« En Afrique, je danse »

Le Burkinabé éveille l’intérêt général. Une journée dans les pas d’un célibataire.

9h17: massage

Décontracté, les mains derrière le cou, couché sur la table, Moumou Dagano profite du rituel du vendredi. « Ici à Genk, un tel massage fait du bien mais pendant la Coupe d’Afrique, il était douloureux. L’équipe nationale du Burkina Faso ne dispose pas de produits de massage et d’ailleurs, les massages sont mal faits. Et si j’apporte de l’huile de Genk, tout le monde en veut et le stock est épuisé en deux jours ».

Il grimace: « Heureusement que j’étais bien dans le match contre Bruges car tout le monde prédisait que Moumou serait vidé après la Coupe d’Afrique. Celle-ci a été dure car nous avons disputé cinq matches de préparation avant le tournoi. Heureusement, je suis titulaire. Mais le sélectionneur donne peu d’indications tactiques. Chacun peut jouer à sa guise, selon son inspiration. Il faut cependant prouver qu’on a sa place en équipe nationale en montrant qu’on a appris quelque chose en Europe. Genk m’oblige à participer davantage à la récupération du ballon que le GBA et je le fais pour le Burkina Faso aussi ».

Il était heureux de participer à la Coupe d’Afrique. Les gens ont été surpris de l’abnégation dont il a fait preuve là-bas: « Vous savez, les Africains sont parfois rancuniers. Quand quelqu’un vous fait du mal, vous ne l’oubliez pas. Ce n’est pas du tout mon cas. De fait, mon problème, c’est que j’oublie l’aspect négatif. Au Burkina Faso, j’ai rendu visite au président de mon ancien club. Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils ne m’adresseraient plus la parole si je faisais ça. C’est à cause du président que je me suis retrouvé en prison, pour faux en écriture. Il a donc été très surpris et même gêné par ma visite. Il pensait ne plus jamais me voir. Moi, j’estimais devoir le faire. Car il a aussi fait beaucoup pour moi, il m’a donné de l’argent et a réglé mes problèmes familiaux ».

Il a eu la possibilité de rendre visite à sa grand-mère et à son frère, au Burkina Faso: « Deux jours plus tard, nous sommes partis pour le Mali ».

Le reste de sa famille réside en Côte d’Ivoire. Il n’a pas eu l’occasion de les voir. Il aurait aimé y effectuer un saut car il n’aura plus la possibilité de retourner en Afrique avant la fin de la saison. Las, suite à l’élimination de son équipe au premier tour, Robert Raes, qui l’avait accompagné, a été impitoyable: il devait retourner à Genk.

C’était clair: le voyage de retour devait de dérouler sans ennui, contrairement à l’aller. En route pour l’aéroport de Paris, il ne s’était rendu compte qu’il avait oublié son passeport à Genk qu’à hauteur de Louvain… L’intervention de son bureau de management n’a servi à rien: son départ pour l’Afrique a été retardé de deux jours.

Il soupire. « Ma famille me manque énormément ».

10h02: entraînement

Le Racing Genk s’entraîne sous une pluie battante. « Pendant la préparation, nous avions tellement peu couru que nous nous demandions si nous serions armés pour l’ensemble du championnat. Mais cet entraîneur est tout simplement incroyable ».

Après quelques exercices d’échauffement, Pierre Denier emmène les attaquants tirer au but. Pendant le séjour en Afrique de Dagano, Wesley Sonck n’a pas marqué le moindre but. Les deux hommes sont devenus indispensables l’un à l’autre. Au début, pourtant, ils ne semblaient pas complémentaires.

« Nous ne nous entendions pas aussi bien à l’entraînement. Nous nous disputions même quand nous jouions dans le même groupe des matches à quatre contre quatre. Parfois avec une telle virulence qu’un jour, l’entraîneur nous a appelés. Il nous a obligés à discuter avant de reprendre l’entraînement. Maintenant, au lieu de nous adresser des reproches, nous nous conseillons l’un l’autre ».

La puissance de Dagano dans le rectangle intimide les défenseurs adverses: « Ces défenseurs sont parfois méchants mais si je m’énerve, ils vont continuer à m’énerver. En Afrique, quand je m’excitais, on me remplaçait. Ici, je ne jouerais plus du tout. A mes débuts, je jouais des coudes, je prenais des cartes stupides et, par-dessus le marché, je jouais mal puisque je passais tout le match à discutailler avec les défenseurs et à les insulter. Je devais cesser ce petit jeu si je voulais réussir. Pourtant, je n’imaginais pas changer. Quand je perdais des petits matches d’entraînement, il m’arrivait de shooter sur le ballon, de rage, mais l’entraîneur m’obligeait alors à offrir une bouteille de vin. Oui, je m’énerve plus à l’entraînement que pendant un match. Je deviens nerveux quand mon équipe perd ou que je ne marque pas ».

Il relève une différence entre le GBA et Genk: « Ici, on me fait confiance et c’est très motivant. Ça m’aide à trouver le chemin du but. Au GBA, j’ai dû évoluer deux ou trois mois en Réserves. Ce n’est que lorsque Severeyns s’est blessé que mon bureau de management, SEM, a dit que le club devait désormais me faire confiance. Entre-temps, j’avais inscrit beaucoup de buts en Réserves. On m’a fait confiance quand j’étais titulaire mais pas assez pour me titulariser plus régulièrement. Van der Elst craignait que je ne sois encore trop jeune. A Genk, je joue de manière plus cool, je suis libéré. Au GBA, j’étais toujours sous pression. Quand je compare la soirée qui précède un match, là et ici… A Anvers, je ne parvenais pas à m’endormir, tant j’étais concentré, même dans mon lit. Maintenant, je ne me concentre qu’une heure avant le coup d’envoi. L’entraîneur m’aide. Il noue immédiatement le dialogue avec un joueur, s’il constate que celui-ci est tendu, mal dans sa peau. Ce serait encore plus facile si nous parlions la même langue. Mais nous parvenons à nous comprendre ».

12h44: déjeuner

Aujourd’hui, les joueurs ne déjeunent pas au club. Dagano, qui ne possède pas encore de permis de conduire, est ramené chez lui par Didier Zokora.

« Nous venons à peine de passer le cap de la vingtaine mais Didier a pu apprendre à conduire en Afrique, avec la voiture de sa mère. Il joue ici depuis deux ans et il a profité de ses vacances pour passer son permis. J’espère pouvoir l’imiter au terme de cette saison ».

Lorsque Zokora engouffre son cabriolet Mercedes gris dans une étroite place de parking, le choix semble s’être porté sur un restaurant italien. « Parfois, je mange chez Didier. Sa femme nous mitonne des plats africains. Comme elle est enceinte, je dîne plus souvent au restaurant. Quand je serai équipé, je cuisinerai moi-même ».

Zokora: « Il réussit d’excellentes pâtes avec de la sauce tomate et du poulet! Toutefois, l’entraîneur exige que nous surveillions notre nourriture. A Bruxelles, à Matonge, nous achetons de l’igname. Ce sont des grosses patates africaines, très douces. Mais nous ne pouvons manger de frites. Si l’entraîneur nous prend sur le fait, nous devons nous acquitter de huit euros ».

La serveuse l’interrompt en apportant un osso bucco à Dagano et des calamars avec… une amende à Zokora.

Zokora affirme qu’il comprend l’entraîneur: « Je n’arrivais pas à me lever. Tous les matins, il m’appelait à huit heures afin que j’arrive à temps au club. Nous allions ensemble au fitness et ensuite, je devais me rhabiller et attendre l’arrivée des autres. ( Il grimace) Au bout de deux semaines, j’étais ponctuel. Magnifique! On nous a dit que si nous le souhaitions, nous pouvions toujours nous présenter plus tôt et prendre le petit déjeuner avec le staff technique. Le club sait que déjeuner à la maison n’est pas toujours évident. Mais nous le faisons toujours ».

13h47: drague

Dagano et Zokora ont à peine mis le pied dans la rue commerciale de Genk qu’ils s’attirent le regard intéressé de deux jeunes femmes. Timide, Moumou donne un coup de coude à Zokora, qui poursuit son chemin, imperturbable; « J’ai une amie, je ne dois pas m’intéresser aux autres femmes ».

Dagano ne succombe pas à leurs rires étouffés non plus. Il sourit timidement. Poliment, il écoute un supporter masculin avant d’adresser un large sourire à un couple d’un certain âge, installé dans une taverne du centre commercial: « Deux supporters de Genk. Chaque fois que je passe ici, ils sont assis et nous nous saluons. Vous savez, les supporters me demandent souvent mon numéro de téléphone. En général, je le leur donne. Mais toujours un faux, sinon, je n’aurais plus un instant à moi. J’apprécie d’attirer l’attention d’une femme mais pas de plusieurs en même temps! »

Il ne manque vraiment pas d’occasions, comme nous le remarquons un peu après dans une parfumerie. Au moment où il paie, une demoiselle lui demande un autographe. Et jouera-t-il ce soir? Non? Ah. Il n’a donc rien à faire ce soir? La demoiselle est libre également, donc.. Mais elle n’obtiendra rien de plus qu’une signature.

14h16: discipline

Nous buvons un verre dans le café qu’ils fréquentent. Une fois de plus, tous les regards se tournent vers eux. Lorsqu’ils viennent au bistrot après le match, ce qui est généralement le cas, ils sont assaillis par les supporters, mais ils l’acceptent avec bonne grâce: ça fait partie de leur métier.

Dagano: « J’aime sortir. Parfois, je me dis: si j’étais à Anvers, je sortirais chaque soir et j’aurais davantage d’amis. Mais j’apprécie aussi le calme qui m’entoure maintenant. Je me sens à l’aise. Je n’ai jamais subi de contrecoup en Belgique. Pas encore. J’espère que je n’en aurai jamais car si jamais c’est le cas, ce sera très grave. Ma famille me manquera énormément. Au GBA, je vivais avec d’autres jeunes dans le vieux stade. La vie y était réglée de manière stricte: lever à 7 heures, déjeuner à 7.30 heures, rassemblement général à 8 heures, direction le stade. Quand nous n’avions pas entraînement, nous nous adonnions au fitness. Le soir, il fallait être de retour à 22 heures. Un peu comme à l’armée. J’ai beaucoup appris.

Au début, je ne voulais pas mais mon manager m’a assuré que je m’habituerais en trois mois. Je dois lui donner raison. Si je n’avais été encadré avec autant de sévérité, j’aurais sans doute grossi. Seuls les week-ends étaient pénibles. Tout le monde rentrait à la maison et je devais rester seul. Je m’ennuyais ».

15h46: maison

C’est encore chez lui qu’il se sent le mieux, affirme Moumou Dagano: « Notre manager nous téléphone chaque semaine pour savoir si tout va bien et insister sur le fait que nous devons rester sereins et disciplinés ».

C’est le cas, malgré la pression que les supporters exercent: « Certains voudraient que je ne joue plus aussi bien, de peur que je ne quitte Genk au terme de la saison. Je pense que je vais rester un an encore. Il faut se méfier des supporters. Ce sont eux qui vous érigent en vedette mais ils peuvent tout aussi bien vous briser. Au GBA, ils me huaient dès que je ratais deux passes. Certains affirmaient que je n’avais pas ma place en équipe fanion. Maintenant, ils me téléphonent et disent qu’ils regrettent que je sois parti, en voyant tous les buts que je marque. Mais… »

On sonne à la porte. Une jeune fille du deuxième étage demande un autographe. « Elle vient de temps en temps. C’est sans doute pour un de ses camarades de classe. Parfois, les voisins viennent simplement pour bavarder. Beaucoup d’habitants de l’immeuble m’ont déjà invité à dîner. C’est très chouette mais si je dis oui une fois, je dois accepter toutes les invitations. Alors, je préfère rester chez moi, devant la télévision. Il m’arrive de passer des journées entières seul ».

Dans ce cas, Dagano fait brûler des herbes aromatiques pour baigner son living de parfums africains, avant de s’installer devant la télévision et de regarder les chaînes de son pays. « En Afrique, je danse. Ici, ce n’est pas possible. Ce serait gênant car vous dansez autrement. Je sortais aussi davantage en Afrique. Là-bas, il est impossible de rester assis chez soi: on vient vous chercher. Il faut s’amuser. Mais ça ne me manque pas. J’essaie d’oublier ce chapitre. Y penser n’est pas sain » .

Raoul De Groote,

« Si le club ne m’avait pas autant surveillé, je serais peut-être gros maintenant »

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