Echecs majeurs

Pour ses adversaires, la Swiss Miss elle n’est plus numéro 1 que sur le papier.

Que se passe-t-il avec Martina Hingis? C’est la question que maints observateurs se posent alors que la Suissesse a effectué sa rentrée sur le circuit, le 30 juillet dernier à San Diego, un mois après sa débâcle sur le gazon de Wimbledon. La Swiss Miss, 21 ans le 30 septembre prochain, figure toujours confortablement installée dans le fauteuil de numéro un mondiale. Elle possède même un boulevard d’avance sur ses principales rivales que sont Jennifer Capriati, Venus Williams et Lindsay Davenport.

Oui, mais voilà. Cela fait plus de deux ans et demi maintenant que Martina n’a plus remporté la moindre levée du Grand Chelem. Sa dernière victoire remonte à l’Australian Open 1999, où elle avait battu Amélie Mauresmo en deux petits sets. Certaines de ses concurrentes, les soeurs Williams pour ne pas les citer, considèrent ainsi que la Suissesse doit sa première place au fait qu’elle dispute plus d’épreuves que les autres, mais qu’elle n’est plus que numéro un sur le papier.

Comme le dit par exemple Pete Sampras, qui sait de quoi il parle, ce sont les triomphes dans les tournois majeurs qui forgent le palmarès et la gloire.

Dans sa jeune carrière, Martina Hingis en a déjà remporté cinq. Elle s’est imposée trois fois à l’Australian Open, en 1997, 1998 et 1999, une fois à Wimbledon, en 1997, et une fois à l’US Open, en 1997 également. Elle n’a, en revanche, encore jamais gagné sur la terre battue de Roland-Garros.

Une tendinite comme excuse

C’est cependant à Wimbledon, cette année, que Martina Hingis a touché le fond. Sur le court n°1, elle s’est inclinée en deux sets dès le premier tour contre la modeste Espagnole Virginia Ruano Pascual, 83e sur les tablettes de la WTA, dont le gazon ne constitue pas vraiment la tasse de thé. Son adversaire l’avait tellement agacée dans la deuxième manche qu’elle se mit carrément à se ronger les ongles au changement de côté. Battue en demi-finale de Roland-Garros par Jennifer Capriati, deux semaines auparavant, Hingis n’avait pas daigné participer au moindre tournoi de préparation à l’épreuve londonienne. A l’issue de la partie, elle invoqua une blessure dans le bas du dos pour expliquer sa défaite, ce que le quotidien tabloïd The Sun considéra comme une lamentable excuse, publiant le lendemain une photo exclusive prise deux jours plus tôt de la joueuse en train de jongler avec un ballon de football.

« Je n’ai pas pu m’entraîner en raison de cette tendinite », expliqua-t-elle. « Je ne voulais pas rater Wimbledon, mais je n’étais pas vraiment capable de bouger. Je n’ai pas gagné de Grand Chelem depuis longtemps, pourtant je ne considère pas cela comme un échec majeur. Je suis toujours numéro un mondiale, cela montre bien que je suis régulière au plus haut niveau, même s’il y a toujours eu une joueuse meilleure que moi lors des dix derniers rendez-vous ».

Cette saison 2001, Martina Hingis a jusqu’à présent remporté trois tournois. Elle s’est imposée à Sydney, au Qatar et à Dubaï. Elle a, également, atteint trois finales, dont celle de l’Australian Open, où elle s’est inclinée contre Jennifer Capriati. Ses trois dernières défaites en finale d’un Grand Chelem, la Suissesse les a d’ailleurs subies contre des adversaires qui développent un tennis dit moderne, basé essentiellement sur la puissance physique.

En 1999, elle s’inclina à l’US Open contre Serena Williams. En 2000, elle a été battue par Lindsay Davenport à l’Australian Open. Et donc, en janvier dernier, c’est Jennifer Capriati qui l’a dominée. L’explication à ces échecs répétés dans les tournois majeurs se trouverait-elle là?

« Je reconnais que le tennis a changé. Toutes les filles qui éclatent désormais, comme les jeunes Russes par exemple, sont puissantes. Le physique, cela dit, il faut le travailler intelligement, sinon le corps ne tiendra pas très longtemps. Je fais de la musculation, mais pas trop, et je monte également régulièrement sur un vélo, car pour le reste, le tennis suffit à m’entraîner physiquement. J’ai battu Serena puis Venus Williams coup sur coup à l’Australian Open avant de m’incliner contre Jennifer Capriati,… alors je ne vois pas pourquoi les gens se mettent à avancer que je ne peux plus rivaliser avec des joueuses puissantes. Tout au long de ma formation tennistique, j’ai toujours été la plus jeune et la plus petite. Cela ne m’a jamais complexée », confia-t-elle.

La poupée qui tue en souriant

Melanie Molitor, sa maman et son entraîneur, 43 ans, balaye également ces allégations d’un revers de la main. Depuis le début de sa carrière professionnelle, elle a toujours estimé que sa fille était animée d’un penchant pour la nonchalance. Douée comme ce n’est pas permis, Martina Hingis n’a pas eu à fournir, dans sa jeunesse, les mêmes efforts que la majorité des joueuses qui rêvent un jour d’embrasser une carrière pour se faire une petite place au soleil. Ce n’est sans doute pas pour rien que certains l’ont affublé du surnom de « Chucky », cette jolie poupée qui, dans une série de films d’horreur, tue en souriant.

« Montrer mes émotions me vaut le plus souvent des problèmes », glisse-t-elle. « Sourire pendant les matches, ce n’est pas de l’arrogance ou de l’irrespect pour mes adversaires. Je viens juste de réaliser un joli coup, cela me rend gaie et je souris. C’est tout ».

Sa mère, qui a tout fait pour l’amener vers les sommets, aimerait en fait que Martina continue à y demeurer et cette tendance à la nonchalance, elle est peut-être aujourd’hui en train de la confondre avec une volonté d’indépendance de plus en plus accrue de la part de sa fille. La Suissesse, après tout, fêtera prochainement ses 21 ans, et il n’est pas illogique qu’elle désire se mettre tout doucement à voler de ses propres ailes.

Martina se situe actuellement à la croisée des chemins. Il se pourrait bien qu’elle se trouve en pleine crise existentielle. Il y a deux ans déjà, à la suite de sa finale perdue à Roland-Garros contre Steffi Graf, la numéro un mondiale avait souhaité prendre ses distances par rapport à sa mère. Elle s’était présentée seule à Wimbledon et s’était inclinée dès le premier tour contre la jeune Australienne redevenue aujourd’hui Yougoslave, Jelena Dokic.

La fille, comme la maman, avaient tôt fait de reconnaître que la séparation avait été une mauvaise idée. Au mois de mars dernier, l’histoire, cela dit, se répéta. Après la défaite de sa fille, en demi-finale du tournoi de Miami contre Venus Williams, Melanie Molitor entra dans une rage folle, expliquant que Martina avait livré un match catastrophique d’un point de vue tactique et qu’elle se sentait comme une idiote. Là-dessus, Martina Hingis décida quelques jours plus tard de laisser sa mère à la maison à Trubbach et de partir s’installer seule dans la seconde résidence de la famille, à Saddlebrook, en Floride.

Les voitures : sa passion

Comme nouvel entraîneur, elle promut son sparring-partner australien David Taylor, 29 ans. Elle s’entraîna énormément en sa compagnie, et lorsqu’elle ne jouait pas en tournoi, elle se trouva d’autres centres d’intérêt. La Suissesse nourrit ainsi une passion pour les voitures. Elle possède déjà un véritable parc automobile, mais comme elle n’avait pas encore de Chevrolet, elle décida de s’en acheter une. Ensuite, elle fut amenée à comparaître devant tribunal de Miami dans le cadre de la procédure qu’elle a intentée pour harcèlement vis-à-vis de l’Australien Dubravko Rajcevic, 46 ans. Retransmis en direct à la télévision, les débats s’étalèrent sur plusieurs jours et l’homme fut finalement condamné à deux ans de prison. Quelques semaines plus tard, le procureur américain Chris Calkin dévoila dans les colonnes du Miami Herald son idylle avec la joueuse. Une seule phrase, « Comment vous sentez-vous? », avait, paraît-il, suffit à allumer la flamme. « Je n’ai jamais été aussi heureux de ma vie », confia-t-il. « Elle est vraiment une jeune fille fabuleuse ».

Sa bien-aimée ne démentit pas leur love-story. Aux journalistes, la Martina n’hésita ainsi pas à dépeindre sa nouvelle vie. Ensemble, ils s’occupaient des réservations d’hôtels et d’avions, du transport vers le stade, et même de la tension de ses raquettes. De retour à Trubbach, peu avant Roland-Garros, elle se réjoussait du fait qu’elle était enfin devenue une grande fille. Elle renoua, cela dit, également les liens avec sa mère, avec qui, expliqua-t-elle, elle avait conservé un contact téléphonique virtuellement quotidien.

Les initiés avaient pressenti les retrouvailles. Le coach Eric Van Harpen, 57 ans, qui connaît le circuit comme sa poche, explique que les vedettes figurent en réalité totalement en porte-à-faux par rapport à la vie de tous les jours. Le Hollandais sait de quoi il parle, vu qu’il travailla l’été dernier en compagnie d’ Anna Kournikova.

« Je préférerais par exemple m’occuper de quelqu’un comme Justine Henin plutôt que Martina Hingis », confia-t-il durant Wimbledon. « Cette joueuse sait ce qu’est la vie pour avoir perdu sa mère assez jeune. Elle s’est endurcie. Elle sait ce qu’elle veut ». Martina Hingis considérait le savoir également. Un peu comme si elle sortait tout droit d’un hôpital où lui avait été effectué un lavage de cerveau, elle réaffirma qu’il n’existait pour elle pas de meilleur coach que sa mère.

Elle fait peur aux hommes

Melanie Molitor, de son côté, expliqua que la séparation avait été une erreur. Mère et fille sont donc une nouvelle fois réunies. Pour combien de temps? Sa mère confie ainsi qu’elle ne souhaiterait rien d’autre pour sa fille que celle-ci puisse passer chaque nuit à danser dans les bras du garçon de son choix, mais elle ajoute que cette situation ne serait pas idéale, dans la mesure où elle est convaincue qu’elle serait néfaste pour son tennis.

« Un sportif de haut niveau doit faire en sorte de consacrer entre seize et dix-huit heures par jour à la gestion de sa carrière », affirme-t-elle. « Cela signifie à la fois s’entraîner, mais également se soigner et se régénérer. Si Martina se laissait aller, elle ne pourrait plus s’entraîner convenablement le lendemain et dès lors ne plus réussir à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés ».

Mario Widmer, le compagnon de Melanie Molitor, ne la contredit pas sur ce point, mais ne conçoit pas les choses de la même manière. L’ancien chef du service des sports du journal populaire suisse Blick, qui gère les intérêts de Martina, se demande justement si la joueuse n’aurait pas besoin d’un petit ami afin de se sentir pleinement épanouïe. La Suissesse en a déjà connus plusieurs ces dernières années, notamment parmi les joueurs du circuit. Elle s’est d’abord éprise de son compatriote Ivo Heuberger, puis de l’Espagnol Julian Alonso, ensuite du Suédois Magnus Norman, avant de recommencer une relation avec le premier cité.

« Il m’est difficile de trouver un compagnon », confie-t-elle. « Je suis plus célèbre qu’eux et s’ils ne sont pas assez forts, cela pose rapidement un problème ». Martina Hingis nourrirait-elle dès lors une pointe de jalousie pour le couple de rêve de la planète tennis formé par Kim Clijsters et l’Australien Lleyton Hewitt? Kim et son petit ami se sont rencontrés il y a un an et demi à l’Australian Open et filent depuis le parfait amour sans que leur carrière ne s’en trouve bouleversée. Au contraire.

Serge Fayat, avec le Spiegel.

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