L’ex-directeur sportif molenbeekois parle après six mois de silence.

Alors que le RWDM n’était pas encore radié, Freddy Smets avait annoncé: « J’ai passé 20 ans dans ce club, mais je suis décidé à ne plus jamais y remettre les pieds. Trop de gens malhonnêtes, de paroles destructrices, de jalousie. Depuis que Sportico et PatrickDeCock ont débarqué au club en février, et que j’ai été mis de côté du jour au lendemain, je n’ai plus été payé. Je ne tenais d’ailleurs pas à fréquenter ces gens-là. J’aurais pu attaquer la direction pour dénaturation de fonction, pour non-respect de contrat. On a voulu m’impliquer dans la catastrophe financière du club. Incroyable! J’assumais uniquement la responsabilité sportive. Jamais je n’ai signé un chèque ou un contrat. Je suis écoeuré, mais pas à terre. 20 ans de ma vie pour en arriver là! »

Un début prometteur

En 1966, un gamin molenbeekois de neuf ans s’affiliait au Daring CM. Il jouait en Scolaires lorsque le club fusionna avec le Racing White. « Tous ceux du Racing White débarquèrent chez nous, mais beaucoup de Daringmen figuraient sur une liste de partants. Avec quelques espoirs, j’ai pu rester. A 17 ans et demi, je jouais en Réserve avec Dewolf, Luyckx, Schouppe et Laffont. Avec le gardien Léonard aussi, et parfois même avec Boskamp, lorsqu’il relevait de blessure. Plutôt prometteur, non? Le RWDM est devenu champion en 74-75. Une grave blessure au genou m’écarta un an des terrains. A cette époque, après mes gréco-latines, je suivais des cours de dentisterie à l’UCL, que je payais avec mes gains de joueur. Forcé au repos foot, et sans rentrées, j’ai dû renoncer, d’autant plus que mon père était gravement malade. De retour au club, je n’ai plus retrouvé le niveau, et le club, m’estimant fini, m’a accordé un transfert libre. J’en ai profité pour me faire un peu d’argent en changeant de club chaque année: SCUP Jette, Wolvertem, La Forestoise, SK Londerzeel, Ganshoren… J’ai repris les cours universitaires à l’ULB, et obtenu une licence en éducation physique. En même temps, je pratiquais des petits boulots. Et puis j’en ai eu marre du foot, des entraîneurs, du milieu. J’ai stoppé net ».

L’embryon d’un centre de formation

Smets ouvre un club de tennis à. Berchem Sainte-Agathe, le dirige avec succès durant deux ans, mais est pris alors de fringale foot. Comme universitaire, il s’inscrit d’office en deuxième année de l’Ecole des Entraîneurs du Heysel. Relançant sa carrière de joueur à Wolvertem, il y entraîna les Juniors, puis devint joueur-entraîneur au SC Evere, en 2e Provinciale. « Une saison, pas plus. Je ne supportais pas la mentalité de certains que l’on retrouvait plus souvent au bar que sur le terrain. J’en ai conclu que je devais entraîner à un autre niveau. J’eus aussi l’idée, avec PatrickThairet, que j’ai connu à l’université, de lancer des stages pour les gamins du RWDM. Et en 1988, à. la demande de Richard Thielemans, j’ai pris en charge les jeunes du club, tout en jouant à Uccle Sports. Un plan de travail très serré, car j’enseigne aussi l’éducation physique à l’école depuis 1984. J’ai donné cours en primaire, en secondaire, à des handicapés, à des gens du troisième âge. En 1989, Hugo Broos, entraîneur principal depuis le retrait en pleine saison de Paul VanHimst, n’a pu éviter la D2. Pour la nouvelle saison, Hugo me proposa de le seconder. Une belle promotion, puisqu’en quelques mois je sautais des Minimes vers l’équipe A. On est remonté directement avec Thairet, Devriese, Cossey, Rouyr, Van Velthoven… Après un premier tour difficile (neuf points), le transfert de trois anciens ( Wellens, Vercauteren et Vandenbuys) remit l’équipe à. flot. Bruges a alors engagé Broos, qui me proposa de l’accompagner. J’ai refusé pour deux raisons: mon travail d’enseignant et ma volonté de dépasser le stade d’adjoint. Hugo est resté l’un de mes meilleurs amis, l’un des rares que je respecte dans ce milieu ».

Son successeur Nowak, un entraîneur tchèque sur le retour, ne parlait ni français, ni flamand, seulement l’allemand: « Je passais une heure et demie avec lui au vestiaire pour tenter de saisir ce qu’il voulait, puis je traduisais aux joueurs. Ridicule: la séance ne durait que 50 minutes! Les joueurs se plaignirent en bloc, et le 22 septembre 1991, à 33 ans, je débutais comme entraîneur principal. Avec un nul au Standard (1-1). La première saison, nous avons terminé en dixième position. La suivante fut sensationnelle. En janvier, nous étions dans les trois premiers, avec vue sur l’Europe. La direction n’a pas bronché. Au secrétariat, Jean-Marie Philips m’expliqua que le club n’avait pas les moyens de jouer l’Europe. La direction estima qu’en jouant les premiers rôles, les joueurs gagnaient assez. Certains raisonnèrent autrement: l’argent peut aussi se trouver ailleurs! Ma tête à couper que des matches furent vendus! Par obligation financière, VanAnkeren, Devriese et Van Velthoven furent cédés. La troisième saison commença mal. La CIB (Compagnie Immobilière de Bruxelles) apporta alors son appui, nomma Serge Vilain président, et construisit une nouvelle tribune. En négligeant le côté sportif . Arrivé en fin de contrat, j’ai quitté le club après six ans ».

Le club a bâti sur des suppositions

Freddy Smets s’offre un break d’un an, et officie comme consultant et analyste en studio de la RTBF pour le Mondial 94. En 95-96, Filippo Gaone engage l’éclectique Freddy à La Louvière en D2. Il y dispute une saison valable. Obnubilé par la D1, il avoue avoir commis une grave erreur en quittant le Hainaut pour St-Trond. « Pénible! Je succédais à Wilfried Sleurs, une idole locale. Et pourtant, quel carton exceptionnel! Anderlecht battu, le Standard aussi, et puis Bruges et Mouscron… Mais un Bruxellois à St-Trond, c’est assez inimaginable. Je sais, il y a eu Goethals, mais c’était une autre époque. Un staff de cinq dirigeants me supervisait et je n’en voyais pas l’utilité. En fin de saison, la RTBF me questionna sur mes clubs. Je répondis que le RWDM ça allait, que La Louvière cela avait été plus dur, mais que St-Trond c’était le pompon ! J’ai été viré sur le champ. De toute façon, j’étais mal pris, car la Communauté française n’accepte pas qu’un enseignant entraîne en D1″.

L’Union, en D3, lui fit signe. Il y passa, selon ses dires, deux agréables saisons, mais comprit vite que le club n’avait pas vraiment l’ambition de monter. En mai 1999, il entama son dernier épisode molenbeekois. « A l’anniversaire du fils De Prins, ami de mon filleul, je rencontre le père, issu du conseil d’administration et nommé président. – Reviens, me dit-il, dansunpremiertempstut’occuperasdesjeunes! En janvier, Guy Vandersmissen, qui jouait pourtant la tête, est viré. Son style de jeu ne convenait plus au président, ni au manager Herman Van Holsbeeck. Son remplaçant Ariel Jacobs échoua pour le tour final. En coulisse, j’ai pu me faire une idée sur les finances en cours. En s’offrant la présidence en D1, avec un énorme coeur de supporter, De Prins avait repris une dette de 2 millions d’euros. De plus, il eut alors la malchance de retomber en D2, avec un budget de 3,1 millions d’euros prévu pour une nouvelle saison en D1, et des contrats joueurs calculés en conséquence. Ces dernières années, la tête du club a souvent bâti sur des suppositions. Pour 2000-2001, toujours en D2, le président signala un budget de 1,4 million d’euros avec une enveloppe de 12.500 euros pour renforcer le noyau et me nomma directeur sportif. Le RWDM n’était toujours pas de D1 au bout de la saison. Par contre, un déficit supplémentaire de 750.000 euros était venu s’ajouter au 1,5 million de la précédente saison et aux 2 millions de départ. Cela faisait monter l’addition à 4,25 millions. Avec les intérêts, le club n’était pas loin des cinq millions d’euros..

Une tonne de dettes, mais il fallait impérativement atteindre la D1 en 2002. A coups de transferts libres, sauf celui d’ Ouchla, et ceux de Fassotte et de Kargbo, jamais payés, je parvins à monter un noyau assez homogène. Avec l’espoir que Kolotilko, Giuntini et autres seraient revendus avec plus-value. On a rigolé de mes transferts. Mais on a réussi, avec un pénible remplacement en fin de saison: celui de Jacobs par Thairet. De Prins paniquait à l’idée de rater une nouvelle fois la montée. Il ne piffait plus Ariel Jacobs et l’a éliminé. Jacobs a cru que c’est moi qui voulais sa peau. Faux! Nos caractères sont différents, mais entre pros on s’entendait ».

La D1 avec cinq millions d’euros dans la vue

Smets refusa la succession, et Patrick Thairet hérita logiquement du rôle. Ecarté de la direction des jeunes par Stuyvenberg, il entraînait la Réserve. « Les retards de paiement étaient fréquents et les joueurs se tournaient vers Jacobs et moi. Mais l’argent ne dépendait pas de nous. Plus haut, on me répondait que cela serait réglé dans la semaine. Des grèves éclatèrent. La D1 fut quand même atteinte, avec 5 millions d’euros dans la vue. J’entends encore le président déclarer qu’il faudra vendre les meilleurs dès décembre. C’était possible, mais sans être trop gourmand. Sans exiger 2 à 2,5 millions pour Kargbo, par exemple. 650 à 750.000 euros auraient été plus réalistes. De Prins voulait frapper quelques gros coups, réclama 2,5 millions pour le Sierra-Léonais et 1,25 pour Kolotilko. Il misait aussi sur de plantureuses recettes aux guichets et estimait les rentrées commerciales via JeanMariePfaff à 1,5 million, tandis que 500.000 euros de droits tv compléteraient ces bonnes opérations. Mais les deux joueurs sont restés et le commercial a accouché de 400 à 415.000 euros.. Les recettes aussi ont foiré: à. peine plus de spectateurs qu’en D2. Et encore, un tiers entrait sans payer et un autre tiers recevait des invitations ».

Face à. la catastrophe, Smets voit le président pour tenter d’attirer des investisseurs potentiels belges, mais aussi plusieurs étrangers. Des Hongrois, des Brésiliens, des Grecs, et sur la fin des Russes promettaient un paquet si le club mettait en vitrine quelques-uns de leurs jeunes joueurs. « Les Brésiliens en amenèrent quatre, et jurèrent que trois semaines plus tard le club serait sauvé. L’hébergement à. l’hôtel de ces garçons a coûté une petite fortune, et rien en retour. Ces types venaient d’un peu partout et exigeaient que la comptabilité leur soit ouverte. Là, De Prins s’est détruit de l’intérieur. Vous imaginez Anderlecht ouvrant ses livres à des étrangers ? Georges Heylens a récemment déclaré qu’il a proposé une solution, avec des Grecs je pense, mais qu’elle capota à cause de Freddy Smets, l’enfant chéri de De Prins. Si réellement il y avait une solution, je n’aurais pas pesé lourd. On m’aurait écarté »

En février, Sportico et De Cock débarquèrent pour sauver le bazar: ils ne sauvèrent rien du tout et coûtèrent beaucoup d’argent. Autre erreur fondamentale: le manque total de communication entre les quatre cellules dirigeantes: l’administration de Bart Hendrickx, la comptabilité de Didrik Mortier, le commercial de Pfaff, et le niveau sportif dirigé par Smets. Il insiste aussi sur deux autres profonds handicaps qui marquèrent beaucoup de clubs: la loi Bosman et la création de la licence en 2000. « Il faut dorénavant montrer patte blanche pour garder sa place en D1 et D2. Il y a deux ans, pour régulariser la situation, le président déboursa de 750.000 à 1 million d’euros et promit de respecter un plan d’apurement. Il n’a pas pu le faire. Les finances se détérioraient de plus en plus. A mon sens, si la licence avait existé il y a cinq ans, le RWDM aurait déjà été déclaré en faillite ».

Henry Guldemont

« Ma main à couper que des matches ont été vendus! »

« De Prins s’est détruit de l’intérieur »

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