Le flanc gauche des Hurlus se confie sur son plaisir de jouer disparu, le décès de son père et l’incompréhension dont il est parfois victime.

On peut être Ivoirien, jouer en Belgique et ne pas avoir transité par Beveren. La preuve par AdolpheTohoua (23 ans le mois prochain), arrivé à Mouscron en provenance du Lierse cet été.  » Mon club de toujours, en Côte d’Ivoire, c’est Rio Sports « , explique- t-il.  » Il est situé à Anyama, à une quinzaine de kilomètres d’Abidjan. Il fut un temps où ce club évoluait en D1. Lorsqu’il est descendu en D2, il y a eu un changement de présidence. Parallèlement à l’équipe Première, le nouvel homme fort du club a voulu créer un centre de formation, en concurrence à l’Académie de JeanMarcGuillou. Lorsque je jouais en D1, le centre de formation n’existait pas encore. Je l’ai intégré plus tard, alors que je jouais en D2 ! Dans mon cas, on a donc procédé à l’envers : j’ai commencé ma formation après avoir débuté en équipe Première !  »

 » Arrière gauche ou ailier gauche, c’est nouveau !  »

Le premier souvenir que nous avons de Tohoua remonte à l’été 2002 et à un match de Coupe Intertoto qu’il avait disputé à Heerenveen avec le Lierse d’ EmilioFerrera. Là-bas, dans le nord des Pays-Bas, il avait livré une bonne prestation au poste d’arrière gauche.  » Ah oui ! Je m’en souviens… d’autant mieux que je m’étais déboîté l’épaule lors de ce match « .

Il soupire.  » Je n’ai toujours pas compris pourquoi j’ai été aligné à l’arrière gauche. C’est vraiment dommage, car suite à ce match-là, j’ai été étiqueté. Depuis que j’ai débarqué en Europe, je n’ai jamais pu évoluer à ma place de prédilection. Ma meilleure place, c’est au n°10. C’est à ce poste que j’évoluais en Côte d’Ivoire… et c’est dans ce rôle que le Lierse m’avait découvert là-bas. J’évoluais comme pourvoyeur attitré d’ Arouna Koné, vous vous souvenez de lui ? Il est venu avec moi au Lierse et il joue aujourd’hui au PSV Eindhoven. Arouna a été titularisé comme attaquant et a explosé. Moi, j’ai été aligné à une position qui m’était totalement inconnue et que je n’appréciais guère. C’était difficile pour moi : non seulement je découvrais l’Europe, mais j’étais appelé à remplir un rôle pour lequel je n’étais pas taillé. Rien d’étonnant, dans ces conditions, si je n’ai pas flambé. J’ai ensuite avancé d’un cran et j’ai évolué comme ailier gauche, mais ce n’était toujours pas la place à laquelle j’aspirais. Emilio Ferrera ne cessait de me répéter que je n’étais pas encore prêt pour la D1. Certes, j’étais encore jeune, mais ma jeunesse n’était pas la seule explication à un rendement que l’on pouvait juger insuffisant « .

C’est pourtant aussi au poste d’ailier gauche que Tohoua évolue actuellement à Mouscron.  » Ben oui, que voulez-vous ? L’Excelsior cherchait un ailier gauche pour succéder à MustaphaOussalah, blessé et retourné au Standard. Les dirigeants m’ont vu jouer à ce poste au Lierse et se sont dit que je pouvais faire l’affaire « .

 » Par chance, j’étais blessé  »

Et pourquoi pas ? Après un début de saison difficile, le petit Ivoirien commence à trouver ses marques au Canonnier.  » C’est vrai que j’ai commencé la saison laborieusement « , admet-il.  » Mais il y avait des raisons à cela : je sortais d’une année très difficile avec le Lierse. J’avais été blessé à deux reprises et je manquais donc cruellement de rythme. A ces problèmes physiques s’est greffée l’affaire ZheyunYe. PaulPut a été limogé alors que, la saison précédente, j’avais sans doute livré mes meilleures prestations en Europe sous sa direction. Je ne me suis pas du tout amusé la saison dernière, et c’est un euphémisme. Quelque part, mes blessures m’ont peut-être sauvé : elles m’ont empêché d’être impliqué dans le scandale. J’en discute parfois avec Nicolas Timmermans, qui était dans le même cas. Lui aussi a été blessé la saison dernière au Lierse. Aujourd’hui, il joue à Courtrai « .

Tohoua garde des souvenirs mitigés de ses quatre saisons à la chaussée de Lisp.  » Ce n’était pas toujours drôle, mais je n’oublie pas que ce club m’a ouvert les portes de l’Europe. Rien que pour cela, je lui suis reconnaissant. A côté de cela, j’ai traversé de longues périodes de morosité. Le plaisir que j’éprouvais en Côte d’Ivoire, lorsque je jouais au football, avait totalement disparu. J’étais international là-bas, chez les jeunes. J’ai participé à la Coupe d’Afrique et à la Coupe du Monde des -20 ans, qui s’est disputée à Dubaï. Je m’éclatais comme n°10. Parmi mes coéquipiers, il y avait Arouna Koné (PSV Eindhoven), MondakanMahan (Beveren) et FrançoisZoko (Mons). L’entraîneur était MomoOuattara, qui a ensuite pris en charge l’équipe nationale A. Il est décédé lors d’un entraînement, pendant la campagne de qualification pour la Coupe du Monde 2006. J’ai ressenti un grand choc en apprenant la nouvelle, de la bouche de Koné. Il était encore plus choqué que moi. Il m’a expliqué que l’entraîneur était pratiquement mort sous ses yeux. La plupart des jeunes joueurs de notre promotion lui devaient beaucoup. C’est grâce à lui que Koné et N’Dri Romaric, notamment, ont intégré l’équipe nationale A « .

 » J’espère que mon père, là-haut, est fier de moi  »

La Côte d’Ivoire compte énormément de talents. Naturels ou issus des centres de formation.  » Les centres de formation, comme celui de Guillou, ont été très utiles. Mais il y a aussi beaucoup de talents naturels. Si je prends mon cas personnel : je n’ai même pas passé une saison dans un centre de formation. Et des joueurs comme moi, il y en a beaucoup. Mais les talents se perdent, faute d’encadrement suffisant. C’est un vrai gâchis. Des joueurs de talent, on pourrait en trouver des centaines et des centaines. C’est sans doute cette constatation qui a amené Guillou en Côte d’Ivoire. Car les joueurs appelés à rejoindre son Académie avaient déjà du talent. Il a engagé les plus doués, et les a perfectionnés en leur enseignant la tactique, la discipline, le jeu collectif. Ceux qui intègrent l’Académie sont très bien pris en charge, presque comme des professionnels. Pour les autres, leur unique chance est d’aller passer un test dans un club, sans aucune préparation, en espérant qu’il soit concluant. C’est ce qui s’est passé avec moi. En fait, j’ai eu la chance qu’un entraîneur de Rio Sports connaissait ma mère. C’est lui qui a insisté pour que je rejoigne le club. Ma mère aurait préféré que je poursuive des études. Cela ne m’aurait pas déplu, je pense que j’aurais opté pour une spécialisation en comptabilité. Sur l’insistance de l’entraîneur, j’ai accepté de passer un test. J’ai été engagé… et j’ai directement commencé en D1, alors que je n’avais pas encore 17 ans. Le football m’offrait une chance de subvenir aux besoins de la famille. Ma mère a dû nous élever seule, mon frère jumeau, mes trois s£urs et moi-même. Mon père est décédé alors que je n’avais que 12 ans « .

Il regarde le ciel, songeur.  » C’est dommage qu’il n’ait pas pu me voir comme professionnel, je pense qu’il aurait été fier de moi. C’était un grand amateur de football. Me voir en D1, et à fortiori en Europe, je crois que c’était un rêve pour lui « . Il soupire.  » J’espère que, de là-haut, il me voit quand même « .

Tohoua ignore pourquoi ses parents l’ont prénommé Adolphe.  » Ce n’est pas courant, n’est-ce pas ? En tout cas, plus maintenant. Mon frère jumeau, lui, se prénomme Fidèle. Ce n’est pas courant non plus. Il est beaucoup plus grand que moi, c’est curieux. Bien que nous soyons nés à Abidjan, nous sommes des Guérés, une ethnie originaire de l’ouest du pays. Généralement, les Guérés sont des hommes forts. Fidèle a joué avec moi en Côte d’Ivoire, mais il n’était pas très assidu. Le football ne le passionnait guère. C’est dommage, car il avait du talent aussi « .

 » Quand donc les gens d’ici comprendront-ils ? »

Aujourd’hui, Tohoua est heureux d’avoir quitté le Lierse.  » Il me restait une année de contrat, mais les dirigeants mouscronnois ont trouvé un accord, à ma grande satisfaction. Je ne supportais plus tout ce que j’endurais là-bas : les blessures, les retards de paiement, l’affaire du Chinois… Il fallait que je m’en aille. Pourtant, au fil du temps, j’avais appris à apprécier le Lierse. Même si aujourd’hui, je ne connais plus grand monde là-bas à l’exception du défenseur nigérian MichaelNnaji, qui a transité une saison par le Brussels, cela me fait mal lorsque je vois la position qu’occupe mon ancien club au classement « .

Adolphe évolue désormais dans un club francophone et admet que c’est plus facile pour lui… même s’il évolue toujours sur le flanc gauche. Mais cela ne semble plus le perturber : il retrouve le sourire, rigole même franchement.  » J’en discute parfois avec mon manager. Lui aussi me dit parfois :- Maisenfin, quanddonclesgensd’icicomprendrontilsquetun’espasunflancgauche ? Seulement voilà, en Belgique, je suis désormais étiqueté comme flanc gauche. Peut-être parce que les bons gauchers sont une denrée rare et que les équipes préfèrent meubler leur flanc gauche avec des gauchers. Je peux le comprendre. Alors, je m’en accommode. Mais j’aimerais bien, un jour, pouvoir démontrer mes capacités comme n°10. J’attends ce moment-là avec impatience. D’ailleurs, si vous vous souvenez bien : lorsque j’ai marqué contre Westerlo, je me trouvais en position centrale, comme un n°10. Pareil lorsque j’avais tenté ma chance, avec un peu moins de succès, quelques instants plus tôt « .

 » Excuse-moi, Bertin…  »

Ses centres, pourtant, s’améliorent au fil des semaines : brossés et tendus, souvent au ras du sol, juste ce qu’il faut pour qu’un attaquant puisse mettre le pied.  » J’essaie de m’appliquer. Mais je l’ai déjà répété à maintes reprises à BertinTomou : – Excusemoisi, parfois, jeratemoncoup !Centrer, cen’estpasmontruc…  »

Son truc, il n’en démord pas, c’est la distribution du jeu.  » En Côte d’Ivoire, j’excellais dans cette position. Je marquais beaucoup aussi, presque autant que Koné. Lorsqu’il était à dix buts, j’en étais à sept ou huit, dans cette proportion-là. Je bougeais énormément : je me déplaçais à gauche, à droite, au centre. C’est cela, le football que j’affectionne, celui dans lequel je prends le plus de plaisir. Le plaisir, pour moi, c’est sacré. J’ai besoin de m’amuser sur un terrain. Mais je suis professionnel, désormais, et je dois donc me plier aux directives de l’entraîneur. Cela va de mieux en mieux. Koné m’a envoyé un message après mon but contre Westerlo. Il me souhaitait de continuer dans la même voie. C’est ce que j’espère aussi « .

International jusqu’en -20 ans, Adolphe n’a jamais eu l’honneur d’une sélection en équipe nationale A.  » C’était difficile à partir du moment où j’ai connu des débuts difficiles en Europe et où j’ai été déplacé à une position différente de celle dans laquelle on me connaissait en Côte d’Ivoire. Est-ce encore possible de rejoindre les Eléphants ? Pourquoi pas ? Je n’ai jamais que 22 ans. J’en aurai 23 le 9 décembre « .

Et son idole : DidierDrogba ou ArunaDindane ?  » Aucun des deux. Ma véritable idole, c’était ZinédineZidane. Celui qui m’a fait rêver lorsque j’étais jeune, c’était lui « . Un n°10, on vous le disait.

DANIEL DEVOS

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