Emotion pure

141e en 1997, il gagne Roland Garros deux ans plus tard: le Kid, c’est ça!

Il y a bien longtemps qu’Andre Agassi n’incarne plus le renouveau du tennis. Chaque jour qui passe le rapproche un peu plus de la fin de carrière. A chacune de ses conférences de presse, l’homme est questionné sur la date de sa retraite. Elle est devenue presque aussi importante que celle de son futur mariage avec Steffi Graf qui lui donnera un enfant en décembre.

Et pourtant. A 31 ans, celui que l’on surnommait à ses débuts sur le circuit à la fin des années 80 le Kid de Las Vegas n’a jamais aussi bien joué au tennis. Son physique est plus affûté et ses coups plus dévastateurs que jamais.

Le secret de son exceptionnelle longévité? Il est à chercher dans ses nombreux comebacks et sa quête de la perfection qu’il a toujours mis un point d’honneur à appliquer. Car Agassi, c’est bien plus qu’un coup droit ou un coup d’oeil phénoménaux. C’est une philosophie.

Vous êtes l’une des personnalités les plus importantes du monde du sport. Chaque année, vous faites le tour du monde, vous descendez dans les plus beaux hôtels de la terre et des centaines de milliers de personnes viennent vous acclamer. C’est cool?

Andre Agassi: Avec le temps, j’ai appris à apprécier mon métier, mais les choses les plus importantes de la vie sont accessibles à n’importe qui. Le tennis engendre beaucoup de compromis et de sacrifices. Le fait d’être une célébrité amène certains avantages qui permettent de les accepter plus facilement. Mais les hôtels ont beau être magnifiques, je préférerais mille fois être à la maison. Je n’ai jamais aimé la routine. Avec l’âge, j’ai commencé à apprécier l’importance à se construire une vie solide. Cela prend du temps et ne peut se produire sur un simple claquement de doigts. Etre chez soi permet de travailler et de consolider les valeurs qui comptent le plus.

Vous voulez toujours vous lever chaque matin en vous concentrant sur les choses importantes?

Oui, ce qui rend vraiment heureux, c’est d’être en paix avec soi-même et la seule manière d’y parvenir passe par un engagement quotidien. Si, à la fin de la journée, je peux me regarder dans le miroir et me dire que j’ai fait bouger les choses que je voulais, je suis en paix. C’est ce qui me fait avancer.

Mais chaque fois que vous montez sur un court ou que vous mettez le pied dans un aéroport ou ailleurs, vous faites de la corde raide. Vous sentez-vous vulnérable?

La notoriété a un prix. Vous êtes placé en permanence sous un microscope et chacun de vos faits et gestes sont exagérés. J’essaie de garder à l’esprit que le plus beau compliment que l’on puisse me faire est celui des gens qui viennent spontanément me dire ce qu’ils pensent de moi ou me demander un autographe. Mais il faut faire un effort quotidien pour y arriver.

Une vie à part

Pour arriver où vous êtes aujourd’hui vous avez consenti énormément de sacrifices. On ne parle pas ici uniquement des entraînements de forcené auxquels vous vous êtes astreint mais aussi du fait d’avoir été un pensionnaire d’une académie de tennis alors que vous n’aviez que 13 ans.

Le prix le plus fort que j’aie eu à payer est mon enfance. Elle n’était pas normale. J’ai su très tôt que le chemin dans lequel je m’étais engagé était différent. Etre éloigné de chez moi durant ces années cruciales pour le développement a été dur. Les choses les plus normales m’ont manqué. A chaque fois que vous vous distancez de ce que la majorité des gens font, vous bâtissez votre propre vie. Cela a de très bons côtés mais il y a aussi des moments fort douloureux.

Vous avez toujours été entouré de parents très intenses dans l’affection qu’ils vouent à leurs enfants. Il y a eu votre père, celui de Steffi et la mère de Brooke Shields. Que pensez-vous des parents qui poussent très fort leur progéniture?

On se situe ici dans un système des valeurs. Quelles sont les priorités de chacun? Beaucoup de facteurs doivent être pris en compte pour répondre à cette question. La vie est compliquée. Prenez mon père, le seul père dont je parlerai jamais. J’ai toujours su qu’il m’aimait à chaque minute de la journée, mais il était extrêmement têtu. Ce qu’il a réalisé est incroyable. Il est arrivé aux Etats-Unis en provenance d’un pays à la culture ancienne -NDLA : il était Iranien et avait représenté son pays en boxe aux Jeux Olympiques-, ne parlant même pas anglais, et il a élevé une famille de quatre enfants en partant de rien. C’est phénoménal! Il a commencé comme serveur dans un des plus grands hôtels-casinos de Las Vegas, puis il est devenu placeur de salle. Notre famille n’aurait jamais survécu avec son seul salaire. Elle l’a fait grâce à la générosité de ceux qui avaient les moyens de donner des pourboires. Mon père est l’une des personnes les plus généreuses que j’aie jamais rencontrées.

Mes parents m’équilibraient parfaitement

C’est ce qui explique votre propre générosité? On sait que vous êtes, et de loin, le joueur le plus actif dans le domaine des actions caritatives.

Mon père m’a beaucoup appris. C’était quelqu’un de très fort mais en même temps, un passionné, prêt à donner tout ce qu’il possédait. Ces caractéristiques ont déteint sur moi.

Comment était votre mère?

Quand j’appelais à la maison, mon père voulait savoir comment le tournoi se déroulait tandis que ma mère me demandait quand je rentrais. J’ai profité d’une balance formidable. Mon père m’a aidé à me surpasser. Ma mère était un refuge parfait. Il y a bien sûr, de pères fort présents sur le circuit. Le tennis est un sport individuel en même temps qu’un énorme business. Beaucoup de pères commencent à entraîner leur fils ou leur fille très tôt et il est très facile de se mettre dans une situation où l’on a envie de les protéger contre la terre entière.

A 13 ans, vous n’écoutiez pas grand monde.

Je me rebellais contre le fait de vivre loin de chez moi mais j’essayais également de me faire entendre. C’est un processus naturel chez les enfants. J’étais le plus jeune à la maison. J’avais un frère qui avait sept ans de plus que moi qui me lançait constamment des défis et une soeur plus âgée de neuf ans très douée en tennis et encore une autre plus âgée. J’ai toujours senti que j’avais quelque chose à prouver.

Trop de bon tennis en lui

En 1997, votre classement est retombé à la 141e place mondiale. Vous éprouviez d’évidentes difficultés. Mais vous avez voulu vous inscrire dans un tournoi challenger qui se disputait sur le site de l’université de Las Vegas. Les matches se déroulaient avec trois balles seulement et un seul ramasseur. Pourquoi avoir voulu tout recommencer de zéro?

Je sentais qu’il restait encore beaucoup de bon tennis en moi et je voulais encore disputer des tournois. La question était de savoir comment réussir à m’améliorer. Ce tournoi challenger était la première étape d’un processus de renouveau. Ce qui m’importait était de terminer mes journées meilleur joueur que quand je les avais commencées. Gagner ne vous rend pas fier. Que je sois classé numéro 1, 2, 130 ou 140, mon défi restait toujours le même: je voulais être meilleur!

Quand vous avez bouclé la boucle en signant l’une des plus belles victoires de votre carrière, à Roland Garros en 1999, que vous êtes-vous dit?

J’ai tout de suite senti que ma vie ne serait plus jamais la même, comme si je n’allais plus jamais rien regretter pendant tout le restant de ma carrière. Ce tournoi, j’aurais pu, voire dû, le gagner dix ans plus tôt et je le fait alors que j’étais en instance de divorce, sur une surface qui n’était pas ma préférée et en remontant un handicap de deux sets à zéro. C’était presque irréel.

De quoi êtes-vous le plus fier?

De m’être battu pendant les moments où je croyais ne plus être compétitif. C’est cet esprit de battant qui a fait que j’ai continué à croire en moi. Ce qui me procure de la fierté, ce ne sont pas les moments où je suis en confiance et je fais mon boulot sur le court en exécutant mes coups à la perfection. Mais c’est quand je me sens seul et perdu, quand je ne sais pas si je vais réussir à renverser la vapeur et gagner le match malgré cela? Je me dis -Continue à courir, à travailler, à essayer!

Simplement battre l’autre

Le tennis est un combat autant mental que physique. Y voyez-vous des points communs avec la vie de tous les jours?

Pour moi, la connexion entre le tennis et la vie provient du fait que personne ne peut le faire à votre place, il vous faut toujours trouver l’issue par vos propres moyens. Vous ne devez pas mieux jouer que certains adversaires; il faut juste trouver le moyen de les battre. La vie n’est rien d’autre.

Vous est-il déjà arrivé d’avoir de la chance dans un match?

Oui. Quand j’ai réussi une volée de coup droit qui m’a permis d’écarter une balle de break dans le troisième set en finale du French, j’ai eu de la chance. Grâce à elle, j’ai ensuite gagné la troisième manche et j’ai été remis en selle pour gagner le match.

Vos yeux vous trahissent souvent sur le court. On voit quand vous êtes concentré ou distrait.

C’est vrai. Je suis quelqu’un d’extrême. Quand je suis concentré, je suis très concentré. Quand je suis distrait, je suis fort distrait. Quand je suis surexcité, je m’autorise à ressentir intensément toutes les émotions.

Vous avez quitté l’US Open particulièrement meurtri suite à votre défaite face à Pete Sampras, votre éternel rival… au terme de quatre tie-breaks?

Je me suis incliné alors que je n’ai jamais perdu mon service. Ce fut très dur à avaler. Je ne sais pas ce que j’aurais pu faire de plus lors de ce match. J’étais conscient que pour avoir une chance de battre Pete, il me fallait bien servir. Je l’ai fait mais cela n’a pas suffi. Disons que c’est une rencontre où je n’ai pas suffisamment capitalisé les occasions qui se sont offertes à moi. Logique, dès lors, qu’il se soit imposé.

Et la new generation?

Etes-vous d’accord pour dire que ce fut l’un des plus beaux matches de tennis du siècle?

Ce fut le plus beau de nos matches disputés l’un contre l’autre… et dieu sait si nous nous étions déjà souvent affrontés.

Le public ne s’y est pas trompé, qui vous a réservé une standing-ovation à l’entame du quatrième tie-break.

Ce fut un de ces moments qui marquent une carrière. C’est pour vivre ce genre d’instants que je m’entraîne dur depuis toutes ces années.

Que pensez-vous de la nouvelle génération, de ces joueurs tels que Lleyton Hewitt ou Andy Roddick? Croyez-vous qu’ils aient la même motivation que la vôtre?

Difficile de répondre. Je peux vous dire par exemple ce que je pense du jeu de Roddick ou des difficultés qu’ils vont rencontrer pour remporter les plus grands tournois du circuit tout au long de leurs carrières. Mais pour le reste, cela dépend trop du caractère de chacun.

Michael Chang a déclaré récemment que ces jeunes devront gérer une pression plus forte parce que le tennis jouit aujourd’hui d’une plus grande attention. Il suffit de voir les campagnes promotionnelles.

De nos jours, on parle énormément d’un joueur même s’il n’a pas encore gagné de Grand Chelem. En ce qui me concerne, j’ai dû supporter énormément de pression dès le début de ma carrière. Quand je suis arrivé dans le parcours, John McEnroe et Jimmy Connors partaient. J’étais perçu comme celui qui allait prendre la relève. Cela étant, je ne considère pas la pression comme un poids. C’est elle qui crée les vrais champions. C’est grâce à elle que vous montez sur le court plus déterminé et concentré que jamais.

Florient Etienne

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