DUO D’ENFER

A deux, ils sont entrés dans la caste des beaux couples offensifs rouches. L’avenir leur appartient et ils sont tellement différents de quelques grandes paires d’attaquants liégeois d’autrefois.

Imoh Ezekiel et Michy Batshuayi s’entendent comme larrons en foire. Le premier est rapide comme le vent. Son compère d’attaque, solide tel le roc, dispose d’un arsenal technique impressionnant. Ils se trouvent sans se chercher, aspirent à la même liberté dans le camp adverse. Imoh et Michy chassent à deux sur les terres ennemies et constituent actuellement le duo offensif le plus prometteur de D1.

Les grands clubs étrangers pistent ces perles rares déjà promises aux plus belles vitrines du monde. Le Standard a régulièrement vendu ses plus fines gâchettes au plus offrant. Les Rouches ont cédé des détenteurs du titre de meilleurs buteurs de la saison en D1 comme Roger Claessen (Alemannia Aix-la-Chapelle), Antal Nagy (Twente), Harald Nickel (Eintracht Braunschweig), Erwin Kostedde (Kickers Offenbach) ou Aurelio Vidmar (Feyenoord) et d’autres artificiers pour des fortunes. Ces stars fonctionnaient souvent en duos comme Imoh et Michy.

 » J’ai connu deux grands couples d’attaquants : Erwin VandenberghAlex Czerniatynski à Anderlecht et Aurelio VidmarMichaël Goossens au Standard « , explique Jacky Munaron, entraîneur des gardiens de but de Gand.  » Je vais m’avancer : s’ils gardent la tête sur les épaules, et ne cèdent pas à l’appel de l’argent facile qui incite à brûler les étapes, Ezekiel et Batshuayi iront plus loin. Erwin, Alex, Aurelio et Mika ont marqué leur époque, c’est indiscutable, mais le football a changé. Même si le pressing existait déjà, les attaquants prenaient encore le temps de fignoler les contrôles et tirs au but. Ce n’est plus possible et ils doivent tout faire en passant le mur du son. Vandenbergh rayonnait surtout dans le grand rectangle adverse où son calme, sa précision et son coup de patte faisaient la différence tandis que Czernia était moins scientifique, plus arracheur de ballons.  »

 » Au Standard, souvent lancé par Marc Wilmots, Aurelio plongeait bien dans les espaces et Mika, grand technicien, suivait pour profiter des brèches. C’était magnifique, bien huilé et notre Australien a été sacré meilleur buteur. La production d’Ezekiel et Batshuayi est quand même plus complète, plus variée que celle de Goossens et Vidmar. J’en ai parlé avec Mircea Rednic. Ce sont des attaquants ultra-modernes qui savent tout faire, notamment mettre une grosse pression sur le porteur du ballon adverse. On n’a jamais fini avec ces gars-là. Leur vitesse d’exécution est phénoménale. Imoh n’est pas grand mais ne craint pas les duels et quand il grille un défenseur, on ne le reprend plus. Quant à Michy, solide sur ses jambes, il peut résister à de fameuses charges avant de miser sur sa technique haut de gamme.  »

 » Batshuayi et Ezekiel ne sont pas encore des tueurs  »

Philippe Léonard a lui aussi connu l’axe Vidmar-Goossens mis au point par Robert Waseige : » Je suis sidéré par l’audace des jeunes attaquants du Standard. En Coupe d’Europe, Batshuayi a remplacé Igor De Camargo, blessé, en cours de matchcontre les Danois d’Esbjerg. Il ne s’est pas posé de questions et a assumé un rôle important. C’est significatif. Ils osent, pensent et agissent en même temps. Imoh adore la profondeur, Michy se situe plus dans le maniement du ballon : c’est un inventeur, un artiste. Leur finition laisse encore à désirer : c’est dû à une forme de précipitation. Ils ne cadrent pas assez. En 1995, Vidmar et Goossens étaient des tueurs, ce que Batshuayi et Ezekiel ne sont pas encore. Ils peuvent le devenir et cela passera par le travail. A Monaco, j’ai vu arriver Thierry Henry et David Trezeguet en équipe première : ce binôme a frisé la perfection. Ils se trouvaient aussi facilement que des jumeaux. Cette entente, ils l’ont renforcée en bossant encore après les entraînements : centres, reprises de volée, détente, etc.  »

 » Un duo, c’est une force mais Michy et Imoh sont aussi des solistes. Ils décollent ensemble mais cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas réussir l’un sans l’autre. Leurs atouts dépassent le cadre de cette belle collaboration. Pour le moment, en tout cas, ils prouvent que leur sens du devoir collectif est élevé. Le temps des attaquants ventouses qui ne redescendent jamais dans leur camp est terminé : Michy et Imoh l’ont compris. De son temps, Goossens chassait déjà le porteur du ballon, Vidmar pas : il attendait qu’on le lance en profondeur.  »

A moins de 20 ans, les deux flèches liégeoises progressent à une allure record. Leurs avancées impressionnent Czernia. La pression, Alex connaissait aussi. En 1982, Anderlecht casse sa tirelire pour s’offrir le duo Czernia-Vandenbergh : 2,5 millions d’euros pour les deux, un record à cette époque. Plus tard, le Standard déroulera le tapis rouge pour accueillir Alex à Sclessin.  » Les époques ne sont pas comparables « , affirme Czernia.  » Imoh et Michy n’ont pas 20 ans et sont déjà des leaders. Ils émergent dans une équipe en construction. Moi, j’avais 22 ans au moment de mon arrivée à Anderlecht où j’étais entouré de joueurs routiniers dotés d’un grand palmarès européen. Le Standard m’a acquis à 25 ans et, là aussi, il y avait du vécu sur le terrain. Même si le stress existait déjà, il est plus facile à gérer quand on a la chance d’avoir des tuteurs dans le jeu. Le trafic aérien n’est pas leur point fort et c’est pour cela, je suppose, que le Standard a fait revenir De Camargo. Personne ne peut prévoir l’avenir mais tous les feux sont au vert. C’est à eux de faire les bons choix. D’autres ont échoué à l’étranger comme Milan Jovanovic ou Dieumerci Mbokani. Or, ils avaient plus de métier qu’Imoh et Michy. La Belgique ne pourra pas les garder encore cinq ans. A leur place, je ferais preuve d’un peu de patience pour me forger un palmarès en Belgique et acquérir une expérience européenne : ce bagage-là leur permettrait de voyager plus facilement. Pour le moment, ils n’ont encore rien gagné.  »

Czernia cite un duo de choc qui a précédé Imoh et Michy : Jova et Dieu. Le jeu des comparaisons reste délicat. Grégory Dufer (Saint-Trond) s’intéresse aux nouveaux bolides de Sclessin où il a fréquenté Milan et Dieu.  » Ils avaient plus de bouteille que les deux jeunes actuels « , se souvient Dufer.  » Le Serbe avait joué en Ukraine et en Russie. Mbokani n’avait pas encore réussi à Anderlecht. Ils avaient la rage car c’est la suite de leur carrière qui était en jeu. Leur maturité les a aidés : ils étaient des hommes et des footballeurs confirmés lors de leur percée au Standard. Imoh et Michy sortent à peine de l’adolescence, ont une saison et demie de présence en D1, et ne sont pas loin du niveau de Jova et Dieu. Mbokani sait tout faire : jouer dos au but, assumer le rôle de relais, émerger de la tête, marquer comme à la parade. Jova le sentait bien, s’évadait dans la profondeur grâce à sa vitesse d’exécution. Ils ont des références : des titres et de formidables matches européens comme à Liverpool.  »

 » A 19 ans seulement, Imoh et Michy ont une marge de progression très importante. Je ne vois pas meilleurs qu’eux en Belgique. C’est la saison de la confirmation et ils répondent présents. Les défenseurs vont tenter de plus en plus souvent de les priver de grands espaces. Mais ce sont bien plus que de simples sprinters. Imoh court aussi vite avec que sans ballon. C’est un chef qui n’a pas peur de rien. Il réagit plus vite que les autres, même dans les petits espaces. Si je dois choisir entre les deux attaquants du Standard, ce qui n’est pas facile, j’opte néanmoins pour Michy. Il est pétri de classe. Balle aux pieds, il est toujours surprenant, inventif, difficile à déstabiliser tant il est robuste sur ses quilles.  »

 » Sclessin a toujours adoré ce genre d’attaquants  »

D’autres grands duos peuplent l’histoire du Standard. Imoh et Ezekiel auront-ils un jour le même palmarès que le binôme Simon TahamataBenny Wendt ou Roger Claessen et Milan Galic qui s’appréciaient du bout des lèvres ? Adjoint de Raymond Goethals au début des années 80, Léon Semmeling retient les prestations d’Ezekiel et de Batshuayi.  » Sclessin a toujours adoré ce genre d’attaquants « , souligne Semmeling.  » Ils sont capables de forcer la victoire en un raid. Ces deux gars-là effrayent toutes les défenses adverses qui prennent de plus en plus de précautions à leur égard. Pour les adversaires, il est essentiel de couper le ravitaillement, de masser des hommes entre les attaquants et William Vainqueur, le cerveau de la ligne médiane. C’est compliqué car, si Imoh et Michy bloquent trop de monde, cela offre des perspectives pour Mujangi Bia, Paul-José Mpoku ou Mehdi Carcela qui disposent aussi d’une belle pointe de vitesse. Les années ont passé mais, pour moi, la plus grande vedette jamais vue dans la division offensive du Standard reste Tahamata.  »

 » Il a été le complément idéal de Raf Edström ou surtout de Benny Wendt. Michy et Imoh semblent soudés et, finalement, se ressemblent un peu en étant des rois du contre. Simon et Benny vivaient plus loin l’un de l’autre. Tahamata n’avait aucune directive, était libre comme l’air, adorait décrocher sur la gauche avant de remonter le ballon à une vitesse supersonique. Les contres de Simon, c’était de l’art. Il multipliait les passes décisives et Wendt, une force de la nature suédoise, en profitait pour faire trembler les filets. Simon venait de l’Ajax Amsterdam et Benny de Kaiserslautern. Et ils étaient entourés par un paquet d’internationaux qui ont disputé la finale de la C2 en 1982. Il y avait un certain Arie Haan parmi eux, double finaliste de la Coupe du Monde en 1974 et 1978. Cela donne une idée des qualités d’une équipe de top niveau européen qui excellait dans la façon de servir Simon et Benny. Ezekiel et Batshuayi n’ont pas encore cette chance-là. J’ai constaté les progrès d’Imoh et de Michy, déjà plus forts que la saison passée. Et cette évolution ne fait que commencer : je ne crains pas un départ à l’étranger, il sera inévitable un jour ou l’autre. Simon a encore joué des années au Germinal Ekeren et au GBA : c’est impensable de nos jours.  »

PAR PIERRE BILIC – PHOTOS :IMAGEGLOBE

 » Je suis sidéré par leur audace.  » (Philippe Léonard)

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