une semaine. J’ai fait mes preuves et ils m’ont proposé un contrat de deux ans. Toujours en tant qu’attaquant à l’époque (rire)… Ce n’est qu’un an plus tard, à l’été 2013, que j’ai fait mes débuts en défense.

Récemment, tu t’es plaint du comportement ouvertement raciste des supporters de Courtrai à ton encontre. En Bulgarie, cela ne devait pas être triste non plus…

KABASELE : Chaque semaine, on m’insultait, on me traitait de singe. Une fois, j’ai pété un plomb, j’ai insulté les supporters, je voulais en venir aux mains, mais des membres du staff sont arrivés pour me retenir. Eux étaient blasés et ont tenté de me faire comprendre que cela ne servait à rien, que c’était normal en Bulgarie d’entendre cela. Mais il faut se rendre compte que là-bas, chaque semaine et à chaque touche de balle, tu te fais insulter. C’est invivable, on te propose des bananes tout le temps. Néanmoins, j’avais de la chance, si je puis dire, puisque le seul stade où je ne me faisais pas insulter, c’était le nôtre. Nos supporters à ce niveau-là étaient relativement calmes. Même avec l’équipe adverse, ce qui est plus surprenant.

En Belgique, t’as pas été épargné non plus. Dernièrement, tu as fêté ton but contre le Standard en mimant le singe suite aux insultes du match précédent contre Courtrai ?

KABASELE : Ça restera un des moments forts de ma carrière. Déjà parce que je marquais contre le Standard, mais aussi, en effet, parce que ça me permettait de répondre à ces gens-là.

Tu avais voulu déposer plainte à l’époque ?

KABASELE : On m’a fait comprendre que ça ne servait à rien de rajouter de l’huile sur le feu. Je ne suis pas là pour créer des problèmes où il n’y en a pas et je suis prêt à accorder une seconde chance à ces supporters qui se sont mal comportés. D’ailleurs je n’avais pas cherché à réagir sur le moment même. En cela, mon année en Bulgarie m’a endurci.

Finalement, tu avais quand même voulu marquer le coup, mais Instagram t’en avait empêché, c’est ça ?

KABASELE : Oui, j’avais montré un cliché de chimpanzé à côté de mon visage avec la mention  » Vous trouvez qu’on se ressemble ? », mais manifestement Instagram ne comprend pas le second degré. C’est bizarre, parce qu’à l’inverse, ils n’ont aucun problème avec la nudité par exemple.

Tu t’apprêtes à avoir un enfant. Cela ne te fait pas peur dans ce monde qui devient tous les jours un peu plus fou ?

KABASELE : Notre société est comme ça, mais cela ne doit pas nous empêcher de vivre, encore moins de construire une famille. C’est à nous de transmettre les bonnes valeurs à nos enfants. Comme mes parents l’ont fait avec moi. Je pense sincèrement qu’avec une bonne éducation, tout le monde peut vivre avec tout le monde.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je suis prêt à accorder une seconde chance à ces supporters de Courtrai qui se sont mal comportés.  » CHRISTIAN KABASELE

 » Je rêvais limite la nuit de De Camargo.  » CHRISTIAN KABASELE

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