Elixir de vie

Filmé à Cannes par Dante Brogno, le numéro 8 des Zèbres a vécu des scénarios qui marquent.

Dès ses premières touches de balle sous le maillot de Charleroi, Laurent Macquet a révélé des qualités intéressantes. Il a mis sa technique, sa lecture du jeu et sa frappe (en mouvement ou sur phases arrêtées) au service du collectif des Carolos. .

Le meneur de jeu français règle la circulation de la balle, rééquilibre les lignes, et permet surtout à ceux qui l’entourent de s’exprimer plus clairement. Etienne Delangre et Dante Brogno s’étaient cassés les dents, ou arrachés les cheveux,face à l’indigence d’une ligne médiane où tout avait été tenté. Personne n’y avait jamais imprimé son cachet et les Zèbres y cédèrent le plus souvent le commandement à leurs adversaires. Il était temps de réagir et de trouver le chaînon manquant.

Macquet relancera-t-il sa carrière en Belgique comme le firent Matthieu Verschuere, Ali Lukunku ou EricJoly pour ne citer qu’eux parmi ceux qui débarquèrent de France ces dernières années? Eric Joly était retombé dans l’anonymat le plus complet quand Michel DeWolf le recruta à Rouen pour le compte de Courtrai avant qu’il ne fasse son chemin à Gand et à Mons. Charleroi a découvert Laurent Macquet (23 ans) par l’entremise de Mogi Bayat, neveu du président carolo et agent de joueurs.

« J’avais eu des contacts avec Charleroi la saison passée mais le staff technique de l’époque, placé sous la direction d’ Enzo Scifo, préféra engager BrankoMilovanovic. », rappelle Laurent Macquet.  » Mogi Bayat voulait déjà que je vienne en Belgique car il estimait que mon style de jeu pouvait apporter pas mal de choses à Charleroi. Cet agent me suivait depuis un petit temps et une relation de confiance se noua entre nous. Pour moi, c’est important. Il ne m’a jamais déçu et est devenu un ami, un confident ».

Contacté par l’OM

Laurent Macquet avait besoin de changer d’air. En France, les centres de formation tournent à plein régime. Les promesses sont vite oubliées quand elles n’entrent pas tout suite sur la piste aux étoiles. A 15 ans, il joue à Tourcoing, après être passé à Lille, et est repris en sélection régionale Nord-Pas-de-Calais. Onze clubs français lui proposent alors de rejoindre leur centre de formation, dont Auxerre et Nantes, mais il opte pour Cannes.

« Ce choix s’expliquait pour plusieurs raisons », lance-t-il. « Je vivais dans un internat pour enfants abandonnés par leurs parents et j’avais besoin d’un nouveau tuteur légal. Richard Bettoni, dirigeant de Cannes, fut le seul à accepter cette obligation et le juge des enfants de Lille autorisa ce transfert. Cannes disposait alors du meilleur centre de formation français. Quand je suis arrivé sur la Côte d’Azur, Zinedine Zidane prenait le chemin de Bordeaux et Cannes vivait ses plus belles années en D1 sous le commandement de Safet Susic tandis que l’entraîneur n’était autre que Luis Fernandez. J’ai été champion de France des -15 ans et des -17 ans, avec en prime des présences, et même le capitanat, en équipes nationales de jeunes de 15 à 18 ans. J’étais sur le bon chemin mais l’équipe Première de Cannes culbuta en D2 où je fis mes débuts de titulaire ».

Un peu plus tard, l’Olympique de Marseille frappa à la porte de ce jeune médian offensif. La presse cita un chiffre de 1,5 millions d’euros mais en accord avec son tuteur, Laurent Macquet préféra repousser cette éventualité. Une erreur? Le train de la gloire ne venait-il pas de passer sous le nez de Laurent Macquet? Cette hésitation ne lui coûta-t-elle pas cher dans un pays où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus?

« J’étais en plein boum et à 18 ans, on ne pense qu’à une chose:jouer », dit-il. « Je n’étais pas certain de trouver chaussure à mon pied à l’OM où brillaient des gars comme ChristopheDugarry ou FabrizioRavanelli. J’ai préféré rester à Cannes, en accord avec mon tuteur, afin de m’aguerrir, de continuer sur ma lancée dans la certitude que l’OM et d’autres clubs me feraient encore des propositions. L’OGC Nice s’intéressa aussi à moi. La suite fut moins drôle. Je me suis occasionné une entorse carabinée à la cheville droite pendant ma première saison en D2. C’était à la fin septembre et il m’a finalement fallu six mois avant de retrouver toutes mes sensations. Je n’étais pas rayonnant mais j’ai ensuite signé deux bonnes saisons en D2. Hélas, Cannes chuta en National (D3), alors que l’ambition de tous était de remonter en D1, et ce fut un coup très dur. Je suis resté un an et demi en National mais cela ne collait pas avec mes ambitions. Les dirigeants ont compris que j’avais besoin de me relancer. Cannes, où j’étais apprécié, m’a libéré alors que j’avais encore six mois de contrat: j’ai apprécié cette attitude ».

Pas drôle tous les jours

Laurent Macquet remontait vers le Nord de son enfance et de son adolescence. « J’avais aussi signéà Cannes pour mettre de la distance avec les gros problèmes familiaux que j’ai vécus », avance-t-il.

Tout ne fut pas toujours rose pour lui, loin de là, et il avoue que le football a été son élixir de vie. « Je ne sais pas ce que je serais devenu sans le sport », pense-t-il. « J’aurais peut-être mal tourné. J’avais neuf ans quand mes parents ont divorcé. Mon père a tenté de me garder avec mes deux frères, Sylvain et Eric. Apparemment, il ne pouvait pas subvenir à nos besoins et nous plaça dans un foyer pour enfants abandonnés de Lille. Là, j’ai découvert le mini-football. Je jouais du matin au soir avec des plus âgés. Ce fut mon dérivatif, ma façon d’oublier tous mes soucis. Ce ne fut pas drôle tous les jours. Mais chapeau, d’abord, aux éducateurs qui passent des heures à l’écoute de jeunes et d’enfants qui sont à la dérive.Mes frères étaient trop jeunes pour bien mesurer ce qui se passait dans notre vie. Mon père s’est remarié avec la voisine, je ne l’ai pas digéré, ma mère a refait sa vie à Paris. J’ai des tas de demi-frères et demi-soeurs mais ma seule famille, c’est Alexia, ma copine, Sylvain, Eric et mon tuteur. Mes parents ont songé à leur vie sans plus jamais penser à la nôtre ».

Le ton est doux malgré tout, sans rancune excessive, mais il n’a pas oublié ou pardonné. Dans son foyer, Laurent Macquet a partagé la chambre avec de jeunes voleurs, drogués, victimes de violences diverses, même des meurtriers. Le père d’une de ses familles d’accueil fut emprisonné pour viol d’une de ses nièces. Malgré tout cela, il garde confiance et est animé par un immense désir de réussir sa vie. Il y a peu, on croyait encore que de telles épreuves ne pouvaient fabriquer que de nouveaux malheureux incapables d’échapper à leur destin. Totalement faux et un célèbre psychanalyste, Boris Cyrulnik, récemment interviewé par l’hebdomadaire LeVif/L’Express, a démontré que ses confrères avaient trop longtemps été centrés sur le malheur. Pour lui, les enfants malheureux, brisés par des drames en tous genres, dont la guerre, doivent parler, être déculpabilisés et ils sont alors entraînés par un formidable appel au dépassement de soi. Cela s’appelle la résilience, le retour à la vie, une promesse de bonheur, un processus qui permet d’accepter son passé, de le digérer.

Il y a des cas célèbres, lit-on toujours dans Le Vif./L’Express: Maria Callas a grandi dans un dépôt d’enfants immigrés à New York, la chanteuse Barbara a été victime d’un viol paternel, Georges Brassens fut un mauvais garçon avant de découvrir la poésie, etc.

Macquet montre, sans avoir aucune prétention, une voie à suivre. Zinedine Zidane a joué un grand rôle en France en faveur des beurs. Pär Zetterberg a prouvé qu’un diabétique pouvait réussir au plus haut niveau. Même s’il n’a pas leur palmarès, Laurent Macquet sera peut-être une discrète icône de l’enfance abandonnée. Il voit son père une fois par an et retrouva sa mère en menant lui-même des recherches via Internet.

Un icône de l’enfance abandonnée?

Laurent Macquet fit le premier pas vers elle. Avec son amie Alexia,il la rencontra dans un café de la banlieue parisienne.

« Elle est venue au lieu de rendez-vous avec ses autres enfants: je n’ai vu aucune larme ou aucune émotion sur son visage », dit-il. « Ma copine était encore plus ébahie que moi. Je lui ai envoyé ensuite un de mes maillots de football, comme elle me l’avait demandé. Mais depuis lors, elle ne répond plus au téléphone ».

La nouvelle recrue des Zèbres a surmonté cette nouvelle épreuve. Bien organisé, il ne laisse rien au hasard,gère bien ses obligations administratives, aide ses frères qui sont déjà venus de Lille afin le voir à l’oeuvre sous son nouveau maillot. Il vient de s’installer à Nalinnesdans la maison occupée autrefois par Darko Pivaljevic. Laurent Macquet fait partie de la grande famille carolo. Il apprécie mais n’oublie jamais, quand il le peut, de se rendre dans son foyer de l’enfance de Lille. Pour mesurer le chemin parcouru mais surtout pour saluer les éducateurs et encourager les gamins qui le connaissent et vivent les problèmes qu’il a surmontés grâce au football et à sa volonté.

Pierre Bilic

« Mes parents ont songé à leur vie sans plus jamais penser à nous »

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