Ecoutez la grande gueule !

Pour gagner, il n’y en a qu’un, c’est lui… Ses recettes depuis 22 ans à Man U : le beau jeu et les joueurs à sa botte.

L’entraîneur le plus titré d’Angleterre est un paradoxe. A Moscou, pour répondre à la solennité de l’événement, Alex Ferguson était tiré à quatre épingles comme toujours : costume-cravate. Mais, la pluie de la nuit moscovite l’a finalement conduit à enfiler une veste en nylon du club. Un pied dans l’establishment, un autre dans la culture populaire héritée de son enfance passée dans le quartier ouvrier de Golan.

A 66 ans, il a fait du chemin depuis une enfance miséreuse. Il n’a jamais renié son passé mais a toujours tout fait pour se faire introduire dans la bonne société. Ferguson, c’est l’homme qui déclencha une grève lorsqu’il travailla dans une usine d’assemblage de machines à écrire à Glasgow après que le magasinier avait été viré. C’est l’homme de gauche qui a toujours soutenu le parti travailliste anglais, l’homme qui a longtemps détesté la bourgeoisie anglaise. C’est aussi celui qui – pour sa seule interview individuelle, en 2006, lors de la célébration de ses 20 ans à la tête de Manchester a choisi le journal des sans-abri ( Big Issue).

Mais, côté face, c’est également l’homme qui a accepté avec honneur l’Ordre de l’Empire britannique et insiste pour faire appeler sa femme Lady. C’est l’entraîneur le mieux payé d’Angleterre, celui qui a longtemps milité pour être mieux payé que ses joueurs. C’est aussi des goûts très raffinés : une écurie de chevaux de course et une cave de grands crus (surtout des Bourgognes). Bref, le paradoxe d’un homme issu du milieu ouvrier auquel le succès et la gloire ouvrent les portes du beau monde.

Pourtant, ce beau monde n’a pas transformé le personnage. Il reste l’idole des supporters (il fut un temps où il montait aux barricades pour protester contre les prix élevés des tickets) et continue à parler leur langue. Ferguson, c’est un mélange de manières aristocratiques et de langage de charretier, utilisant le mot fuck à toutes les sauces et imposant fièrement son accent écossais prononcé. Et il s’en fout de l’image qu’il renvoie. Tout le monde retiendra d’ailleurs ses cheveux mouillés et ses lunettes embuées à Moscou.

Ebloui par ses joueurs

Ferguson, c’est une légende sportive. Celle d’un homme qui transforme en or tout ce qu’il touche. Après une honnête carrière de centre-avant, il forge son mythe en devenant entraîneur (cf cadre). Quand il arrive à la tête des Red Devils en 1986, il trouve une équipe moribonde plus proche de la relégation que des places européennes, avec des joueurs davantage préoccupés par les virées que par le jeu. La transformation ne se fit pas du jour au lendemain. En 1989, sa tête ne tint qu’à un fil. Après six défaites et deux nuls, il devait battre Nottingham Forrest. Il le fit. Un an plus tard, il remportait son premier trophée mancunien (la Cup) suivie de la Coupe des Coupes l’année suivante. En 1992, Manchester lutta pour le titre mais il s’inclina devant Leeds. Ferguson retint la leçon et attira la star de Leeds, le Français Eric Cantona.

Deux légendes étaient en marche : celle du King Cantona, qui sera élu joueur du siècle à MU, et celle de Ferguson, entraîneur de la décennie. Car, sa carrière modeste de joueur (c’était un travailleur pas un artiste) n’a pas du tout influencé son parcours de coach. Un entraîneur toujours mû par le désir du beau geste et toujours autant épaté par la technique de ses stars.  » Il y en a qui savent élever le jeu à un niveau différent, un niveau que moi-même je ne peux pas concevoir, parce que je ne possède pas leur vision et parce qu’ils voient des choses, que moi, leur entraîneur, je ne vois pas. Des joueurs comme Cantona, Scholes, Giggs, Ronaldo, Rooney « , disait-il il y a de cela deux ans.

La méthode sèche-cheveux

Tantôt Ferguson défend, encense et admire ses joueurs, tantôt il les écrase. Conséquence sans doute d’un long règne qui en a fait le maître absolu d’Old Trafford. Ici, les footballeurs suivent les consignes ou peuvent dégager. Les clashs entre joueurs et Ferguson ne manquent pas et à chaque fois, c’est l’Ecossais qui a gagné. Et les Gordon Strachan, Paul Ince, Jaap Stam, David Beckham, Roy Keane et Ruud van Nistelrooy tous obligés de se chercher un nouveau club.  » Ses méthodes de confrontation ont contribué à me rendre fort mentalement « , explique Strachan, aujourd’hui entraîneur du Celtic,  » Son style de management est autocratique et conflictuel. Beaucoup pourraient s’étonner que ses équipes aient répondu d’une façon aussi positive à la manière dont il aime contrôler ses joueurs, à la férocité de ses tirades, au traitement sèche-cheveux, lorsque la personne qui est engueulée a l’impression d’être dans un tunnel aérodynamique. Mais Fergie a fait son entrée sur le devant de la scène à une époque où les managers pouvaient faire ce qu’ils voulaient des joueurs. Et depuis, il a été aidé par la stature acquise grâce à ses trophées. Il est devenu si puissant que si vous coupez les ponts avec lui, vous vous demandez si vous travaillerez de nouveau ! Cependant, personne ne doit douter qu’il est d’une intelligence exceptionnelle et sans doute le maître des motivateurs « .

Ferguson a transmis à son groupe son ambition, en maintenant celle-ci intacte année après année :  » Certains individus ont un seul but dans la vie et arrêtent de se battre une fois cet objectif atteint. Moi, je fais partie de cette famille de gens qui vont sans cesse de l’avant et cherchent toujours à conquérir « . Ainsi, tout au long de la saison, Ferguson avait motivé ses joueurs en leur rappelant l’importance du crash de Munich en 1958 dans l’histoire du club. Il avait agi de la même façon en 2000 et 2001, en faisant chaque fois référence au parcours de 1999 qui avait mené les Mancuniens au treble (le triplé championnat- Cup-Ligue des Champions). Celui qui a reporté par deux fois sa retraite sait qu’il ne lui reste que peu de temps avant de raccrocher. A 66 ans, il voudrait cependant réaliser un dernier défi : mettre Manchester à hauteur de Liverpool. Pour cela, il ne lui manque qu’un titre de champion : 17 contre 18…

par stéphane vande velde – photos: reuters

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