Dzeko système

Buteur vedette de la sélection de Bosnie-Herzégovine, éclatant depuis le début de saison à Manchester City, il reste l’enfant de Sarajevo. Là où il a été élevé sans eau ni électricité, là où il a appris à jongler en évitant les tirs de snipers, là où il revient toujours.

Une cuvette tout en longueur, entourée de montagnes d’où l’armée serbe a tiré au mortier pendant plus de trois ans. Vue du ciel, Sarajevo garde encore les stigmates de la ville assiégée qui fit les gros titres de la presse internationale entre 1992 et 1995.

Une fois au sol, changement d’ambiance. Le premier flash radio est pour annoncer qu’ Edin Dzeko arrivera le lendemain pour rejoindre la sélection bosniaque, qui doit jouer la Roumanie et l’Albanie en phase qualificative de l’Euro 2012. Une nouvelle qui passe avant toutes les autres, et notamment celles liées à la centaine de ministres que compte le gouvernement local. Car Edin Dzeko, à Sarajevo, est le Roi. Un Roi populaire. Contrairement aux autres joueurs phares de l’équipe, comme Miralem Pjanic ou Zvjezdan Misimovic, exilés au Luxembourg et en Allemagne, l’attaquant de Manchester City n’était pas à l’étranger pendant les mille jours où la capitale de son pays se faisait bombarder, pilonner, harceler. Il a connu les semaines sans eau courante ni électricité, les snipers qui tirent avec la régularité d’un métronome et les nuits froides.

 » Avoir vécu ici pendant la guerre a fait de Dzeko quelqu’un de spécial. C’est pour ça qu’il est si lié à son pays et à sa ville. Chaque fois qu’il marque, il fête ses buts avec le peuple. Il est tellement fier de venir d’ici… « , admire l’ancien joueur de Monaco Muhamed Konjic, qui fit partie de la première génération de footballeurs à revêtir le maillot de la nouvelle sélection de Bosnie-Herzégovine, dans les années 90.

Impacts de mortiers et armes automatiques

Chez Dzeko, c’est le quartier d’Otoka. La maison de ses parents ayant été détruite au début de la guerre, c’est chez sa grand-mère que le futur attaquant a passé ses premières années. Un petit appartement où se pressaient une trentaine de personnes, balayé chaque jour par les balles ennemies.

 » Un après-midi de 1993, on jouait au foot dehors et sa mère l’a appelé pour qu’il rentre. Lui ne voulait pas et s’est mis à pleurer. Mais quinze minutes plus tard, trois grenades sont tombées là où on était « , raconte Armin Colakovic, l’un de ses amis d’enfance. En 1992, au début de la guerre, Dzeko a six ans. Le ballon est la seule chose qui l’intéresse.

 » L’une des seules fois où on a eu du courant, c’était le jour de la finale de la Coupe du monde 1994. On était les enfants les plus heureux du monde « , continue Colakovic.

Le football, Dzeko l’apprend au FK Zeljeznicar. Le stade du club est situé dans le quartier de Grbavica. Durant la guerre, les habitants de cette partie de la ville, située à proximité de la ligne de front, se faisaient tirer dessus tous les jours. En 2011, quinze ans plus tard, les tours qui jouxtent le stade portent encore les impacts de mortiers et de tirs à l’arme automatique. La pelouse, elle, a dû être déminée en 1995 avant de pouvoir à nouveau accueillir des joueurs. Edin Dzeko fut l’un de ceux-là.

 » En 1995, j’ai été chargé de refaire une équipe avec les meilleurs gamins du quartier. Il y avait quarante enfants, nous en avons retenu vingt, dont Edin. A cet âge-là, certains aiment défendre, d’autres sont intelligents, aiment faire des passes, et d’autres ne pensent qu’à marquer des buts. Edin faisait partie de cette dernière catégorie « , se remémore Jusuf Sehovic, son premier entraîneur, dans son survêtement siglé FK Zeljeznicar.

 » Ici, c’est Brad Pitt « 

Aujourd’hui qu’il a marqué des centaines de buts, laissé le football slave loin derrière lui, mis la Bundesliga à ses pieds et qu’il pèse 30 millions d’euros, le joueur de Manchester City n’a pas oublié Sarajevo. Premièrement, Dzeko continue, encore maintenant, de faire gagner de l’argent au football bosniaque. Pas mal pour un type d’abord surnommé  » Kloc » (lampadaire) pour son allure de Peter Crouch du pauvre et bradé 30 000 euros au club tchèque de Teplice, en 2005.

 » Le vendre 30 000 euros, c’était con. Rien qu’en indemnité de formation, on aurait dû recevoir plus que ça. Mais bon, à l’époque, les dirigeants pensaient avoir fait une très bonne affaire, ça a payé les salaires pendant trois mois, pour un jeune qui n’était pas titulaire, ce n’était pas si mal. Et s’il était resté, peut-être qu’il n’en serait pas là, et qu’on n’aurait pas touché un million d’euros de City sur son transfert, c’est-à-dire l’équivalent de notre budget annuel. Et ce n’est pas fini parce qu’il n’a que 25 ans, donc il changera encore sûrement de club : un jour, il ira au Real ou au Milan, et on touchera à nouveau environ 3 % du montant du transfert (1) « , rigole Amar Osim, fils du légendaire Ivica Osim et ancien entraîneur de l’équipe première du FK Zeljeznicar.

Mais surtout, Dzeko est devenu une sorte de bienfaiteur fantôme de Sarajevo, quelque chose comme la main invisible qui redresse les situations désespérées.  » Il aide beaucoup de gens personnellement, des gens dans le besoin, des gens malades ou des enfants. Il prend des nouvelles tout le temps « , vante Armin. Quand Jusuf Sehovic est tombé gravement malade en 2009, Dzeko s’est débrouillé pour qu’il soit pris en charge dans les meilleures conditions. Puis, juste avant le match de barrage pour le mondial 2010 contre le Portugal, il a fait en sorte que toute la sélection lui rende visite à l’hôpital. Une légende veut également qu’un jour, le joueur ait offert une voiture au chauffeur de taxi qui l’emmenait gratuitement à l’entraînement quand il était gamin.

 » Si vous en parlez à Edin, il vous dira que c’est faux. Mais c’est une histoire vraie « , sourit Jasmin Ligata, un autre proche du joueur.  » Si tu cries sur tous les toits que tu fais ci et que tu donnes là, quel genre d’homme généreux es-tu ?  »

Quoi d’autre ? Lorsqu’il est à Sarajevo, Dzeko passe une partie de son temps libre à visiter les écoles locales.

 » Ici à l’école, les enfants sont séparés par ethnies. Alors nous avons eu l’idée de les réunir et de faire venir Dzeko pour qu’il leur parle de son expérience de vie à l’étranger, de la richesse de connaître d’autres cultures. Cela marche très bien. Il a accepté immédiatement et il est très impliqué là-dedans. En fait, on a parfois des difficultés à le sortir physiquement des écoles, parce que les enfants ne le laissent pas partir, et parce que lui s’y sent bien aussi. Maintenant, dès qu’il est en Bosnie, il nous prévient, et on programme quelque chose « , explique Florence Bauer, directrice de l’UNICEF en Bosnie.

Les preuves de la popularité d’Edin Dzeko auprès des mômes de son pays ne sont pas très compliquées à rassembler. Il suffit de se rendre sur le terrain champêtre de Hrasnica, où évolue habituellement le FK Famos, un club de quatrième division. Ce jour de début juin, l’équipe nationale de Bosnie y répète ses gammes avant de partir pour la Roumanie. Misimovic distribue les caviars, Dzeko plante deux fois, et Spahic dégomme la cheville de son adversaire, la routine. A la fin de la séance, pendant qu’une ado presque en larmes se jette sur Miralem Justin Bieber Pjanic, les autres gamins se précipitent tous, sans exception, sur Dzeko. Qui sourit.

En difficulté à Manchester City, il a émergé comme cela s’était passé à Wolfsburg, où le Bosniaque avait débarqué incognito en 2007 via Alen Augustincic, un agent basé en Allemagne.  » Quand il est arrivé là-bas, Edin n’a presque pas joué jusqu’au mois de décembre, se souvient Jasmin Ligata. Felix Magath voulait lui faire prendre conscience du haut niveau et ne pas le griller mais Edin, lui, me téléphonait pour me dire qu’il ne comprenait pas. Et puis la saison d’après, Misimovic est arrivé, ça a tout changé « . En deux ans avec son ami derrière lui, Dzeko mettra 26 buts, puis 22, et grâce à son adresse, permettra à Misimovic de finir le championnat allemand avec l’ahurissant total de 20 passes décisives.

 » Ici, c’est Brad Pitt ! C’est marrant parce que sa mère a très peur qu’en Angleterre des filles ‘légères’ lui tournent autour. Elle ne veut pas d’une WAG, elle veut que son fils soit avec une fille bien « , rigole son pote Armin.

 » Jouer en Italie signifie jouer au Milan AC et nulle part ailleurs « 

Personnage public presque malgré lui, Edin Dzeko reste, dans la vie de tous les jours, un héros très discret.  » Il n’aime pas parler de ces choses-là « , tranche Armin. D’autant moins que le joueur a reçu pour consigne de la part de Manchester City de ne pas répondre aux sollicitations des médias étrangers. La faute à des fuites ayant laissé entendre qu’il aurait préféré signer à la Juventus qu’en Angleterre au dernier mercato d’hiver.

Des fuites d’ailleurs injustifiées, selon un autre ami du joueur, Mirza Dautbegovic :  » L’histoire de la Juve, c’est des conneries. La seule possibilité qu’il a eue avec l’Italie, c’était avec le Milan AC à l’été 2009. Adriano Galliani est venu ici, il était assis là, à dix mètres, avec Edin et les dirigeants de Wolfsburg. Mais ces derniers se sont montrés trop gourmands. De toute façon, pour Edin, jouer en Italie signifie jouer au Milan AC et nulle part ailleurs « .

(1) L’indemnité de formation correspond à 5 % du transfert qui sont reversés aux clubs ayant participé à la formation du joueur entre 12 et 23 ans. Le FK Zeljeznicar Sarajevo a droit à 60 % de ces 5 %, soit 3 % du montant total du transfert.

PAR LOÏC TREGOURES, À SARAJEVO ET ZENICA – PHOTOS: REUTERS

 » Un après-midi de 1993, on jouait au foot et sa mère l’a appelé pour qu’il rentre. Lui ne voulait pas et s’est mis à pleurer. Mais quinze minutes plus tard, trois grenades sont tombées là où on était.  » Armin Colakovic, ami d’enfance de Dzeko

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