Eléphanteau de Thaïlande

Pour arriver de Côte d’Ivoire en Belgique, il existe désormais un nouvel itinéraire avec une escale à Bangkok.

Arborant un large sourire sur son visage juvénile, il s’attable :  » Permettez-moi de me présenter ! Je m’appelle YayaSoumahoro et je suis né à Adzope, une petite ville ivoirienne à une heure de route d’Abidjan…  » Soumahoro, c’est la nouvelle petite perle de La Gantoise. Son parcours n’est pas commun, puisque c’est en Thaïlande que les Buffalos sont allés le dénicher. Comment avait-il abouti là-bas ?  » En fait, en 2007, après deux saisons passées dans le championnat de Côte d’Ivoire, j’avais reçu des invitations pour venir passer des tests en Europe. Il y en avait une du Standard et aussi de clubs français, comme Rennes et Guingamp. Mais je n’avais pas pu quitter la Côte d’Ivoire parce que le pays était en pleine guerre civile. Un an plus tard, alors que le situation s’était calmée, j’ai été contacté par RobertProcureur, un Belge établi en Thaïlande (voir cadre). Je me suis tout de suite rendu compte que son projet était intéressant. La décision de quitter mon environnement n’a pas été facile à prendre, mais après réflexion, j’ai décidé de me lancer. Je ne l’ai jamais regretté. En passant en Thaïlande, j’ai enfin gagné suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de ma famille. Et sur le plan sportif, j’ai beaucoup appris. Je suis arrivé à Bangkok en 2008, et depuis lors, le club n’a cessé de progresser pour atteindre aujourd’hui un très bon niveau.  »

L’adaptation n’a pourtant pas été simple :  » Les cultures respectives des deux pays sont très différentes. Au début, j’ai eu du mal à m’habituer à la nourriture : en Thaïlande, on mange souvent cru. L’éloignement fut parfois pesant également. Mais M. Procureur m’a toujours soutenu et je tiens à l’en remercier. Lorsque je parle de mauvais moments, je songe surtout à ma blessure. La saison dernière, j’ai souffert d’une déchirure à la cuisse. Au départ, j’en avais pour deux semaines. Mais j’ai rechuté, et là, j’ai réellement pris un coup sur la tête. Quand on se retrouve sur la touche, loin de chez soi, c’est dur. M. Procureur était là et m’aidait aussi à régler les petits soucis du quotidien, à faire les courses dans cette immense métropole qu’est Bangkok. Une ville qui ne dort jamais, où l’animation est permanente. Ce qui m’a le plus étonné à Bangkok ? J’ai découvert qu’un homme pouvait… changer de sexe ! J’en suis resté bouche bée, je l’ignorais complètement… « 

Pendant les émeutes, en revanche, Yaya n’a pas eu peur.  » Les affrontements se déroulaient à un endroit bien précis du centre-ville, qu’il suffisait d’éviter. Ailleurs, c’était calme. « 

Et au niveau du football ?  » On serait étonné de constater à quel point on peut trouver de bons footballeurs là-bas. Le jeu y est un peu plus lent, mais il y a de très bons techniciens. Pendant six mois, j’ai travaillé avec un entraîneur belge : RenéDesaeyere. J’en ai gardé un très bon souvenir.  »

Yaya affirme qu’il n’a jamais souffert du racisme en Thaïlande.  » Dans mon club, diverses nationalités se côtoyaient : thaïlandaise, ivoirienne mais aussi allemande et japonaise. Il n’y a jamais eu de problèmes relationnels et la mentalité était très professionnelle. En ville, les gens s’étonnaient un peu de voir un Africain, mais lorsqu’ils découvraient que j’étais un joueur de foot, ils demandaient à être pris en photo à mes côtés ! « 

Yaya s’est fait regretter à son départ.  » Le championnat se dispute de février à octobre et je suis donc parti alors que le club aborde la dernière ligne droite. Lorsque j’ai joué mon dernier match, j’ai vu des gens qui pleuraient dans les tribunes. C’était très émouvant. « 

Passionné par Arsenal

Yaya, comme beaucoup de footballeurs africains, rêvait de signer un contrat en Europe.  » J’ai atteint mon objectif, même si j’ai emprunté un itinéraire peu commun. Pourtant ces deux années en Thaïlande m’ont probablement été utiles : j’ai pu m’habituer à vivre à l’étranger et à me préparer pour le Vieux Continent. Je découvre le championnat de Belgique, qui me paraît très intéressant pour un débutant comme moi. Je pense que je pourrai y réaliser de belles choses si je continue à travailler. Beaucoup de mes compatriotes ont montré la voie à suivre. Ils sont nombreux, les Ivoiriens à être passés par la Belgique avant de se retrouver dans un grand club étranger ou en équipe nationale. Voilà pourquoi, lorsque La Gantoise m’a proposé de venir en Belgique, je n’ai pas hésité. Je veux progresser étape par étape. On verra si je parviendrai à viser plus haut par la suite. Pour réussir, je suis prêt à consentir beaucoup d’efforts.  »

Son rêve absolu ? Arsenal !  » Depuis mon plus jeune âge, j’ai un faible pour les Gunners. Et cette passion remonte bien avant l’arrivée de certains joueurs ivoiriens à l’Emirates Stadium. Je suis d’abord séduit par le fait que, malgré ses grandes ambitions, le club n’hésite jamais à offrir une chance aux jeunes. En plus, c’est une équipe qui joue bien, qui est agréable à regarder. On ne doit pas nécessairement être une armoire à glace pour s’imposer, les petits formats reçoivent aussi leur chance. J’ai toujours adoré regarder les matches d’Arsenal, et je pense qu’on peut apprendre beaucoup en visionnant ces joueurs-là. « .

Cette saison, Yaya a déjà trouvé le chemin des filets à deux reprises pour La Gantoise : contre Feyenoord en Europa League et à Charleroi en championnat.  » Deux buts importants : ils ont été utiles à l’équipe et c’est cela qui m’a fait le plus plaisir. J’espère ne pas en rester là. En tout cas, c’est bon pour la confiance. Quand on arrive dans un nouveau club, il faut démontrer ses qualités afin de se faire une place dans l’équipe. Le jeu est rugueux ici, mais je m’y adapterai. La qualification pour les poules de l’Europa League est une très bonne chose. Ces matches offrent une très belle vitrine. Beaucoup de recruteurs prennent place en tribune. Je suis heureux d’avoir été aligné sur le flanc gauche, ma meilleure place. Je peux aussi évoluer à droite, le cas échéant, mais je m’y sens moins à l’aise. J’aime surgir de loin, m’engouffrer dans l’espace en étant lancé. Mais je ne veux pas tout considérer d’un point de vue individuel. Je pars du principe que, si l’équipe tourne, j’en recueillerai forcément les bénéfices puisque j’aurai plus de facilité pour inscrire des buts. « 

Yaya trépigne d’impatience à l’idée de pouvoir croiser le fer à deux reprises avec Gervinho, qui évolue désormais à Lille et qu’il considère comme un modèle. Physiquement, et au niveau du style de jeu, il y a sans doute une ressemblance entre les deux hommes.  » Gervais est un modèle pour moi, mais aussi pour beaucoup de jeunes Ivoiriens. Je ne le connais pas personnellement, bien qu’on soit de la même génération. Je sais que c’est un gros travailleur. Il est parti de rien, un peu comme moi. Beveren fut une première étape en Europe. Lorsqu’il a signé au Mans, il s’y est d’emblée imposée. Et aujourd’hui, le voilà au LOSC, une équipe du top français. La leçon que j’en tire, c’est qu’il faut toujours croire en ses possibilités, et ne pas renoncer lorsqu’on traverse parfois des moments difficiles.  »

Orphelin dès 11 ans

Pour l’instant, Yaya vit seul à Gand. Il espère être bientôt rejoint par sa fiancée, d’origine malienne. Il a un frère cadet et trois s£urs aînées, qui sont déjà mariées. En revanche, il a perdu ses deux parents.  » Mon père est décédé en 1995, des suites d’une longue maladie. Il était médecin à l’armée. Ma mère, elle, nous a quittés en 2001. Pendant six ans, elle a donc veillé seule à l’éducation de ses enfants, tout en essayant de récolter de l’argent en faisant un peu de commerce : elle achetait des objets, qu’elle revendait. Je lui tire mon chapeau pour le courage dont elle a témoigné. Je peux dire qu’elle nous a bien éduqués. Lorsqu’elle est décédée à son tour, j’ai eu la chance d’être adopté par une famille proche, qui a également veillé à mon éducation. Cette famille n’avait pas encore d’enfant à l’époque, et lorsqu’un garçon est né plus tard, je l’ai considéré comme mon frère. Le football m’a permis d’oublier tous ces malheurs familiaux : lorsque j’ai intégré le centre de formation de mon quartier, je me suis retrouvé avec mes amis. « 

La jeunesse de Yaya fut difficile.  » Mais, en même temps, cela m’a mûri en m’obligeant à affronter, très tôt, les aléas de la vie. « 

Ce football, qui l’a aidé à surmonter son vague à l’âme, lui permet aujourd’hui de gagner sa vie.  » A un moment donné, il a fallu faire un choix entre l’école et le foot. Je n’arrivais pas à m’investir à fond dans les deux. J’en ai discuté avec mes parents adoptifs. Ils m’ont dit : – D’accord pour quetuoptespourlefootball, maisalors, faisensortederéussir ! Voilà pourquoi je ne néglige aucun effort : je dois tenir la promesse que j’ai faite à mes parents.  »

Yaya n’a pas intégré l’académie de Jean-Marc Guillou à Abidjan, mais il en pense le plus grand bien.  » Les joueurs issus de l’académie Jean-Marc Guillou ont presque tous réussi en Europe. Ils ont servi d’exemple pour les suivants. On a tous envie de suivre leurs traces, on s’est tous mis à rêver : – Pourquoipasnous ? Même ceux qui ne sont pas partis en Europe en ont bénéficié du travail colossal accompli à l’académie. Autrefois, c’était difficile d’intégrer un club de D1 ivoirienne à un âge précoce, surtout si l’on n’était pas musclé. Grâce à l’académie, des portes se sont ouvertes.  »

Au fond de lui-même, Yaya cultive un rêve fou : disputer une Coupe du Monde, comme Didier Drogba et ses potes. Y arrivera-t-il ?  » Je suis musulman, alors je vais répondre : Inch Allah !  »

par daniel devos

« À Bangkok ? J’ai découvert qu’un homme pouvait… changer de sexe. »

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