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 » Emma, c’est de la dynamite « 

Le championnat du monde de voile en classe Laser Radial débute vendredi. C’est le dernier grand objectif d’Emma Plasschaert (26 ans) avant les Jeux Olympiques. Comment l’Ostendaise a-t-elle évolué depuis son premier titre mondial, en 2018 ? L’analyse de son coach, Mark Littlejohn.

Nous sommes à Belek, en Turquie, où les athlètes du COIB participent au stage pré-olympique. Emma Plasschaert est accompagnée de son coach, Mark Littlejohn, qui a remplacé le Tchèque Jakub Kozelsky fin 2018. Lors de son premier entretien avec Plasschaert, la question la plus importante qu’il lui a posée fut : quel est ton plus grand objectif ? Décrocher une médaille olympique ou devenir master dans ton sport ?

 » Je lui ai accordé quelques semaines de réflexion. La réponse est tombée avant l’EURO (en mai 2019, ndlr) : I want to become a master ! L’approche était toute différente. Son objectif devait être de tirer le maximum de son potentiel à long terme, jusque bien après les Jeux Olympiques de Tokyo.

 » J’ai fait comprendre à Emma que cette maîtrise se cachait dans tout ce qu’elle faisait : l’entraînement, la diététique, le repos, la détente… Dans un sport aussi compliqué que la voile, il faut des années pour devenir un master. Presque toute une vie.  »

Selon le Néo-Zélandais, aucune femme n’y est parvenue jusqu’ici.  » Même pas Marit Bouwmeester ( championne olympique à Rio en 2016 et médaillée d’argent à Londres en 2012 sous la direction de Littlejohn, ndlr). Les femmes ont quatre ans de retard sur les hommes, où on ne trouve déjà que six ou sept masters. Des navigateurs à qui tout semble réussir et pour qui tout semble simple, même lorsque la tension est à son comble. Comme si, pour eux, la voile était une deuxième nature, presque un art.  »

Le Britannique Ben Ainslie est l’un d’entre eux. Littlejohn a commencé à le coacher alors qu’il avait déjà décroché une médaille d’argent (1996) et une d’or (2000) aux JO. Par la suite, il a encore décroché trois titres (2004, 2008 et 2012). Littlejohn retrouve aujourd’hui de nombreuses qualités d’Ainslie chez Plasschaert, dont l’évolution est comparable.

 » Son état d’esprit et son intelligence, surtout : Emma est rusée, c’est une très bonne communicatrice, elle réfléchit à son sport et parvient très vite à convertir la théorie en pratique. Elle aime apprendre de nouvelles choses et constater qu’elle est capable de les appliquer.  » I have the eye, she has the feeling.  »

Une plus grande palette technique

 » Même si elle avait été championne du monde en 2018, j’avais remarqué qu’elle était encore loin d’avoir exploité tout son potentiel  » poursuit Littlejohn.  » Nous avons surtout adapté sa préparation physique. Avant mon arrivée, Emma se disait qu’elle devait surtout gagner du muscle et du poids pour être la plus forte possible, tout en étant relativement légère pour une navigatrice. Mais ça la rendait trop raide. Je voulais qu’elle soit plus dynamique, plus explosive. Elle devait gagner en puissance de feu. Pour cela, il fallait assouplir ses épaules, renforcer et stabiliser ses chevilles… Nous y sommes arrivés : she’s dynamite, now.  »

Emma ne copie pas : si tout le monde tourne à gauche et qu’elle pense qu’il vaut mieux aller à droite, elle y va sans hésiter.  » Mark Littlejohn

Tout en travaillant cet aspect physique, elle a élargi sa palette technique. Selon Littlejohn, l’un n’allait pas sans l’autre.  » Avant, et aujourd’hui encore, Emma était au top lorsque le vent soufflait moyennement – de l’intérieur vers la côte – et changeait souvent légèrement de direction, comme lors des championnats du monde 2018, où elle a décroché la médaille d’or. Elle évaluait parfaitement les angles qu’elle devait prendre avec son bateau pour exploiter le moindre changement de direction du vent. Ce n’est pas pour rien qu’elle est ingénieur industriel en architecture, hein. D’autres étaient moins fortes qu’elles dans ce domaine parce qu’elles suivaient le troupeau. Emma, elle, ne copie pas : si tout le monde tourne à gauche et qu’elle pense qu’il vaut mieux aller à droite, elle y va sans hésiter  »

Mark Littlejohn
Mark Littlejohn© BELGAIMAGE

Mais sur le plan technique, il y avait des choses à améliorer.  » Principalement sa vitesse de base moyenne « , dit le Néo-Zélandais.  » Emma devait tenter de l’augmenter en éliminant les moments où elle naviguait lentement, surtout par gros temps ou par vent de dos, de la mer vers la côte. Je ne veux pas dévoiler de secret mais c’était une question de position sur le bateau, de conduite, d’exploitation des vagues et de l’espace sur l’eau. Début mai, à la Semaine Olympique d’Hyères, alors qu’il y avait beaucoup de vent, elle a vu que ça fonctionnait. Elle a décroché la médaille de bronze et ça l’a mise en confiance : I can do this !  »

Tokyo, Paris, Los Angeles

Quelques semaines plus tard, lors des championnats d’Europe à Porto, elle s’est classée troisième et, alors que le vent soufflait fort, elle a rivalisé pour la première fois avec ses plus grandes concurrentes : la Danoise Anne-Marie Rindomet la Néerlandaise Marit Bouwmeester.

 » Sauf par vent de dos « , dit Littlejohn.  » Nous avons donc beaucoup travaillé cet aspect en vue du test olympique du mois d’août, le rendez-vous le plus important de l’année, sur le plan d’eau olympique d’Enoshima. Avec succès puisque, par temps variable – un mélange de vents forts et moyens – elle a été excellente.  »

Littlejohn voyait les progrès de Plasschaert confirmés à l’occasion de la première semaine de stage suivant une période de repos après l’événement test et la manche de Coupe du monde au Japon (qu’elle a remportée).  » Nous avions opté pour le plan d’eau de La Rochelle, en France, parce qu’il offrait beaucoup de vent de dos. Techniquement, Emma a tout de suite repris le fil. Dynamite from the start ! Alors que normalement, il faut quelques semaines. C’était donc bon signe et cela devait servir de base afin d’encore progresser par vent de dos.  »

Tout cela en fonction du premier moment fort de l’année, le championnat du monde à Melbourne, et en pensant déjà à Tokyo, où le vent soufflera surtout de dos, de la mer vers la côte.  » Là, elle sera certaine de maîtriser cela « , dit Littlejohn qui, avant les Jeux, veut encore régler deux détails techniques.  » Je ne vous dirai pas lesquels, c’est secret. Par la suite, on répétera. Répéter, pas s’entraîner, car cela voudrait dire qu’on fait encore des expériences. Répéter, c’est travailler ce qu’on veut appliquer au moment suprême. C’est ça qui permet de prendre confiance.  »

Le coach néo-zélandais songe déjà à l’après-Tokyo.  » Depuis le début de notre collaboration, Emma a doublé son arsenal technique. Si elle veut maîtriser son sport à la perfection, elle doit encore le doubler. Elle a le temps car elle n’a que 26 ans. Elle peut tenir jusqu’aux JO 2024 à Paris, voire jusqu’en 2028 à Los Angeles. Physiquement, elle ne progressera plus mais son cerveau va travailler plus que jamais car, après des milliers d’heures sur l’eau, elle aura plus d’expérience. Deviendra-t-elle la première master féminine en voile ? Reposez-moi la question dans cinq ou six ans. Mais ça ne m’étonnerait pas.  »

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