El francés

Il donne la victoire à la France à l’EURO 2000 puis émigre à la Juve où il accepte de faire banquette pendant un an avant d’exploser.

Avec les premiers gains de son fils, Jorge Trezeguet a décidé d’acheter un appartement de 200 mètres carrés en plein centre de Monte-Carlo. Il y vit avec sa femme Beatriz, cachée derrière des piles de journaux et de revues du monde entier. Une paire de ciseaux à portée de main, elle avoue qu’elle s’est elle-même décidée à découper tous les articles parlant de son fils. « Que voulez-vous, quand j’ouvre un magazine, je ne vois que sa photo », dit-elle.

Quant au père, il ne se fait prier pour parler de son fils:  » David est né à Rouen où je jouais. Après deux ans, nous sommes rentrés chez nous, à Buenos Aires, et nous nous sommes établis dans le quartier de Vicente Lopez, en dehors du centre. David est né avec le ballon en tête, ce qui dans le fond est logique. Il ne pensait qu’à jouer et le pire arriva quand sa mère décida, alors qu’il avait cinq ou six ans, de l’amener au stade me voir jouer. Il était vif et ne restait pas en place. Alors, je me suis amusé à lui apprendre les premiers rudiments du football.

David n’avait pas le physique adéquat pour devenir un footballeur. Il était grand et maigre. Evidemment, le talent était là. Un jour, son oncle Thomas, le frère de ma femme, décida de l’amener au Platense, un club de Baires. Là, on le prit rapidement en charge et on l’aligna dans l’entrejeu. Ce fut un échec total. Il était lent.

Le virage advint une paire de saisons plus tard lorsque son entraîneur décida de le placer en attaque. Il explosa, marquant des goals à répétition. Et pas seulement avec les équipes d’âge, vu qu’il ne les a pas beaucoup fréquentées. A 15 ans, il s’entraînait avec la Première et à 16 ans, fit sa première apparition en D1.

Son entraîneur de l’époque, Ricardo Rezza, lui faisait totalement confiance. Malheureusement, à la fin de la saison il quitta le club et son successeur n’avait pas la même opinion sur David et le laissa se morfondre sur le banc. Il n’avait pas le moral quand est intervenu un ami qui me déclara qu’il avait des relations avec le PSG et que l’on pourrait tenter de lui faire passer un test en France ».

Avant de partir, David -né en France-, opte définitivement pour la nationalité française. Au Parc des Princes, Luis Fernandez, l’entraîneur, est enthousiaste et lui permet de suivre la préparation d’avant-saison avec le noyau. Il jouera même un match contre St-Etienne où il aura comme adversaire direct Laurent Blanc.

« Malgré cela, il ne reçut pas de contrat », interrompt papa Trezeguet. « Mon ami eut beau demander au président du PSG de payer David 2.300 euros par mois, il trouva que c’était trop. C’est alors que Fernandez téléphone à Jean Tigana, son ex-équipier en équipe nationale, pour lui dire qu’il possédait un jeune talentueux. Nous débarquons à Monaco où, après le premier entraînement, Tigana accepte de verser les 2.300 euros avec en plus l’appartement payé pour toute la famille. C’était en juillet 96 et six mois plus tard, ma femme et ma fille Fabiana, qui est aujourd’hui âgée de 17 ans, sont venues nous rejoindre ».

La politique se mêle de son transfert

En fait, il semblerait que cette version soit un peu édulcorée. Daniel Bravo, qui a l’époque était attaquant au PSG, se souvient de l’arrivée de David Trezeguet. Il confirme que Luis Fernandez tenait absolument à conserver le joueur, mais que la véritable raison de son refus ne se trouve pas dans le fait du salaire et de l’appartement, mais parce que David avait demandé au PSG de légaliser la situation de sa famille, plus en ordre de visa, qui risquait d’être renvoyée en Argentine. Le PSG aurait pu le faire mais refusa pour ne pas mettre en porte-à-faux Annie Lerithier, membre du conseil d’administration du club et chef de cabinet de Jacques Chirac, à l’époque maire de Paris et premier ministre.

« Ce que le PSG n’a pas fait afin d’éviter une affaire intégrant un des personnages les plus importants de l’Etat, Monaco l’a fait », commente Bravo. « Les dirigeants monégasques ont engagé David et ont placé sa famille dans une résidence où elle était à l’abri des contrôles administratifs ou de police, le temps de résoudre au mieux le problème du visa ».

Ce n’était pas encore gagné pour celui qui en Argentine était connu comme el francés et qui, à Monaco, était l’Argentin. David joua principalement avec les jeunes et s’y lia d’amitié avec Thierry Henry. Mais l’entraîneur des jeunes ne l’apprécia pas et sa famille affirma qu’il était raciste et préférait les Français pure souche. Elle l’accusera même de ne pas remettre à l’entraîneur de l’équipe Première, Jean Tigana, des rapports exacts sur la valeur réelle du joueur. Malgré tout, l’ancien international l’intègre dans son noyau car d’autres sources lui ont confirmé que le jeune garçon marquait des goals à la pelle.

Deuxième grand moment: Gérard Houiller, l’entraîneur de l’équipe de France des -18 ans, s’interroge. Ses jeunes ont l’habitude de dominer leurs adversaires mais ils ne marquent pas. Il en parle à Thierry Henry qui suggère le nom de son compagnon argentin. Houiller le sélectionne et ne le regrette pas: en match amical contre la Slovénie, David inscrit deux buts. Et dans la foulée, il fait son apparition en championnat de France à 17,5 ans contre le…PSG.

David n’a pas 20 ans quand il entame sa troisième saison à Monaco 1997-1998. C’est une année importante. Au bout du parcours, il y a la Coupe du Monde.

Jacquet n’a pas hésité à l’amener au Mondial

Trezeguet est devenu titulaire et a en plus la joie d’évoluer à côté de son pote Thierry. 27 présences et 18 buts: cela ne pouvait passer inaperçu.

« Le sélectionneur, Aimé Jacquet, téléphona à Tigana pour lui demander comment était David », explique papa Jorge. « Il voulait savoir comment il était dans sa tête. Le rapport fut favorable. David a toujours été un garçon sérieux. Il rentrait rarement tard à la maison. Attention, ce n’était pas un moine. D’ailleurs, un jour il est arrivé avec une fille anglaise et m’a lancé: -Papa voilà ma fiancée. Bueno, que pouvais-je lui dire? Puis, un autre jour, il débarquait avec une fille portugaise: -Papa, voici ma nouvelle fiancée. Enfin, je pense qu’il n’a pas exagéré. Entre-temps, l’heure de la sélection s’approchait. David croyait que son nom figurerait sur cette liste. Moi je tentais de le calmer même si, je dois bien l’avouer, j’y avais déjà songé moi aussi. Enfin, nous savons tous ce qu’il en est advenu.

Dix ans plut tôt, il m’avait lancé: -Papa, je serai champion du monde avec la France. Le rêve d’enfant c’était réalisé. David n’a pas changé jusqu’au jour où il est allé à la banque et en est revenu amoureux fou. Au guichet, il avait rencontré Béatrice, une jolie fille blonde, d’origine espagnole du côté maternel, mais française de naissance. Première coïncidence, elle porte le même nom que sa mère et seconde, elle possède la double nationalité que David n’avait jamais pu avoir. Un peu plus tard, il nous la présente: -Papa voici ma nouvelle fiancée, me dit-il comme d’habitude. Cette fois, ce fut la bonne puisqu’ils se sont mariés en février 2000 et en mai naissait leur fils Aaron. Le tout couronné par la victoire au Championnat d’Europe… »

La prime du père: le loyer de l’appartement

Avec un goal en or dans la finale qui l’a fait connaître même en Italie?

Jorge: « Et bien non, avant le tournoi, le président Campora avait eu des contacts avec Luciano Moggi, le directeur général de la Juventus, et les managers D’Onofrio et Caliendo, si je me souviens bien. L’affaire était en train de se conclure avec Campora qui recevait ses milliards de lires, les managers leurs commissions et Moggi avait David. Et moi, je ne percevais rien alors que je suis le seul manager de mon fils. J’ai téléphoné à Campora pour lui dire que je méritais également une reconnaissance. Il me demanda ce que je voulais et je lui répondis le loyer de l’appartement jusqu’en 2004. Campora me rétorqua: -Il n’en est pas question. Et à mon tour, je lui sortis: -Ou bien le loyer ou bien David ne signe pas, parole d’Argentin. Campora me raccrocha le téléphone au nez. Dix minutes plus tard, il me rappela pour me dire que l’affaire était faite. A mon avis quelqu’un, probablement Moggi, a dû lui faire comprendre que je ne rigolais pas ».

Quelques jours après l’EURO 2000, le 4 juillet, David est officiellement présenté à la Juventus, équipe qu’il avait rencontrée en Ligue des Champions en 97-98. Son but contre l’Italie à Rotterdam ne change rien. A la Juventus, la hiérarchie est bien établie: David sera le quatrième attaquant après Inzaghi et Del Piero mais également Kovacevic. En Ligue des Champions contre Hambourg, Inzaghi est aligné et comme il inscrit trois buts on ne peut rien lui reprocher. En revanche, trois jours plus tard en Coupe d’Italie, Ancelotti aligne le duo KovacevicTrezeguet. Les débuts sont durs. Il joue par intermittence et quand il commence à trouver la bonne cadence, il s’occasionne une élongation qui le tient à l’écart pendant un mois.

« Si j’avais su que j’allais jouer aussi peu, je ne serais pas venu à la Juventus », lança David un peu désabusé. Cela lui valut d’être titularisé lors des cinq dernières rencontres au cours desquelles il marqua régulièrement pour atteindre un total de 14 buts en championnat. Pas mal, pour une mauvaise saison.

Cet été, la Juventus a perdu Inzaghi et tenait à le remplacer par Vieri mais l’Inter ne laissa pas partir son buteur. Moggi, vexé par le club milanais, relance le Français : « Trezeguet est le plus fort et vous vous en rendrez rapidement compte ».

Après 20 journées de championnat, il avait déjà fait aussi bien que la saison dernière.

Nicolas Ribaudo (avec ESM)

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