Emotions garanties

Le 9 juillet, il annonce son retrait de la compétition. Trois mois plus tard, il est le favori du Mondial.

Il était sept heures du soir à Monte-Carlo. Son regard s’était fixé sur un des nombreux téléviseurs qui retransmettaient les images du Tour de France. Il s’était pourtant promis de l’ignorer. Jusque-là, il avait soigneusement évité toute émission qui parlait de la Grande Boucle. Mais ce soir-là, le 9 juillet, il n’a pas pu décrocher lorsqu’on lui proposa les images du sprint de Reims prises de l’hélicoptère. Ces images l’ont frappé en plein coeur. Mc Ewen a battu Zabel et, lui il a reconnu les ombres de Cooke, Baldato et Haupman. Et plus le commentateur exaltait la beauté de ce sprint et plus la colère montait en lui.

« Bon dieu, tout le monde dit que je suis le sprinter le plus rapide et on me laisse à la maison. Comment se fait-il que lorsque je gagne Milan-Sanremo, tout le monde s’extasie alors que quand on me ferme la porte du Tour de France, dont je ne suis apparemment pas digne, personne ne bouge. Comment est-il possible que je gagne six étapes au Giro en battant tous ces gars et que je sois contraint de les regarder à la télévision? Et comment se fait-il qu’après 14 ans et 177 victoires je doive encore dépendre d’un seul homme qui décide si oui ou non je peux participer au Tour de France? Pourtant si j’étais là, je pourrais en remontrer à pas mal d’entre eux. Regardez les sprints, on dirait une course de juniors. ».

A chaque question, son amertume grandissait. Mario Cipollini a beau être un personnage exubérant, fort et invincible en apparence, il n’est pas insensible même s’il fait tout son possible pour ne pas le montrer.

Plus il réfléchissait et plus il trouvait des raisons de se sentir mal aimé; Après sa victoire à Milan-Sanremo, il s’attendait à un autre traitement. Avec sa troisième victoire à Gand-Wevelgem et ses succès au Giro (40 victoires en tout), il avait l’impression que les portes du Tour allait s’ouvrir. Mais quand Jean-Marie Leblanc a déclaré qu’il n’était qu’un showman, personne n’a osé ouvrir la bouche pour dire qu’un organisateur n’a pas le droit de manquer de respect à l’égard d’un coureur quel qu’il soit et certainement pas vis-à-vis d’un athlète toujours à l’avant-plan.

Bref, Mario a ressenti ces images du Tour comme une véritable offense: « Si, pour le cyclisme, Cipollini est indigne de courir le Tour de France, et bien je préfère arrêter ».

Cipo est un impulsif. Et ce soir-là, perdu sous les lumières de Monte-Carlo, il ne s’est pas posé deux fois la question. Il a appelé son manager Mauro Battaglini pour l’inviter à communiquer à l’agence Ansa sa décision: « J’arrête le cyclisme ». Il était 22 heures 12.

Scepticisme généralisé

La rage ne lui avait pas permis de se rendre compte de ce qui l’attendait dans les minutes qui allaient suivre. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’il comprenne que toutes ses craintes, même si elles étaient fondées, ne méritaient pas qu’elles soient dramatisées comme il l’avait fait. La nouvelle a explosé dans les journaux télévisés de la nuit et les quotidiens, qui avaient reçu l’info juste avant de boucler, n’ont pas hésité à la mettre en évidence. Cette explosion était bien la preuve de toute l’attention que la presse porte à sa personne et démontrait à quel point les amateurs de cyclisme l’apprécient.

Le téléphone de Mario Cipollini a été pris d’assaut. Même son équipe ignorait sa décision alors que la tristesse du champion semblait inguérissable. Pourtant, les quelques journalistes auxquels Mario a expliqué les raisons de son retrait des pelotons, étaient sceptiques. Personne n’était vraiment convaincu. Ils prétendaient même que cette décision, ne pouvait être irrévocable. La saison avait été trop belle pour connaître une fin aussi idiote. L’envie de prendre part au Mondial serait bien trop forte pour qu’un gagneur comme Cipollini s’arrête juste au pied de l’obstacle.

Après une escapade en Sardaigne pour assister à l’inauguration du Billionaire, la boîte de nuit de Flavio Briatore, une des grandes figures de la Formule 1, et un voyage en Corse, Mario organisait le 15 juillet une conférence de presse à Florence au cours de laquelle il révélait l’ampleur de sa déception. « Après le Giro, j’ai souffert du manque de chaleur humaine de la part de mes sponsors: pas un télégramme de félicitations, un seul coup de fil. Je me suis dit qu’il était moche que les personnes avec lesquelles je dois collaborer soient aussi lointaines. Et que si je ne pouvais participer au Tour, il fallait abandonner ».

Il s’entraînait toujours à fond

Les journalistes se firent insistants, la situation leur paraissant peu crédible. Lorsqu’on lui fit remarquer qu’un Cipollini ne pouvait quitter le cyclisme de cette façon, il rétorqua: « Je dois retrouver la stimulation pour recommencer. Je ne sais pas si j’y arriverai. Je suis fatigué. Je ne me rends pas encore compte que ma vie est en train de changer. Toutes ces histoires de dopage au Giro ont eu plus de répercussions sur ma tête que sur mes jambes. Les cyclistes ont certainement commis des fautes mais j’ai l’impression que, pour le moment, tout le monde en veut au cyclisme et aux coureurs. Actuellement, ma décision est définitive. Mon sentiment est que je dois prendre mes distances. Je m’attendais à plus de respect de la part de certaines institutions. Je devais être au Tour de France car la première semaine, c’est une sorte de mondial pour les sprinters. Il est injuste d’en exclure Cipollini. J’ai souffert des paroles et des actes des organisateurs. Ce qui me touche le plus c’est l’affection du public. Quand je dis le public, je ne parle pas des supporters car c’est normal qu’ils soient à vos côtés. Non, je songe à ces personnes que l’on rencontre sur les routes. Quand Leblanc avance qu’au Tour ne participent que des champions, pourquoi n’invite-t-il pas Cipollini. Il prétend que mon équipe est modeste. Mais sur quelles données se base-t-il? La firme Acqua e Sapone a un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros. Elle a investi dans le cyclisme jusqu’en 2003 et elle n’a pas l’intention de faire marche arrière. Et puis, le team est économiquement solide. Ma valeur ce n’est pas un possible titre mondial mais 14 années de professionnalisme au plus haut niveau. Après le Giro, je m’attendais à un signal de la France. Une présence au Tour de France influence fortement les gains des athlètes et la force de l’engagement d’un sponsor ».

Dans toutes ses paroles transpirait l’amour qu’il porte à un milieu qui l’a encensé. Pouvait-on imaginer son retrait, justement lors de la saison au cours de laquelle il a atteint sa cote de popularité maximale, notamment grâce à ses splendides résultats?

Et voilà qu’à partir du 18 juillet, parvenaient de Toscane des nouvelles selon lesquelles, sous le regard de son fidèle et réservé mécano, il s’entraînait comme un fou: le fond derrière la voiture le matin et la salle de gym l’après-midi. Ses supporters étaient sûrs que, d’un moment à l’autre, Mario annoncerait son retour. Zolder était à l’horizon. Comment pouvait-il permettre à l’histoire de retenir que Leblanc l’avait d’abord empêché de participer au Tour de France avant de l’obliger à mettre un terme à sa carrière?

« On ne pouvait permettre à Leblanc de me traiter comme une marionnette. Personne ne lui a expliqué que j’étais encore en mesure de donner le meilleur de moi-même, que j’ai sauvé le Giro. Le Tour appartient au cyclisme, pas à Leblanc ».

Il n’a pas osé l’annoncer à son père

Reviendra-t-il ou pas? En attendant, début août, Cipollini prend part à des circuits en Allemagne. La vedette, c’est toujours lui. C’est clair, il n’a pas cessé de s’entraîner. Le 28 août, le doute est levé: « Pendant ces deux mois, je me suis souvent dit que je ne me serais plus jamais remis un dossard sur le dos. Même si je n’avais pas dit à mon père, Vivaldo, que j’avais mis un terme à ma carrière, j’ai compris dans son regard toute la tristesse qui l’habitait. L’affection des gens, l’amitié de mon équipe et les messages reçus sont les facteurs qui, joints à ma passion pour ce sport, m’ont fait revenir sur ma décision. Et puis, je dois relever encore quelques défis: la Vuelta et le Mondial, sur un parcours qui me convient. Depuis que je suis gosse, je rêve d’endosser le maillot irisé et quelque chose me dis que je peux y arriver à Zolder. ».

Le premier rendez-vous a été positif: trois étapes à la Vuelta avant d’abandonner le 14 septembre.

« Comme prévu, je suis retourné à la maison après trois victoires qui m’ont rassuré sur mon excellent état de forme. Le moteur reste intact en dépit de ces 100 jours passés loin des pelotons. J’avais initialement prévu de quitter le Tour d’Espagne à Cordoba, au terme de la neuvième étape. Si j’ai anticipé mon départ de 24 heures, c’est parce que ma condition était meilleure que je ne le pensais et que je ne voulais pas presser inutilement mon physique. L’étape d’Ubrique, la huitième dont j’ai couvert les 75 premiers kilomètres, était pleine de montées et je n’avais pas besoin de me faire les jambes en escalade parce qu’il n’y en aura pas lors du Mondial. J’estime qu’il valait mieux parfaire la condition au Tour de la Province de Lucca et à Paris-Tours ».

Mais Cipollini a un contrat avec Acqua e Sapone jusqu’en 2003.

« Et puis il y a le record de victoires au Giro qui est de 41 et un compte à régler avec le Tour de France. Quand j’ai commencé à courir on m’a dit: -Le vélo a une âme: si turéussis à l’aimer comme il mérite, il saura te donner des émotions que tu n’oublierasjamais. J’étais jeune et je n’ai pas compris le sens de ces paroles. Avec le temps, j’ai fait mienne cette maxime parce que je tiens à faire passer le message à tous les jeunes qui désirent se lancer dans ce sport ».

Le soutien d’Armstrong et de Ronaldo

S’imaginait-il vraiment un cyclisme sans Cipollini.?

« Bien sûr, car Cipollini est tout simplement un homme qui roule à vélo, ce n’est pas l’incarnation du cyclisme. Si je n’étais pas revenu sur ma décision, le cyclisme n’aurait pas été orphelin, il aurait continué à vivre ».

N’a-t-il pas été égoïste?

« Non. J’ai donné beaucoup pour ce sport. Toute cette histoire m’a fait comprendre beaucoup de choses et, comme toujours dans la vie, tu te retrouves à un carrefour où tu es obligé de décider. J’ai fait un pas en arrière, mais c’est moi seul qui l’ai décidé. Et si c’était à refaire, je recommencerais car personne ne pourra me priver de ma liberté de penser et de parler. Il est vrai aussi que quand on reçoit un message d’ Armstrong t’invitant à revenir sur ta décision, tu te poses des questions et tu te dis que tout compte fait,tu es encore digne de figurer dans le peloton, en première ligne ».

Parmi ses fans, il y a Ronaldo aussi.

« Je suis supporter de l’Inter et j’ai eu l’occasion de discuter de nombreuses fois avec lui. C’est un très gentil garçon. Ainsi, le lendemain de ma première victoire au Tour d’Espagne, il m’a envoyé un message :- Félicitations, ami. Ronaldo. Mais ce qui m’est arrivé la veille du départ de la Vuelta est encore plus beau. Le mardi, je me trouvais chez Lombardi qui vit à Madrid. Nous sommes allés nous entraîner dans les rues de la capitale espagnole et nous sommes passés devant le stade Bernabeu. Une minute plus tard, j’ai reçu un message sur mon gsm :- Reviens sur tes pas, Mario. Ronaldo. Et bien cela fait plaisir de voir qu’il n’oublie pas les amis même s’il a quitté l’Inter »

A propos, pourquoi n’a-t-il pas levé les bras au ciel, comme il le fait habituellement, après sa première victoire à la Vuelta?

 » Un poquito de mieda, un peu de peur. Normal après 100 jours sans course et sans victoire, j’ai seulement voulu assurer jusqu’au bout. Mais ne vous inquiétez pas, si je gagne à Zolder, je lèverai les bras ».

Nicolas Ribaudo, avec ESM

« Le Tour appartient au cyclisme, pas à Jean-Marie Leblanc »

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