Ecrans de fumée

La renégociation des droits télé en Belgique ne sera pas simple.

L’actuel accord entre la Ligue Pro, l’Union Belge et les chaînes en clair ( RTBF et VTM) ou en crypté ( Canal+ Belgique et Canal+ Vlaanderen) arrivent à échéance en juin 2002. On s’active déjà autour des nouveaux contrats car ce n’est pas le genre de chose qui s’improvise. Les négociations seront menées cette fois par la seule Ligue Pro sans que l’UB joue les belles-mères. L’association des pros est bénéficiaire en grande partie du contrat concernant le championnat (résumés et directs). La fédération entamera bientôt de son côté les pourparlers concernant les droits de retransmission des matches des Diables à domicile et de la finale de la Coupe de Belgique.

Une commission télé a été mise sur pied à la Ligue en fin d’année dernière. Présidée par le Lierrois Karel Dierickx, elle est chargée de mener à bien les pourparlers avec les chaînes émettant en Belgique. Les autres membres sont Philippe Collin (Anderlecht), Patrick Orlans (Lokeren), Georges Ingelbrecht (Harelbeke), Louis Devries (GBA), Eddy Wauters (Antwerp), Abbas Bayat (Charleroi), Evarist Moonen (Club Brugeois) et les incontournables de la Ligue, Jean-Marie Philips et Robert Sterckx.

La commission planche aussi sur les idées de Bayat qui, fort de l’expérience de l’étranger et particulièrement américaine, étudie la possibilité pour la Ligue de produire, voire de diffuser elle-même ses propres images de football chaque semaine. L’idée de la création d’une chaîne foot par la Ligue serait l’ultime et idéal aboutissement du projet. A l’heure actuelle, il s’apparente davantage à une conception utopique qu’autre chose, mais l’idée mérite d’être creusée. D’autant plus que l’une ou l’autre chaîne s’est dite, soit intéressée, soit prête à collaborer au projet, le cas échéant.

L’historique des relations télé-foot en Belgique est aisé à établir. Les premiers contrats furent négociés il y a vingt ans. Modestes au départ. Pour trois saisons, la BRT et la RTBF ont ensemble payé 21 millions par an, et ce, de 1984 à 1987. Pour les cinq années suivantes, les deux chaînes offrirent 40 millions (22 cash et 18 en participation de sponsoring). En 1989, RTL-TVI et VTM ajoutèrent chacune 10 millions pour pouvoir retransmettre de courts résumés, toujours après que l’aient fait les chaînes publiques. Le contrat fut renouvelé sur des bases identiques pour trois saisons (91-94) avec les mêmes acteurs et pour un montant de 125 millions par an. En 1994, VTM remplaça la VRT et paya, avec la RTBF, 205 millions par saison jusqu’en 1997. Pour le contrat actuel, qui arrive donc à échéance le 30 juin 2002, les montants passèrent graduellement de 255 millions en 97-98 à 305 millions la saison prochaine. Tous ces contrats portaient sur les résumés des matches de championnat (maximum 60 minutes par jour), les retransmissions des rencontres de l’équipe nationale à domicile et la finale de la Coupe de Belgique.

Les accords concernant les matches en direct sur chaînes cryptées virent le jour il y a dix ans, et en 91-92, Canal+ Belgique (la chaîne francophone) paya à la Ligue 117 millions pour la retransmission « en live » de 26 rencontres de championnat ou de Coupe (exceptée l’ultime étape au Stade Baudouin). La saison suivante, Filmnet, la chaîne flamande, ancêtre de Canal+ Vlaanderen, ajouta 104 millions au pactole francophone.

Le contrat fut renouvelé et les chaînes cryptées payèrent 221 millions par saison à la Ligue jusqu’en juin 96. Le nouveau contrat qui arrive, lui aussi, à échéance en juin 2002, autorisait la retransmission en direct de 42 rencontres (28 en commun et 7 au choix pour chacune des deux chaînes) pour une somme de 230 millions par saison. Les deux Canal+ payèrent un acompte de 80 millions au total pour l’éventuelle exploitation d’un pay-per-view (vous payez une somme pour voir en direct un match de D1 à votre choix ou plus cher si vous voulez panacher ou ne voir que les goals au fur et à mesure qu’ils sont inscrits). Un investissement qui sera sans doute un jour payant pour les deux chaînes cryptées puisque cet acompte exclut pour un temps toute vélléité éventuelle de la concurrence. Mais le concept n’est encore qu’à l’état de projet chez nous.

Compte tenu de la part qui revient à l’Union Belge et aux plus petits clubs dans le contrat en clair ( VTM: 154 millions; RTBF: 126, soit 280 millions au total), la Ligue Pro en palpe 170 millions. Si on les ajoute aux 230 des chaînes cryptées, elle peut donc disposer de 400 millions. Chacun des clubs de D1 touche en moyenne une vingtaine de millions. Pour les clubs moyens, c’est 10% du budget. Pour Anderlecht, c’est un peu moins de 2% si l’on tient compte du budget revu et corrigé par la campagne de Ligue des Champions.

Ces 400 millions pour 18 clubs pros, c’est fort peu surtout si on jette un coup d’oeil dans l’assiette cathodique des voisins anglais, néerlandais, français ou allemands. C’est pourquoi, on espère à la Ligue doubler la mise pour le nouveau contrat. Ce ne sera possible qu’en ouvrant de nouvelles pistes et en innovant par rapport à ce qui a été fait dans le domaine jusqu’à présent. Les deux formules (clair et crypté) pourraient être maintenues avec les mêmes ou d’autres partenaires, et les montants légèrement revus à la hausse. A Canal+, d’un côté comme de l’autre de la frontière linguistique, on fait état du coût de la retransmission d’une rencontre: deux millions au bas mot. Mais les chaînes cryptées ont besoin du foot autant que du cinéma comme locomotive pour leurs abonnements.

Peters Maes et Bibiane Godfroid en conviennent. Entre deux voyages entre Paris et Bruxelles, cette dernière déclarait à la mi-avril: « Nous souhaitons vivement garder l’exclusivité sur les matches en direct, même s’il est évident qu’il faudra payer plus cher que lors de la dernière négociation. Jusqu’à présent, la Belgique a été protégée par rapport à l’inflation des droits télé dans le domaine du sport. Mais cette fois, il semble évident que le prix sera l’élément déterminant pour conserver le football en direct dans notre programmation ». La concurrence le sait et la Ligue Pro s’en réjouit.

De nouvelles formules viendraient s’ajouter à celles, classiques, existantes. En France, en plus du Téléfoot dominical de TF1, la Ligue (LNF) vient de signer un accord avec France 2 pour un nouveau magazine foot en prime-time le lundi soir (250 millions par saison). Lors du premier tour de table avec toutes les chaînes belges, plusieurs idées novatrices ont été émises. Des chaînes privées seraient par exemple intéressées de pouvoir faire du direct en semaine et en clair éventuellement des rencontres d’importance moindre que celles actuellement diffusées sur les chaînes cryptées. Il en va de même au niveau des télés régionales, dont le budget est nettement moindre que les émetteurs nationaux. On s’étonne aussi chaque année que le tour final de D2, dont les matches se disputent le jeudi soir et le dimanche, sans concurrence aucune donc, n’ait pas été proposés aux chaînes. Sauf l’année dernière, à quelques jours de son coup d’envoi, mais il était bien sûr trop tard.

La Ligue pourrait aussi vendre les droits du championnat belge à l’étranger, même si cela ne rapportera pas grand-chose en regard des 3,6 milliards de francs (plus de 7 fois les droits que touche le football belge de ses chaînes nationales), que la Football Association anglaise touche à la vente des droits aux Iles. D’autres propositions ont été faites lors du premier tour d’horizon à la Ligue mais on ne veut pas encore trop s’étendre sur le sujet actuellement car chaque chaîne a été entendue séparément et a émis ces idées en son nom propre.

De nouvelles entrevues entre les chaînes et la commission télé de la Ligue Pro auront lieu fin mai. Celle-ci établira ensuite un cahier des charges pour chacune des formules retenues, en espérant qu’elles soient plus nombreuses que lors du contrat qui arrive à échéance à l’été 2002 (résumés , live crypté, live en clair, magazines etc). Des appels d’offres seront alors lancés et les contrats reviendront aux plus offrants, avec possibilité de surprises comme ce fut le cas lorsque VTM supplanta la BRT dès 1994 (on doute du retour de la VRT car le politique flamand veut rogner dans ses budgets). La Ligue espère en avoir terminé au mois de novembre prochain et pouvoir ainsi signer les nouveaux contrats, qui devraient porter sur la période 2002-2005. On n’irait pas au-delà de trois saisons. Car dans quelques années, la donne pourrait être modifiée. Des firmes de téléphone mobile ont déjà cadenassé des contrats un peu partout en Europe pour que les utilisateurs de GSM puissent « commander » à leur portable les images des buts de l’un ou l’autre match. Et Internet n’a pas encore dit son dernier mot.

L’avantage de la Toile sur la télé est son extraterritorialité. Dès que la technique sera au point, on pourra visionner les images du foot comme sur le petit écran. Le Cercle de Bruges, qui a diffusé sur son site la totalité des images en direct de son match contre le RWDM, a constitué une première en Belgique. Les phases, encore saccadées, ont pu être vues dans le monde entier (www.cerclebrugge.be), de Molenbeek à Vladivostok en passant par San Francisco. Le Cercle a profité, pour un de ses derniers matches à domicile, du vide juridique qui règne chez nous. L’accord télé belge actuel ne précise pas s’il concerne le droits aux images ou à la diffusion. La nuance va être importante d’ici peu. Autant en profiter ou simplement prendre ses marques avant que le législateur ou un accord quelconque n’intervienne. Dans le contrat entre l’UEFA et l’UER (Union Européenne de Radiodiffusion), concernant les Championnats d’Europe des Nations, les droits Internet sont compris dans le package. Y pense-t-on à la Ligue Pro?

On pourrait donc faire table rase de l’actuel paysage belge du ballon rond sur le petit écran et en présenter un tout nouveau pour 2002-2005. A condition bien sûr que la Commission européenne ne vienne pas y ajouter son grain de sel. Les services de Mario Monti (commissaire à la Concurrence) ont rappelé lors d’un récent point de presse, début avril, que l’exécutif européen se prononcerait bientôt sur le fait de savoir si les fédérations ou les ligues ont bien le droit, par rapport aux règles du Traité, de négocier collectivement les droits des images du sport à la télé. En clair, la Commission européenne va dire à qui appartiennent les images du football. Si les ligues ou les fédérations peuvent en être propriétaires, cela ne changera rien à la situation actuelle. Mais si elle déclare qu’elles sont la propriété des clubs, comme quelques tribunaux nationaux l’ont établi, il faudra tout recommencer. On sait toutefois que Mario Monti est nettement plus conciliant à l’égard du monde du ballon rond que son prédécesseur, Karel Van Miert. D’aucuns prétendent que le lobbying européen a plus d’emprise sur l’Italien que sur le Belge.

Guy Lassoie

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