» En Belgique, c’était trop facile pour moi « 

Ce n’est pas une petite blessure qui va changer sa vie. Il est out pour une quinzaine mais est devenu titulaire et se plaît au sein de l’équipe championne du Portugal: « Jouer et s’entraîner avec les meilleurs m’aide à progresser ».

Les derniers supporters du Zenit Saint-Pétersbourg, euphoriques, quittent l’hôtel Porto Antas, situé à un jet de pierre du stade moderne où le FC Porto vient d’être éliminé de la Ligue des Champions par Nicolas Lombaerts et ses coéquipiers. Une nouvelle crise guette le champion du Portugal, dont l’entraîneur, Vito Pereira, est la cible des critiques.  » Maintenant, comme l’année dernière, il nous faudra gagner l’Europa League « , soupire le réceptionniste de l’hôtel.

La crise s’est aussi abattue sur le Portugal : l’année prochaine, chaque citoyen devra travailler une demi-heure de plus quotidiennement et le jour férié commémorant l’indépendance, en 1640, a été rayé du calendrier. A première vue, la deuxième ville du pays, qui compte 216.000 habitants contre 480.000 à Lisbonne, est paisible et belle, entre l’Atlantique et le Rio Douro, la Rivière d’Or. Steven Defour vient chercher ses visiteurs belges. Il passe devant son appartement, en bordure de mer, avant de mettre le cap sur le port du sud, avec ses bateaux de croisière et ses terrasses avec vue sur la vieille ville.

Defour aime venir ici en compagnie de ses visiteurs. Dans quelques semaines, il va quitter Gaia pour la rive sud du Douro et Foz do Douro, un petit village de pêcheurs, devenu très tendance et où il a acheté l’appartement de Sergio Conceiçao.

Defour était titularisé pour la troisième fois d’affilée contre le Zenit et espère être complètement rétabli de sa blessure au-dessus du genou le 8 janvier, pour l’affiche contre le Sporting Lisbonne de son ancien coéquipier, Oguchi Onyewu.

Etes-vous poursuivi par la poisse ?

Steven Defour : Oui, je devrais peut-être me chercher un nouvel ange gardien. Le médecin a confirmé que cette blessure relevait de la seule malchance. C’est une blessure de contact, de duel. J’ai un jeu engagé et je ne me vois pas jouer avec le frein à main.

APOEL Nicosie et le Zenit ont-ils été meilleurs que Porto ?

Contre le Zenit, nous avons eu pas mal d’occasions. En Russie, on s’est retrouvé très tôt à dix. Quant à APOEL, il a formé un bloc invincible lors des deux rencontres. En six matches, on ne peut pas se permettre de faux-pas. Sur le plan personnel, j’ai été titulaire trois fois sur six.

Numéro dix

En Belgique, vous étiez plutôt médian défensif. Et ici ?

Numéro dix, plutôt deuxième avant, en soutien de Hulk. Je peux jouer aux trois postes de l’entrejeu, selon l’entraîneur. Porto évolue en 4-3-3, ce que je préfère au 4-4-2. Avec trois médians, c’est plus facile de jouer la possession du ballon, de créer des brèches, de jouer en triangle tandis que les ailiers évoluent dans un registre plus offensif.

En Belgique, vous préfériez quand même être médian défensif ?

Parce que le jeu est plus direct et qu’on balance plus de longs ballons alors que Porto recherche des solutions au sol, ce qui me permet d’être fréquemment en contact avec le ballon au numéro dix, de bouger beaucoup et de tirer.

Est-il exact que l’année dernière, pendant la préparation, Dominique D’Onofrio vous a demandé d’avancer d’un cran mais que vous avez répondu préférer rester au numéro six ?

Oui. Nous avons essayé son option pendant la préparation mais tous les ballons me passaient au-dessus. J’ai donc demandé à reculer.

Auriez-vous demandé la même chose si D’Onofrio avait eu une approche moins verticale ou si vous aviez pu jouer avec Jovanovic et Mbokani devant, par exemple ?

On développe le jeu depuis l’arrière. On peut posséder autant de talents qu’on veut, si la défense se contente de balancer devant, les médians sont toujours dépassés. Dans un système de ce genre, il vaut mieux faire appel à un second avant comme Cyriac. Ma position, le dix ou le six, dépend du type des joueurs qui m’entourent.

Selon un dicton portugais,  » On prie à Braga, on étudie à Coimbra, Lisbonne montre ce qu’elle a et Porto travaille « . Avez-vous un jeu de travailleurs ?

Ce cliché s’inspire plutôt de la vie quotidienne, même si je me plais ici. On m’avait mis en garde contre la pression mais c’est très calme selon les normes belges. Nous jouons mieux que Benfica. Nous misons sur la possession du ballon, même si notre transition est rapide. Au Standard, Bölöni prônait aussi la possession du ballon. C’est sous ses ordres que j’ai développé mon meilleur football. Dominique voulait porter le jeu vers l’avant directement et Preud’homme insistait sur une transition rapide.

Quelle est la plus grande différence avec la Belgique, sur le plan footballistique ?

Tout va très vite ici. Il faut constamment respecter ses trajectoires de course, savoir quand et où exercer le pressing. Cela s’apprend alors qu’en Belgique, on joue plutôt à l’instinct. Je n’avais jamais travaillé mes trajectoires de course en Belgique. Preud’homme nous a toujours laissé, Axel Witsel, Marouane Fellaini et moi, faire ce que nous voulions dans l’entrejeu, à condition que les trois positions soient couvertes.

Les Belges qui s’expatrient font souvent remarquer qu’on s’entraîne davantage à l’étranger…

C’est différent : nous avons une seule séance quotidienne d’ une heure et demie mais elle est très intense. En Belgique, il y a deux séances par jour deux ou trois fois par semaine, dont une au fitness. Ici, un préparateur physique nous concocte un programme, à effectuer avant ou après l’entraînement, mais cela relève de notre initiative. L’entraînement se déroule toujours avec ballon, sauf pendant la préparation. On ne fait pas de course d’endurance alors qu’au Standard, si le match avait lieu le samedi, le lundi, nous allions généralement courir dans les bois.

Et au niveau tactique ?

En plus des trajectoires, le jour du match, on regarde des images de l’adversaire pendant cinq minutes, c’est tout. Nous nous appuyons sur nos propres forces. En Belgique, on adapte la tactique à l’adversaire deux ou trois jours à l’avance, on visionne souvent une vidéo d’une demi-heure, plus une autre demi-heure d’analyse du match précédent. Peut-être est-ce pour cela que les grands clubs belges éprouvent tant de difficultés à l’étranger : les joueurs doivent trop réfléchir à ce qu’il faut faire en perte de balle et dans de nombreuses autres situations. Même quand on se déplace au Lierse ou à Zulte Waregem, on reçoit des tas de consignes tactiques.

Pas un suiveur

Le championnat portugais est-il plus fort que le belge ?

Le niveau des ténors, Porto, Benfica, le Sporting et Braga, est plus élevé que celui des grands clubs belges. Les autres se valent. Les meilleurs sortent clairement du lot car la concurrence est telle qu’ils peuvent aligner n’importe quel élément du noyau sans que le niveau général ne baisse. Si on modifie une formation belge à quatre positions, elle ne peut pas développer le même football. Les grands clubs portugais doublent tous les postes. Je vous donne un exemple : récemment, nous avons embauché un jeune défenseur, Alexandre. Il a coûté neuf millions, soit plus que Mangala et moi. Il n’est même pas dans le noyau toutes les semaines. Il ne suffit pas de devenir titulaire. Faire partie des 18 est difficile aussi. Les joueurs vivent ça avec beaucoup de sérénité. Ils ne pètent pas un plomb, ni dans la presse – nous sommes très protégés des journaux – ni en interne. Il est possible qu’on joue bien mais que l’entraîneur veuille faire appel à quelqu’un d’autre, pour des raisons tactiques. La barre est placée très haut : la victoire doit s’accompagner d’un beau jeu. Nous jouons devant beaucoup de monde : 40.000 personnes face aux adversaires modestes, 52.000 lors des affiches. En déplacement, nous comptons souvent plus de supporters que l’équipe locale.

La vie de professionnel est-elle différente ?

Les objectifs sont différents. Au Standard, une qualification européenne suffit. Porto doit être champion chaque saison. En interne, on ne ressent pas de pression, la vie est même plus cool qu’au Standard, où il faut éteindre la musique 20 minutes avant l’échauffement. Ici, une heure avant le coup d’envoi, on entend encore la musique à fond dans le vestiaire. La pression vient de l’extérieur : des journaux et des supporters. Après notre élimination en Coupe face à Coimbra, les supporters nous attendaient au stade. J’ai vécu ça avec le Standard mais il était quand même possible de discuter avec les supporters. Pas ici. Le bus a été bombardé de projectiles et nous sommes restés deux heures au stade, jusqu’à ce que la police ait dégagé les lieux.

Au Standard, vous jouiez quand vous n’étiez pas blessé. Comment vivez-vous le fait de ne pas être toujours titulaire à Porto ?

Je savais à quoi m’attendre. Cette équipe a tout gagné. Il faut se faire une place dans le noyau par ses prestations à l’entraînement puis espérer pouvoir entrer au jeu et être performant pour rester. Je me suis accordé une année d’adaptation durant laquelle je dois accumuler le plus de temps de jeu possible. Je suis en avance sur mon planning.

En quatre mois, êtes-vous devenu un meilleur footballeur ?

Oui. Etre entouré au quotidien de meilleurs joueurs vous fait progresser. A force de répéter les mêmes exercices pendant des mois, on joue les yeux fermés. C’était différent au Standard car les regards étaient tournés vers moi quand ça n’allait pas. Je devais hausser le niveau de l’équipe, les autres me suivaient alors qu’ici, c’est moi qui les suis. Mais je ne compte pas rester un suiveur. Je veux devenir un pion important.

Vous n’aviez plus de défi à relever en Belgique ?

Quand on est parmi les meilleurs chaque semaine, il faut chercher un nouveau défi. Or, en Belgique, c’était devenu trop facile. Un footballeur aspire quand même à évoluer au plus haut niveau. Où se situe ma limite ? Porto aurait pu être trop relevé pour moi mais j’ai rapidement senti que le club croyait en moi.

Etes-vous parti au bon moment ou trop tard ?

J’ai atteint mon summum après le deuxième titre, sous Bölöni, mais je voulais à tout prix participer à la Ligue des Champions, ce qui était possible avec le Standard. Mais je me suis blessé une semaine avant le premier match.

Sinon, où seriez-vous maintenant ?

Everton était insistant et mon manager savait que le Real s’intéresserait à moi si Xabi Alonso ne quittait pas Liverpool…

Que vous a apporté cette longue période au Standard ?

L’interaction entre fans et joueurs était fantastique. Notre jeune noyau a gravi les échelons, un par un, et a presque tout gagné.

Le brassard

Vous n’avez pas quitté le Standard en très bons termes. Quel regard portez-vous sur cette période, avec le recul ?

La nouvelle direction m’a dit que je pouvais partir si j’avais une offre. Mon entretien avec le Lokomotiv Moscou a été positif jusqu’à ce que mon manager reçoive un coup de fil de Porto, qui s’intéressait à moi. Quand Porto a appris que Moscou me voulait, il m’a demandé d’attendre. Le Lokomotiv voulait que je me décide rapidement et a proposé une vraie manne mais je n’aime pas être placé sous pression.

Sur le plan strictement financier, Moscou était plus intéressant ?

Oui. Plus âgé, j’aurais immédiatement signé mais le défi sportif offert par Porto m’a davantage intéressé : il fait partie du top 8 européen. Ce revirement n’a pas plu au Standard qui avait déjà un accord avec Moscou et allait recevoir une indemnité intéressante. Pierre François m’a demandé de me déterminer et on m’a retiré le bon de sortie accordé. Le lundi, j’ai appris que je devais avoir un accord en poche le vendredi. Je n’ai pas trouvé ça très chouette. Rester six mois de plus au Standard ne me posait pas de problème mais je voulais laisser la porte ouverte.

Vous n’avez finalement pas joué contre Zurich.

J’ai été out une semaine. Le dimanche, je suis revenu de chez Lieven Maesschalck. Le mardi, le Standard jouait contre Zurich. Pierre François m’a demandé si j’étais en état de jouer. J’ai répondu : – Oui mais je ne suis pas fit. Et si je joue contre Zurich, vous ne pourrez pas me vendre à une formation qui participe aussi à la Ligue des Champions. On m’a écarté en faisant croire que c’était ma décision, ce qui était faux ( NDLRRiga avait déclaré officiellement qu’en accord avec le joueur, il décidait de ne pas l’aligner parce que Defour avait trop de choses en tête). Le club aurait pu me protéger au lieu de me lancer dans la tourmente. Une fois la date-butoir dépassée, on m’a dit que je pouvais rester six mois de plus. Quand j’ai demandé si je pouvais aussi retrouver mon brassard, on m’a répondu que non. Jelle Van Damme l’a conservé. C’était un choix à long terme mais ce n’était pas vraiment une marque de considération envers quelqu’un qui avait été capitaine pendant quatre ans, surtout que Jelle m’avait dit qu’il voulait bien me rendre le brassard. Quand on veut que quelqu’un reste, on fait quand même quelques efforts, non ?

Vous avez quand même encore joué une mi-temps, contre Gand.

Le vendredi midi, faute d’accord, José Riga m’a repris dans le noyau : – Si tu n’as rien ce soir, tu joues demain. A 15 heures, le samedi, Paul Stefani, mon manager, a téléphoné pour signaler que tous les documents étaient en ordre mais à la théorie, mon nom figurait encore parmi les Réserves. J’ai pensé que Pierre François n’avait pas encore averti l’entraîneur. Au repos, Riga m’a prié de m’échauffer et d’entrer au jeu. Je n’ai rien dit, pour ne pas faire de vagues. Quand je suis monté sur le terrain, Tim Smolders m’a demandé où j’en étais. Je lui ai répondu que c’était conclu. – Félicitations, je ne vais pas trop te malmener, a-t-il dit.

Vous allez sans doute rester un certain temps à Porto car une clause de votre contrat stipule que le club acquéreur devra débourser 50 millions ?

Le directeur sportif a affirmé me soutenir, croire en moi et que c’est pour cela que le club demande autant. Rester ici cinq ans ne me déplairait pas.

Et si ça ne va pas, Luciano D’Onofrio ne peut plus vous transférer à Anderlecht…

Je savais que vous alliez dire ça ! Anderlecht, c’est impossible. Je ne faisais qu’un avec les supporters du Standard. J’ai trop grandi avec ce club pour rejoindre Anderlecht. Luciano ne m’aurait jamais demandé ça.

Lors de votre départ de Genk pour Sclessin, Herman Van Holsbeeck aurait demandé à votre manager pourquoi il ne vous avait pas proposé aux Mauves…

A l’époque, Anderlecht jurait ses grands dieux de ne pas enrôler de joueurs qui brandissaient la menace de la loi de 78. Quand j’ai été élu Jeune Pro de l’Année, Van Holsbeeck a proposé trois millions à Genk pour mes services mais le Racing a refusé, en ma présence.

Vous retournerez à Genk si vous rejouez en Belgique ?

Si je reviens, ce sera de préférence à Malines. S’il n’avait pas fait faillite en 2003, j’y aurais joué des années. Si j’avais eu seize ans à l’époque, il m’aurait fait signer un contrat, m’a confié Fi Vanhoof. Mais je n’en avais que 14. J’ai vécu des années fantastiques à Malines, avec David Hubert, Marvin Ogunjimi, Anthony Limbombe aussi.

Avez-vous encore des nouvelles de Luciano D’Onofrio ?

Oui. Il trouve que je dois chercher davantage le but : – Tu es un grand joueur, maintenant, mais si en plus tu marques, tu seras un tout grand.

Que répondez-vous aux critiques du Standard, qui accuse D’Onofrio d’être derrière les transferts de Mangala, de Witsel et de vous-même ?

Si tout le monde en profite, qu’importe que ce soit Pierre ou Paul qui soit derrière ces transferts…

Witsel est bon. Pouvez-vous parler de lui, en tant que footballeur de Porto ?

C’est difficile. La rivalité entre Benfica et Porto, c’est celle qui oppose le Standard à Anderlecht, puissance dix. Il joue bien mais cela ne me surprend pas.

 » Au Standard, je tirais l’équipe vers le haut et les autres me suivaient. Ici, c’est moi qui suis.  »  » Le Standard m’ayant dit que je pouvais rester six mois de plus, j’ai demandé si je pouvais récupérer mon brassard. Non !  »  » Si je reviens en Belgique, j’aimerais que ce soit à Malines. « 

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