Eau de vie

Pierre Bilic

Négligé par les Zèbres, le jeune gardien carolo se révèle en Campine.

La jeunesse de Jonathan Bourdon a un bouquet d’Eau de Villée, digestif très apprécié par les gastronomes et distillé dans le village où il vint au monde le 3 septembre 1981 : Biercée entre Beaumont et Thuin. Cet alcool blanc qui se décline aussi dans toute une palette fruitée ne contient aucun extrait d’arômes artificiels ou autres agents conservateurs. Jonathan Bourdon ressemble à la goutte de son terroir natal. Tout est tellement naturel dans ses propos. Il a apprécié ses récents exploits mais ne s’en saoûle pas.

L’Eau de Villée doit être consommée glacée. Encore une similitude avec le gardien de but de Westerlo qui garde la tête froide : « Je vis dans mon monde à moi. J’ai un caractère réservé et même mes parents trouvent que j’ai tort de ne pas m’extérioriser un peu plus. Ce n’est pas dans ma nature. J’aime d’ailleurs être seul. C’est peut-être mon cocon, une façon de me protéger et de bien me concentrer sur mon métier ».

Cette concentration avait frappé tout le monde lors de la visite d’Anderlecht dans la plaine de Westerlo. Bourdon avait multiplié les exploits avant de se payer le luxe d’arrêter le penalty botté par Bertrand Crasson. Au lieu d’éclater de joie, comme ses équipiers fiers de lui, il ne se permit pas le moindre relâchement et dégagea le ballon avec toute ses convictions de teenager. Ses exploits lui valurent de décrocher la « une » de la presse écrite et les ouvertures de toutes les émissions de télévision consacrées à Westerlo-Anderlecht. Belle revanche pour un jeune qui n’avait pas été jugé à sa vraie valeur sportive et mentale du temps où il avait un Zèbre en plein coeur.

Le Sporting de Charleroi était dans le trou et se souciait de son blé qui lève comme un poisson d’une pomme. Olivier Renard était parti en Italie en 1998 et Jonathan Bourdon fut rendu à son club d’origine, le Biercée Standard Club en 1999. Assez étonnant car Jonathan fut international en -17 ainsi qu’en -18 ans. La Belgique n’aime pas ses fils, à moins que le commerce sur la scène internationale rapporte plus que la formation. Et qu’on ne vienne pas nous dire que les jeunes sont trop chers. Bourdon est parti pour rien du côté de Westerlo où il a un contrat convenable, sans plus. La formation est une farce dans certains clubs. De Philippe Vande Walle à Jonathan Bourdon en passant par Olivier Renard, Charleroi a exporté pas mal de gardiens.

« Je ne m’occupe pas d’argent », dit-il. « Ce n’est guère un problème ou une priorité. C’est même secondaire par rapport au plaisir de jouer en D1. L’essentiel est d’être à la hauteur de la confiance placée en moi. A Westerlo, on n’a émis aucun doute à mon égard ».

Il ne peut en dire de même en ce qui concerne le Sporting de Charleroi. « J’étais Diablotin quand Jacques Gérard me contacta au nom des Zèbres », se souvient-il. « Au départ, mon papa fut assez réticent. J’étais encore un gamin. Jacques Gérard revint à la charge et nous avons fini par céder. Mon père m’a demandé de bien réfléchir et surtout de faire preuve de discipline ».

Son papa a été paracommando et il a même pris part à plusieurs missions en ex-Yougoslavie, que ce soit en Bosnie ou au Kosovo. « Quand j’ai été contacté par Westerlo en fin de saison 1998-99, il était d’ailleurs en mission dans les Balkans », narre-t-il. « Il est premier-caporal chef, s’occupe en priorité de l’infirmerie et je suis très fier de lui, épaté par tout ce qu’il apporte à des populations dans le besoin. Il est possible qu’il parte bientôt en Afrique. Mon père m’a souvent parlé du sort de populations qui ont moins de chance que nous ».

Quand toute la famille quitte les vertes campagnes de Biercée pour s’installer à Marchienne, la vie, entre les cours et les entraînements fut plus facile. « Au Sporting, j’ai été pris en mains par Norbert Lukalu et, évidemment, plus tard, par Daniel Mathy« , souligne-t-il. « Ce n’était pas n’importe qui et je pensais que mon avenir sportif était à Charleroi ».

Retenu en sélections nationales, avec entre autres son équipier carolo Grégory Dufer, Jonathan Bourdon se fraya doucement un passage jusque dans le noyau élargi de l’équipe fanion. Robert Waseige lui permit de s’entraîner quelques fois avec les pros du Sporting.

« J’ai tout de suite été sidéré par l’ambiance détestable qui régnait parmi les pros », avoue-t-il. « Pour moi, ce fut un sujet d’étonnement. Les joueurs se tiraient dans les pattes ou s’insultaient. De ma vie, je n’avais jamais entendu autant de fois fils de pute(sic), et je ne sais quoi encore. Il est vrai que le club était au creux de la vague. A Westerlo, l’atmosphère est totalement différente. J’y ai découvert une bande d’amis. C’est une famille. Au début, je ne comprenais pas un mot de néerlandais. Cela va mieux mais je vais suivre des cours afin de mieux me fondre dans cet univers ».

Avant d’en arriver là, Jonathan Bourdon avait été approché par un manager, Michel Poels, qui lui fit miroiter des tas de propositions italiennes. Le jeune gars se retrouva à la… Fiorentina. Test positif, entraînement durant une semaine en compagnie notamment de Gabriel Batitusta. L’Archange lui fit une grosse impression. La Fiorentina était intéressée mais que se passa-t-il par la suite?

A Charleroi, Jean-Paul Spaute était furieux car on ne l’avait pas prévenu de ces tractations. Les Italiens tardèrent à se manifester. L’agent lui disait toujours la même chose : -Ne t’en fais pas, c’est pour la semaine prochaine, sois patient« .

Petit à petit, Jonathan Bourdon se demanda si son conseiller n’avait pas été trop gourmand au point de décourager la Fiorentina. « Depuis lors, je me méfie des agents », dit-il. « J’ai à peine joué quelques matches en D1 et j’ai déjà reçu des offres d’intermédiaires. Je n’ai pas ouvert la moindre de ces lettres. Elles ne m’intéressent pas. Si quelqu’un doit me conseiller, c’est d’abord le manager de Westerlo, Herman Wijnants. Sans Westerlo, je ne sais pas ce que je serais devenu dans le monde du football ».

Jonathan Bourdon abandonna ses humanités. Dommage de renoncer à un an de la fin des études secondaires? « Peut-être mais, pour moi, cela devenait trop dur », avoue-t-il sans la moindre pointe de regret. « J’ai misé sur le foot parce que c’était mon truc. En cas d’échec, je me serais tourné vers l’armée. Peut-être pour devenir para comme mon père. J’ai besoin de sport, de dépenser l’énergie qui est en moi. La vie de bureau, pas pour moi ».

Michel Poels et la Fiorentina le laissant sans nouvelles, Charleroi fit une croix sur lui. A ranger dans les gaffes, les travaux inutiles, les sous jetés par la fenêtre, etc. Pauvres entraîneurs de jeunes dont le travail n’est pas estimé à sa juste valeur. Daniel Mathy croyait en lui, Charleroi pas. On lui proposa tout de même un contrat Espoir qui ne l’intéressait pas. Les Zèbres firent venir Marjan Mrmic et Jean-François Lecomte.

Plus d’avenir pour lui chez les Zèbres. A Charleroi, la farce des gardiens pouvait commencer : affaire Mrmic, Lecomte titulaire, transfert d’ Istvan Dudas, retour en location de Renard. Inouï quand on tient un jeune gardien prometteur sous la main. A Westerlo, on doit se frotter les mains : il y a du jeune talent au sud du pays, les Campinois le savent, pas les Wallons. Ils y ont pêché Benoît Thans, Toni Brogno et maintenant c’est au tour de Jonathan Bourdon de se révéler. Ce n’est plus un hasard.

« Pendant l’été 1999, j’ai été acquis par Westerlo au-delà du dernier délai des transferts », raconte Jonathan Bourdon. Un de ses amis de l’équipe nationale des -18 ans le recommande à son club, Westerlo, et Frans Dellien, scout et serviteur bénévole des Campinois, le contacte. On lui apprend que son manager est exigeant et Bourdon règle l’affaire tout seul : « Depuis lors, je n’ai plus jamais entendu parler de lui. Westerlo a obtenu une dérogation et j’ai signé dans les règle de l’art, jusqu’en 2003 ».

Toni Brogno devint alors son guide. Avec le futur feu follet de Sedan, Jonathan faisait les trajets entre le pays de Charleroi et la Campine. De la folie, deux heures de voiture au moins tous les jours, sauf le mercredi. « Je ne pouvais pas couper du jour au lendemain le cordon ombilical familial », dit-il. « J’ai mes parents, ma soeur, mes amis et ma copine Valentine à Charleroi et je suis encore jeune ».

Tout un débat se déroula dans sa tête. Même s’il est taiseux, Jonathan mesure tout ce que ses parents ont fait pour lui. Le début de séparation est douloureux. L’oiseau ne va pas tarder à s’envoler du nid. Il y a Valentine et ses obligations de plus en plus nombreuses à Westerlo : le bougre n’a plus une minute à lui : « C’est un moment très délicat et cela me tracasse un peu car je ne voudrais vraiment pas donner l’impression à mes parents que leur aide ne compte plus. Sans eux, je n’en serais pas là : ils m’ont toujours soutenu. J’ai eu une belle jeunesse, il ne m’a jamais rien manqué ».

C’est la vie mais ses soucis qui s’arrangeront avec le temps l’honorent. Quand il est un peu fatigué, Jonathan peut dormir chez Sidney Lammens. La saison passée, il était troisième gardien de but, derrière Franky Frans et Bart Deelkens. Il accepte évidemment sa situation, travaille, mérite un surnom, « l’Animal », qui symbolise sa rage de progresser et écarquille les deux yeux : regarder, retenir, imiter, travailler, progresser.

« Franky Frans est doté d’un tempérament exceptionnel », résume-t-il. « Rien n’aura jamais raison de son mental. Il se relèvera toujours. C’est important pour un gardien de but et cela m’a impressionné. Je n’ai pas vraiment d’idole et je ne m’inspire pas trop des autres. En D1, Vedran Runje est le plus complet, fort dans tous les domaines, aussi bien en sortie que ballon au pied et dans le trafic aérien. La grande classe ».

A la fin de la saison passée, Franky Frans s’en va à Harelbeke. Jan Ceulemans fait avancer calmement les jeunes dans la hiérarchie et avoue un beau jour à Sport-Foot Magazine : « Ils ont bien travaillé et je leur fais confiance. C’est tout de même normal et, dans le cas contraire, il aurait été inutile de les transférer ».

Désarmant de simplicité mais tellement payant. Toni Brogno parti dans les Ardennes françaises, Jonathan Bourdon récupéra l’Alfa Romeo 156 de son ami. Un signe du ciel? Il n’allait pas tarder à appuyer sur la pédale des gaz. « Bart Deelkens était logiquement le numéro un au début de la saison », souligne Jonathan Bordon. « Et si mon club occupe une place intéressante au classement général, il le doit aussi à son brio. Bart est devenu un des meilleurs portiers de l’élite. Il a multiplié les grandes performances. C’est un ami, il m’a épaté ».

A Gand, Deelkens se blesse à un doigt de la main droite avec plusieurs fractures comliquées à la clef, opération, longue absence en vue, etc. Westerlo fait signer un gardien de but qui a du métier : Danny D’Hondt. Mais Jan Ceulemans précisa tout de suite à Bourdon : « Tu es désormais le titulaire. Nous avons fait venir D’Hondt car il nous faut une doublure. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Une blessure est vite arrivée ».

Les mots gentils de Jan Ceulemans firent plaisir au jeune Carolo : « Son calme et sa confiance sont deux des secrets de Westerlo. Je ne me suis pas énervé par la suite, surtout pas avant le match contre les Mauves anderlechtois. Je me suis entraîné dur comme d’habitude. On n’a pas mis la pression, personne ne m’a déconcentré en me parlant trop, c’était bien comme ça ».

Un point important tout de même : Carl Engelen, le préparateur des gardiens de Westerlo et ancienne vedette du Lierse, opéré, ne put être à ses côtés. Cela ne déstabilisa pas Bourdon. Sportif, il précise tout de go : « Je n’ai pas pris la place de Deelkens. Il ne l’a pas perdue et si je suis là, c’est parce qu’il s’est blessé. C’était à moi de prouver que je pouvais rendre service. Je savais que j’en étais capable. Je l’ai prouvé mais il n’y a pas de quoi se prendre la tête. J’ai réalisé un rêve de gosse : jouer en D1. Tout le monde m’a félicité après mon bon match contre Anderlecht. C’est beau mais je n’étais finalement satisfait qu’à 80% car j’ai encaissé deux buts et un gardien de but n’est totalement heureux que quand il ne s’est pas retourné une seule fois. Concentré sur le terrain, je suis assez distrait dans la vie de tous les jours. Je pense au foot et je me donne à fond au stade, du matin au soir, mais après, il faut prendre un peu de distance. Il ne sert à rien de revoir sans cesse les images du penalty de Bertrand Crasson. Je l’ai arrêté mais c’est déjà dans le rétro. Je dois me concentrer sur mon boulot de tous les jours, pas sur le passé. Je veux vivre d’autres bons moments que ce penalty. »

Dia 1

Pierre Bilic

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire