DUEL DE CoUR

Pourquoi le Malgache et le Tunisien se disputent la place de récupérateur sans jamais se fâcher ?

Eric Rabesandratana, 34 ans, donne l’apparence d’un roc sur lequel viennent se briser les déferlantes incessantes. Son physique est celui d’un aventurier, son regard celui d’un poète. Arrivé il y a deux ans dans la capitale hennuyère, il a connu l’épisode Brio, la descente en D2 et la remontée. Il a longtemps pris le vent mais son embarcation n’a pas chaviré. Désormais, il sait le port proche. Un jour, il sera temps d’amarrer le bateau et d’entamer une nouvelle vie.

Hocine Ragued parle comme il joue. Lui, c’est un fonceur. Son jeune âge (23 ans) explique son tempérament de chien fou, loin de l’apparence de sage de son aîné. Derrière cette fougue, il y a néanmoins un verbe qui, s’il se montre touffu, se veut réfléchi. Après de longues années d’apprentissage à envier les échappées solitaires de ses collègues (et deux prêts à Istres et Gueugnon), il a enfin décidé de prendre la tangente. L’aventure a pour nom la Belgique et le premier point d’ancrage, Mons.

Derrière leurs différences, Rabesandratana et Ragued partagent pourtant de nombreux points communs, comme le fait d’avoir gardé dans le c£ur une place pour le PSG, club dans lequel le Malgache d’origine est passé et où il a porté le brassard de capitaine et au sein duquel le Franco-Tunisien a été formé. Et puis, il y a le poste : en D2, Rabesandratana avait repris confiance sous la houlette de José Riga. Comme médian défensif, il avait survolé la division. Pourtant, l’abattage de Ragued depuis le début de saison, a eu raison de lui et l’a poussé sur le banc. Quand Rabé joue, il ne le doit qu’à la suspension de Ragued.

Le PSG

Comment, en venant du PSG, aboutit-on à Mons ?

Eric Rabesandratana : Ce sont les aléas d’une carrière. Je n’étais plus payé en Grèce, à l’AEK Athènes. Je me situais en pleine galère. Il a fallu 3,5 ans de procès pour régler le différend financier. J’ai voulu revenir dans mon pays mais, en France, une fois que tu es sorti du circuit, tu n’es plus rien. C’est comme si je ne savais plus jouer. Finalement, après une saison et demi à Châteauroux, j’ai décidé de passer quelques tests et j’ai tenté l’aventure ici en sachant que c’était une D1 belge et qu’il y avait de bons matches à disputer. Maintenant, j’entame ma troisième saison !

Hocine Ragued : Moi, j’étais en fin de contrat avec le PSG. Guy Lacombe, l’entraîneur, voulait bien me faire prolonger d’un an mais il me disait que c’était plus intéressant pour moi de trouver un club où je pourrais jouer. Puis, on m’a parlé de Mons et je me suis renseigné. J’ai demandé au sélectionneur de la Tunisie, Roger Lemerre, si cela changeait quelque chose pour lui si j’allais en Belgique. Il m’a dit qu’au contraire, du temps de jeu me serait bénéfique.

Quel souvenir conservez-vous du PSG ?

Ragued : J’ai fait toute ma formation là-bas. Même si je n’ai pas percé, j’ai appris beaucoup du noyau pro et de garçons comme Jay Jay Okocha ou Nicolas Anelka. Pour réussir au PSG, il faut un nom. Il faut donc partir, quitte à revenir par la suite avec une réputation. C’est dur car quand on est Parisien, le Parc des Princes représente tout mais on se rend vite compte que ce n’est pas sur le terrain que cela se décide. Aux entraînements, je voyais bien que j’étais plus frais que d’autres et que certains joueurs ne s’entraînaient que deux fois par semaine. Pourtant, c’étaient eux qui étaient alignés le week-end.

Rabesandratana : A Paris, c’est facile de s’éparpiller. Tu peux y faire ce que tu veux. Certains oublient que pour réussir, il faut se canaliser sur le football.

Ragued : Beaucoup de joueurs se sont cassés la gueule au PSG. Alex et Aloisio se sont plantés. Andre Luis marquait tout ce qu’il voulait à Marseille. Plus au PSG. Et ne parlons pas d’Igor Janovski qui se faisait siffler dans son propre stade.

Rabesandratana : Pourtant, il n’était pas mauvais.

On parle beaucoup de la pression…

Rabesandratana : Les principaux journaux sont là tous les jours, à l’affût du moindre pépin.

Ragued : Tout est multiplié par 20.

Même par rapport à Lyon ou Marseille ?

Rabesandratana : A Marseille, la pression vient des supporters. Il suffit de ne pas habiter dans le centre-ville. Au PSG, la pression est plus médiatique. Pour expliquer les mauvais résultats, on peut aussi dire que toutes les équipes étaient super motivées quand elles nous rencontraient. Il fallait être irréprochable.

Ragued : Mon ancien agent, Daniel Bravo, me disait qu’à la glorieuse époque, tous les joueurs allaient manger ensemble. Il y avait une notion parisienne. Maintenant, les joueurs montent à Paris pour flamber.

Rabesandratana : Il s’agit juste d’un tremplin. Le reste, ils zappent.

Ragued : Ils n’ont plus l’esprit parisien.

Mons

Est-ce facile de passer à un petit club belge ?

Rabesandratana : Si tu compares Mons avec Paris, tu te mets une balle. Il ne faut pas venir à Mons avec cet état d’esprit…

Ragued : Quand je suis arrivé à la gare, je me suis imaginé le pire.

Rabesandratana : C’est vrai que la gare de Mons, ce n’est pas ce qui a de plus rassurant !

Ragued : Puis, tu visites progressivement la ville et tu te dis – C’est mignon ici. Je suis parti un an, en prêt à Gueugnon et là, il n’y a vraiment rien. Je retournais toujours à Paris.

Rabesandratana : Gueugnon, c’est une rue. C’est tout.

Ragued : Ici, on découvre petit à petit. Après, tu y trouves du charme et tu te dis – Ah oui, il y a Zara, Carrefour, Foot Locker

Rabesandratana : A Châteauroux, il y avait bien moins de magasins.

Ragued : J’ai toujours pensé que ce serait difficile de quitter Paris et puis finalement, je me rends compte que depuis que je suis à Mons, je ne suis pas revenu tellement souvent.

Rabesandratana : Moi, c’est le contraire. Je suis Parisien mais je ne pourrais pas y vivre.

Le club

Peux-on être satisfait du bilan de l’Albert ?

Rabesandratana : Sur le papier, l’équipe est très compétitive. On ne devrait pas se poser de questions pour le maintien mais on a encore besoin de travailler tous ensemble. Si on ne fait pas d’efforts pour aider les autres, cela ne marchera pas. Contre Zulte Waregem, l’équipe était coupée en deux : une partie offensive et une défensive. On a tenu mais c’est la seule chose qu’on pouvait faire.

Ragued : On a oublié nos principes. Mais cela s’explique : au début, personne ne nous connaissait et on avait tous quelque chose à prouver. Cependant, on oublie parfois d’être concentré tout le temps. C’est grâce au collectif qu’on s’est imposé à Lokeren et qu’on a pris un point à Bruges…

Rabesandratana :… sans être parfait et sans être encore bien en place.

Est-ce que le club a tiré les leçons du passé ?

Rabesandratana : Lorsque j’ai vu que Mons se séparait de nombreux joueurs et que les nouveaux arrivaient au compte-gouttes, je n’ai pas pu éviter de me poser des questions car Mons fut, dans le passé, le spécialiste du grand chamboulement. Il ne faut pas oublier que plus tu changes de joueurs, plus il faudra à l’équipe un temps d’adaptation.

Ragued : Moi, je faisais partie des tests mais le staff a voulu bien réfléchir et ne plus commettre les erreurs du passé. Il y a eu beaucoup de tests mais peu d’élus.

Rabesandratana : Je me souviens encore de l’époque où le club faisait signer des joueurs sans les avoir vus sur le terrain. Il y a déjà une évolution.

Le poste de médian défensif

Vous êtes à deux pour une seule place…

Rabesandratana : Cela dépend du dispositif. Je suis persuadé qu’on pourrait jouer ensemble.

Ragued : Quand je suis arrivé ici, je ne m’attendais pas à être en concurrence avec Rabé. Je pensais qu’il était défenseur central. C’est à l’entraîneur de décider mais Eric sait que je ne vais pas lâcher la place ( il rit).

Et comment vit-on le statut de réserviste ?

Rabesandratana : Je l’accepte davantage maintenant qu’avant car je sais que ma carrière est plus derrière moi que devant. Mais je suis un compétiteur et cela me manque de ne pas plus jouer. Il y a aussi de la frustration car je n’ai plus dix ans devant moi !

Ragued : Moi, cela me fait du bien d’être titulaire. J’ai 23 ans et j’ai été tenu en cage au PSG. Vous comprenez mon envie ! Je suis venu d’une grosse usine où on apprend beaucoup. Je suis arrivé avec un bagage et les matches de préparation se sont bien déroulés. Je vois que j’ai la confiance de l’entraîneur et du groupe et je suis en train de prendre mes marques.

Votre style est aussi assez différent : l’un joue sur le placement, l’expérience, la vista ; l’autre sur l’abattage et un jeu plus rugueux…

Ragued : Oh, oh, cela va quand même mieux. Lors de mes débuts en D2, à Istres, au bout de trois matches, j’étais suspendu pour abus de cartons jaunes. A Mons, je n’en ai pris que trois depuis de la début de l’année. Je me suis calmé même si je ne lâche rien.

Rabesandratana : Chacun son style ! Lui est capable de courir tout le temps. Moi non, ça c’est clair. Mais, c’est le ballon qui doit aller vite. Pas le joueur ! Le football doit être rapide. Il faut de la vitesse d’exécution et être capable de faire les bons choix et réaliser ce que tu vois. Les grands joueurs anticipent : je le fais par mon placement ou en cassant le rythme en commettant une faute.

Ragued : On ne passait pas Laurent Blanc et pourtant il ne courait pas vite. Pauleta, non plus et cependant, il marque !

Et défenseur central ?

Rabesandratana : Je prends plus de plaisir comme médian défensif.

Ragued : Je peux comprendre. A cette place-là, on touche beaucoup de ballons et on participe davantage.

Le métissage

Vous avez grandi en France mais venez de cultures différentes. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Ragued : La Tunisie a toujours été fort présente dans mon environnement. J’habitais dans le 20e arrondissement à Paris, un quartier où il y a beaucoup de mélange. Tous les ans, ma famille partait deux mois en Tunisie. Je parle couramment ma langue et je prends toujours énormément de plaisir avec ma sélection. Mon père est décédé mais je sais que sa plus grande fierté aurait été de me voir porter le maillot de l’équipe nationale.

Rabesandratana : Je suis d’origine malgache mais je n’ai jamais mis les pieds là-bas. Depuis deux, trois ans, cela me titille. Je n’avais pas trop de bons contacts avec ma famille malgache et n’ai jamais cherché à les développer. J’ai sans doute établi inconsciemment une barrière. Maintenant, j’ai envie de connaître cette culture. Je compte partir bientôt en pèlerinage ( il sourit).

Et jouer pour Madagascar ?

Rabesandratana : J’y pense. On m’avait demandé, il y a deux ans, de rejoindre la sélection mais cela ne s’était pas fait car on avait perdu mon dossier. Je ne trouvais pas cela très sérieux mais c’est sans doute un exemple de la mentalité africaine.

Ragued : Il ne doit pas hésiter une seconde. L’Afrique vit le football à fond. Je me souviens d’un déplacement en Guinée. Il y avait des gens sur les lampadaires. Les Guinéens nous ont battu 1-0 et ils ont fait la fête toute la nuit. On a pris l’avion à 3 h du matin et tout le monde chantait à l’aéroport.

STÉPHANE VANDE VELDE

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