ELIXIR DE JEUNESSE

Pierre Bilic

A 18 ans, ce meneur de jeu porte le numéro mythique de Wilfried Van Moer dont le transfert en 1968 suscita aussi la sensation.

Le vent change-t-il de direction à Sclessin où des gamins s’apprêtent à surfer de plus en plus souvent sur le haut de la vague ? Ce ne sont pas encore des rouleaux comme sur les plages de Malibu mais la Meuse vibre en suivant des gamins ayant à peine résolu leurs problèmes d’acné.

Le vestiaire a accueilli avec gentillesse des promesses comme Marouane Fellaini-Bakkioui, Gaël Arend, Yanis Papassarantis, Axel Wietsel, etc. En Pologne, à l’Euro -19 ans, la Belgique s’est distinguée avec quelques joueurs formés sur les hauteurs du Sart-Tilman : Sébastien Pocognoli (désormais à Genk), Marouane Fellaini-Bakkioui, Jonathan Legear (Anderlecht), Kevin Mirallas (Lille) et Jordan Remacle (RKC aux Pays-Bas). Seul Fellaini-Bakkioui est resté à Liège mais cette moisson de jeunes est un signe de richesse en profondeur et de qualité de travail de tous les formateurs du Standard au cours de ces dernières années. L’Académie Robert Louis-Dreyfus est en voie d’achèvement et le filon de la jeunesse devrait, espérons-le, être de mieux en mieux exploité et protégé. Ce sera le défi de demain. L’arrivée de Steven Defour est à inscrire pleinement dans ce souci de faire confiance à une jeunesse douée et ambitieuse. Le transfert de l’étoile montante du football belge a fait couler beaucoup d’encre. L’ancien président de Genk, Jos Vaessen, a tiré à boulets rouges sur le Standard, le joueur, sa belle-famille et son agent, Paul Stefani. Ambiance, ambiance.

Le nouveau chef de file du conseil d’administration des Limbourgeois, Harry Lemmens, a déclaré que le Standard avait agi correctement. Le Standard a permis à Genk de palper 1,5 million d’euros alors que Cologne et Feyenoord auraient utilisé la loi de 1978 sans avoir d’état d’âme. De plus, le joueur a fait un geste supplémentaire :  » Contractuellement, j’avais droit à un pourcentage du montant de transfert. J’ai laissé cette somme à Genk.  » Pour lui, la fin du printemps et le début de l’été ne furent pas faciles à vivre. Il a essuyé la colère des supporters de Genk et son site internet (www.stevendefour.be) a même été interrompu tant la ranc£ur limbourgeoise était grande. Mais, à 18 ans, Defour n’a pas froid aux yeux.

Tout ce brouhaha vous a-t-il perturbé ?

Steven Defour : Non, pas du tout. Je suis heureux que tout cela soit dans le rétro, évidemment. J’avais un petit retard de condition quand j’ai repris le collier au Standard : je tournais à 60 ou 70 % de mon potentiel. Cela se sentait à la fin de nos matches de préparation, mais bon, le but est d’être au point à la reprise du championnat. Avant de signer à Sclessin, je m’étais entraîné individuellement mais ce n’est pas la même chose qu’en groupe. J’avais cependant l’avantage d’avoir prolongé la saison grâce à l’équipe nationale qui disputa des matches amicaux. J’ai passé une semaine de vacances à Rhodes : ce n’est pas beaucoup mais ce fut suffisant pour souffler et faire le point. Mon portable était coupé durant la journée. Je ne me suis pas inquiété pour mon avenir. Je savais que des clubs s’intéressaient à moi et que je devais les rencontrer après ces quelques jours de détente. En cas de solution avec un club belge, je n’ignorais pas que mon temps de préparation serait limité car le championnat approchait déjà à grands pas. J’ai lu la presse et j’ai été étonné qu’on ne reproduise qu’un son de cloche : celui de Genk. Il y avait des vérités là-dedans mais pas toute la vérité, c’était dommage. Genk avait le droit d’exiger un montant de transfert à l’Ajax d’Amsterdam. Mais six millions d’euros pour un jeune ayant disputé 20 matches en D1 ? J’avais le droit d’estimer que c’était exagéré.

 » Genk estime m’avoir formé ! Quelle blague…  »

N’était-ce pas finalement la preuve que Genk tenait à vous garder ?

Peut-être mais quand un jeune est courtisé comme cela par un grand club européen, cela fait plaisir. C’était une offre fantastique (trois millions d’euros cash, la possibilité de rester encore un an à Genk, un million en cas de déménagement à Amsterdam en septembre, un million et demi si cela se faisait en janvier 2007, plus 20 % du montant qu’Ajax obtiendrait en cas de transfert vers un autre club) alors que j’avais l’impression, par rapport à cela, d’être bloqué dans mon évolution à Genk. C’était une bonne proposition et j’allais évoluer à un très haut niveau. Hélas, l’affaire a capoté alors que le contact avait été bon avec Harry Lemmens, le nouveau président de Genk. Les clubs n’ont pas trouvé de terrain d’entente car Jos Vaessen exigeait six millions d’euros cash et je devais renoncer à mon pourcentage sur cette somme. Cela dépassait les bornes. Je tenais à la condition qui figurait dans mon contrat. Si cela dérangeait le club, il ne fallait pas mettre cela sur papier et signer. Après mon refus d’annuler cette clause, Genk a commencé à me chercher des poux. Je l’ai dit au président : – Votre décision estelle définitive ? Sa réponse fut : – Oui. Je me suis retrouvé dans l’obligation de rompre mon contrat en faisant appel à la loi de 1978. Après cela, mon téléphone n’a plus arrêté de sonner. Le président était tous les jours au bout du fil. Je suis jeune mais j’ai assumé ma décision. Je savais que j’avais raison et même quand le ton monta au téléphone, cela ne changea en rien mes certitudes. J’ai rencontré Maître Luc Misson avec mon agent. L’avocat m’a expliqué ce que je pouvais faire avant de me dire : – C’est à vous seul de décider. J’ai réfléchi deux jours avant de trancher. Genk ne m’a pas bien traité, m’a déçu et à un moment, j’ai dit : – Sorry, désolé. Je ne pensais pas à l’argent. Mais si on peut progresser sportivement, surtout, et financièrement également, pourquoi refuser ?

Genk ne vous a pas bien traité, dites-vous, mais a terminé votre formation, offert un bon contrat, déniché un appartement quand vous avez voulu voler de vos propres ailes : ce n’est pas rien, non ?

Genk estime m’avoir formé, mais faut pas exagérer. Quelle blague ! J’ai joué au FC Malinois jusqu’à 15 ans et demi. En 18 mois, je suis passé chez les Espoirs avant de me retrouver en D1. Si Genk m’a donné ma chance, c’est vrai, il ne m’a pas formé. Quand Malines sombra dans la faillite, Genk fut le premier sur la balle. Feyenoord et le PSV frappèrent aussi à ma porte mais j’avais donné ma parole aux Limbourgeois. Mon ancien club a été balayé en match amical par Tirlemont, un nouveau venu en D2 : 5-2 ! C’est quand même un signe inquiétant de ce qui se passe à Genk. Quelque chose cloche là-bas. Beaucoup de joueurs veulent partir et cela en dit long sur l’ambiance qui y règne. J’ai vécu la saison passée dans ce vestiaire. Je ne dis pas que l’atmosphère était pourrie mais il y a parfois eu des moments difficiles entre les jeunes et les anciens. Il faut accepter de telles oppositions. Si les débutants ont du respect pour la vieille garde, sur le terrain, ils veulent s’affirmer, c’est normal. Les plus âgés ne supportent pas toujours cet excès de motivation et d’enthousiasme des jeunes dans les duels. Cela provoque des problèmes. Je n’ai jamais eu de problèmes mais il y a parfois de la haute tension entre d’autres joueurs. Est-ce que cela explique les soucis actuels ? Je n’en sais rien, je ne joue plus là.

Koen Daerden a procédé autrement : il y a un an, Feyenoord a été sur sa trace. Il a été patient et se retrouve à Bruges. Ajax serait revenu à la charge dans un an…

Probablement, et nos chemins se croiseront peut-être à nouveau. Ajax va continuer à me suivre. Je comprends le club hollandais : Genk était trop exigeant et tout se compliquait avec la rupture de contrat. Non, je ne pouvais pas rester à Genk : l’ambiance ne s’y prêtait pas. Quand Jos Vaessen a haussé le ton au téléphone, ce fut… stop, pas plus loin, tout devait désormais passer par mon agent et le nouveau président de Genk, Harry Lemmens. Je ne dirai pas ce que Jos Vaessen a lancé : c’était dur. Je suis jeune mais il ne faut pas exagérer. Et je ne suis pour rien dans la démission de Jos Vaessen. Kevin Vandenbergh et Bob Peeters m’ont félicité pour mon transfert. J’ai eu Jan Moons au téléphone : il m’a conseillé de faire attention. C’était très amical et Jan a compris mes frustrations. Je ne suis pas un têtu : je sais ce que je veux. On ne va pas à la guerre avec de braves soldats. Je suis un footballeur qui sait où il va et j’y vais sans peur. Les clubs ont le pouvoir et quand un joueur exprime ses droits, la réaction de la partie adverse est brutale. Ceux qui me connaissent bien affirment que je suis un brave gars qui peut parfois affirmer brutalement ce qu’il pense. Mais il y a des choses qui ont été dites à mon propos qui font mal. Mon image en a pris un coup alors que d’autres footballeurs ont utilisé la loi de 1978. Régler ses comptes en lançant que Defour est un judas, cela ne se fait pas. Au début, à Genk, on appréciait que je sois vite devenu adulte ; puis, au c£ur des problèmes, on a dit que je l’étais devenu trop vite. J’ai aussi lu que j’avais voulu interrompre mes études. Non, non, j’ai bel et bien terminé mes humanités. Et tout ce qui a été dit sur ma famille…

 » Johan Boskamp m’a vu à l’£uvre avec les Diables contre la Turquie  »

Par exemple que vos beaux-parents guidaient vos choix et que vous ne parliez plus avec votre père ?

On n’a pas arrêté de me noircir. C’est regrettable. J’ai beaucoup de contacts avec mon père. Il sait tout, je lui ai tout expliqué et je lui ai demandé de rester bien calme. Il souffre du c£ur. On m’a attaqué et mon père n’a pas pu ou su se préparer ou se protéger aussi bien que moi. Mon beau-père m’a accompagné chez Maître Misson. J’avais besoin, entre l’avocat et mon agent, d’une personne me connaissant bien. Je le vois tous les jours et je lui ai demandé de m’accompagner, c’est tout. Enfin, c’est le passé et seul le football compte maintenant.

Comment le Standard s’y est-il pris pour vous convaincre ?

Simplement : Johan Boskamp m’a vu à l’£uvre avec les Diables Rouges contre la Turquie. Ajax était toujours dans la course. Le Standard a attendu, m’a sondé, s’est adressé au club afin d’entamer les négociations. J’ai renoncé à la clause obligeant Genk à me rétrocéder un pourcentage de la somme reçue pour le transfert. Je ne voulais plus revivre les mêmes problèmes qu’avec Ajax. J’ai mûri en vivant tous ces problèmes. Et je n’ai rien perdu au change en étant désormais chez le numéro 3 belge et…

Le Standard est vice-champion, pas troisième de la D1 : comment allez-vous jouer ?

Oui, oui, deuxième, bien sûr, vice-champion, qualifié pour le troisième tour préliminaire de la Ligue des Champions, candidat à la lutte pour le titre. En principe, le Standard présentera un système avec trois médians. Quand ce sera possible, un des quatre arrières nous prêtera main forte. Je serai le pion le plus offensif de ce secteur de jeu. Derrière moi, il y aura de la vitesse, du travail et des infiltrations avec Karel Geraerts tandis que des joueurs comme Siramana Dembele, Coelho ou Junior occuperont plus des postes de contrôle. A partir du 11 août, Sergio Conceiçao retrouvera sa place sur le flanc droit. Igor De Camargo sera un de nos atouts en pointe. A gauche, il y a les deux Milan : Rapaic et Jovanovic. Le Standard doit encore rôder ses automatismes mais ce n’est qu’un problème de temps et de travail : l’équipe sera compétitive. Physiquement, j’ai progressé. La saison passée, j’avais traversé un petit creux en hiver et en fin de saison. A ma décharge, je dois préciser que l’équipe ne tournait pas bien.

Au Standard, à 18 ans, vous serez chargé de distribuer le jeu, donc d’alimenter et même de commander Sergio Conceiçao : cela ne vous effraye pas ?

Non, pourquoi ? Je dois permettre aux autres de mieux jouer, de leur procurer les meilleurs espaces de travail. Si j’y arrive, ce sera parfait. Sergio Conceiçao sera à nouveau le général et j’aimerais bien l’aider dans sa tâche. Mais le coach n’attend pas cela que de moi. Karel Geraerts devra le faire aussi, comme d’autres. Conceiçao a déjà tout vu et tout vécu. Quand il est là, on remarque tout de suite que ce joueur est très écouté. Il a £uvré à la Lazio, à l’Inter et a du talent à revendre. Je le vois à l’entraînement où il ne rate pas un seul centre. Cela suscite le respect. Pour le moment, il ne dit pas grand-chose mais quand ce sera nécessaire, tout le monde sera très attentif, je crois. Ce n’est jamais mauvais quand il y a des personnalités dans un vestiaire. Conceiçao demande beaucoup le ballon. Il l’aura mais pas toujours. On dit que l’équipe penchait parfois à droite la saison passée. En fait, le Standard doit surtout réduire le nombre de longs ballons. C’est un style de jeu qui fait trop abstraction des atouts de la ligne médiane. Nous sommes sur la bonne voie.

Avez-vous refusé le numéro 9 ?

Non, pas du tout. J’ai joué avec le 9 parce que Bouchouari était blessé. Je n’avais pas l’intention de lui prendre son maillot. J’ai demandé celui qui était libre. Le 8 que j’ai d’abord reçu en version XL. Je nageais dedans…

 » J’ai entendu parler de Wilfried Van Moer  »

Le 8, le numéro du mythique Wilfired Van Moer transféré de l’Antwerp en 1968 pour 150.000 euros. Cela vous dit quelque chose, même si vous n’étiez pas né ?

Oui, bien sûr. J’ai entendu parler de Wilfried Van Moer. Je sais qui il était sans jamais l’avoir vu jouer, évidemment. Mon père, Jacques Defour, a porté la vareuse du Crossing. Il n’a joué qu’un match en D1 avant d’être victime d’une déchirure des ligaments croisés du genou. Il appréciait le talent de Van Moer qui est une des légendes du club.

Votre français est très bon…

Pas de problème. Du côté de mon père, la famille est francophone. En humanités, j’avais opté pour les langues : néerlandais, français, anglais, allemand. J’ai été busé en allemand : tout juste 50 %, quoi.

Ah, c’est pour cela que vous êtes au Standard et pas à Cologne ?

Non, pas du tout. L’offre était belle mais je crois que le football allemand ne me convient pas. Feyenoord me voulait aussi mais ne me connaissait pas assez bien. Le coach avait lu des rapports de scouting et je devais surtout étoffer le noyau. Les possibilités étaient bien plus intéressantes au Standard.

Le mois d’août sera très chargé avec le championnat, la Ligue des Champions, les rendez-vous des Diables Rouges sur la route de l’Euro 2008…

Cela ne m’effraye pas. Je joue au football pour vivre de tels moments.

La troisième journée du championnat vous réserve un voyage à Genk : pas mal, n’est-ce pas ?

En effet. Ils peuvent toujours essayer de me déstabiliser. Ils vont vociférer mais je ne les entendrai pas.

PIERRE BILIC

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