« DUCHÂTELET A VOULU ME VIRER 4 OU 5 FOIS « 

Ce n’est pas (encore) une interview bilan ou testament mais une longue conversation avec un footballeur quand même plus proche de la fin que du début… Forcément, il en a des choses à dire sur son parcours, l’évolution du job et le Standard qui l’a chassé.

Maintenant qu’il est rentré à Genk, où tout avait commencé pour lui il y a une quinzaine d’années, Igor de Camargo peut faire le point sur son aventure pro. Sur ses succès belges, son expérience allemande, sa courte présence chez les Diables, sa reconversion déjà entamée. Et, pour la première fois, dans le détail, sur son départ du Standard en fin de saison passée ! On se doutait qu’il avait quitté Sclessin avec un goût amer, il va nous confirmer que c’est bien plus que ça. Les Rouches ont carrément chassé un des hommes-clés des titres à l’époque Preud’homme / Bölöni, c’est ça la vérité. Interview sans chichis.

C’est comment, le travail avec Peter Maes après le boulot avec Guy Luzon, Ivan Vukomanovic et José Riga, trois coaches tellement proches de leur groupe qu’ils n’arrivaient pas à le tenir ? Le changement est radical, non ?

IGORDECAMARGO : On s’adapte toujours… (Il rigole).

Explique la différence…

DECAMARGO : Peter Maes est plus énergique, plus rigoureux, plus exigeant. Mais on voit qu’il a un bon coeur… Je ne dis pas que les entraîneurs du Standard n’avaient pas de coeur, mais avec Maes, c’est un peu spécial parce que ça ne saute pas directement aux yeux. Quand il te parle, tu peux avoir l’impression que c’est un méchant. Mais non, il est seulement exigeant et le fond est bon. Maintenant, si tu ne supportes pas la pression ou l’intensité qu’il met dans tout ce qu’il te demande, ça peut être difficile. Il faut avoir du mental pour arriver à bosser avec lui !

Les trois coaches que tu as eus l’année passée au Standard avaient assez de poigne pour tenir un vestiaire qui n’était pas le plus facile ?

DECAMARGO (énigmatique) : Chacun a sa façon de voir les choses. Si je prends Luzon, Vukomanovic, Riga et Maes, aucun ne fonctionne de la même façon. Ils ont tous le même but : faire gagner leur équipe. Mais ils prennent tous des routes différentes pour aller d’un point A à un point B. Il y a des entraîneurs directs, qui prennent le chemin le plus court. Et d’autres qui zigzaguent en espérant y arriver quand même.

 » ON A ÉCHOUÉ A CAUSE DE LA MENTALITÉ  »

Il était vraiment compliqué, le vestiaire du Standard ?

DECAMARGO : (Il rigole).

Des joueurs arrivaient en retard à l’entraînement ou demandaient même pour le décaler. Tu sais comment Maes réagirait par rapport aux mêmes situations ?

DECAMARGO : Peut-être que les entraîneurs du Standard n’avaient pas grand-chose à dire…

Ils étaient les patrons sportifs !

DECAMARGO : Mais ils n’étaient pas les patrons du Standard !

Tu es discipliné, rigoureux, ponctuel, ça n’a pas dû être toujours facile à vivre ?

DECAMARGO : Ce qui était encore plus dur pour moi, c’est que je rentrais d’Allemagne. Une autre culture, un système où tout fonctionne. Là-bas, l’heure c’est l’heure. Au Standard… C’est vraiment dommage parce qu’on avait une équipe talentueuse, magnifique, fantastique ! Ce Standard-là devait être champion en 2014, avec Luzon. On a échoué à cause de la mentalité.

Avec un coach dur, le titre était donc pour vous ?

DECAMARGO : Je n’en suis même pas sûr. Parce que ce groupe était difficile à gérer. Il y avait des joueurs qui n’aimaient pas trop la discipline et qui ne l’auraient peut-être pas acceptée.

Tu veux dire que Luzon s’est adapté à cette mentalité ?

DECAMARGO : Peut-être. Quand tu bosses avec un groupe, tu dois tenir compte du fait que tu n’es pas tout seul. Il faut faire attention à plein de trucs. Tu disais à un joueur -Fais comme ceci ou –Fais comme cela, c’était directement difficile ou il n’acceptait pas ta remarque.

Tu as essayé de réagir pour corriger la situation ?

DECAMARGO : Quand un coéquipier arrive en retard une fois, deux fois, trois fois, tu essaies de lui parler. Mais ça ne marchait pas. Alors, il m’est arrivé d’aller trouver l’entraîneur et de lui dire : -Coach, on a tout essayé, c’est vous l’autorité maximale, maintenant c’est à vous de prendre les choses en mains. Mais quand le coach lui-même n’y arrive pas, là ça devient vraiment compliqué. Je suis intervenu auprès de Luzon, de Vukomanovic, de Riga, ça n’a jamais rien donné.

A part les retards, il y avait d’autres problèmes ?

DECAMARGO : Oui, plein de petits trucs qui se sont passés dans le vestiaire. Mais ça ne vaut même pas la peine d’en parler.

Tu te sentais seul ?

DECAMARGO : Non, il y a d’autres joueurs qui ont essayé de faire bouger les choses. Jelle Van Damme, Yohann Thuram, Ricardo Faty, Eyong Enoh. Tous des gars qui valorisent la discipline et qui arrivent à l’heure.

 » J’AI ÉTÉ CHASSÉ DE MA MAISON  »

Tu rêvais sûrement de quitter le Standard dans une autre ambiance, par une grande porte ?

DECAMARGO (réfléchit) : Quand tu comprends que tu n’es plus le bienvenu quelque part, tu ne dois pas faire la tête, tu dois chercher un autre endroit pour vivre.

Tu as vraiment senti que tu n’étais plus le bienvenu ?

DECAMARGO : Quand quelqu’un essaie de te mettre dehors, plusieurs fois, ça devient lourd. J’avais l’impression d’avoir fait beaucoup pour le Standard, ce club restera toujours une bonne partie de ma vie, ça rend les choses encore plus dures à digérer. J’ai vu qu’on me chassait de ma maison. Ils ont tout fait pour que je parte. Trois fois, quatre fois, cinq fois…

Roland Duchâtelet ?

DECAMARGO : La direction… Je vais dire ça comme ça…

Ça a commencé quand ?

DECAMARGO : La saison dernière. C’était ma deuxième, j’avais signé pour trois ans. J’aurais pu rester, faire la troisième année dans mon coin, tranquillement, mais je sentais trop que je n’étais plus le bienvenu. Le président me demandait si je n’avais pas envie d’aller jouer ailleurs. Il fallait que je trouve autre chose.

On t’a fait sentir que ton gros salaire était le problème ?

DECAMARGO : Ce n’était pas mon problème en tout cas. Le Standard m’avait donné ce contrat.

Il y a alors eu cette histoire avec le Qatar en janvier. Tu vas là-bas pour signer et on te rappelle dare-dare !

DECAMARGO : Un truc de fou, quand même… Je reçois une offre du Qatar à un moment où je n’ai pas vraiment l’intention de quitter le Standard. Je dis que je n’y vais qu’avec l’accord du président. Il me le donne. Là-bas, je passe les tests médicaux, et à ce moment-là, mon agent reçoit un coup de fil de Duchâtelet : je dois rentrer. Je l’appelle, je lui demande de m’expliquer, parce que là, je ne comprends plus rien. Il me répond : -Je pensais que tu étais parti simplement pour visiter les infrastructures. Il ajoute qu’il s’est peut-être mal exprimé ou que je l’ai peut-être mal compris…

Le problème, c’est que le Standard n’avait plus qu’un seul attaquant si tu partais.

DECAMARGO : OK, mais ça, ils le savaient avant que je prenne l’avion. D’ailleurs, je n’avais pas compris pourquoi Duchâtelet me laissait partir au Qatar alors qu’il venait justement de rapatrier Imoh Ezekiel pour qu’on joue tous les deux devant. Personne ne comprenait, d’ailleurs. D’un point de vue sportif, ça n’avait aucun sens. En tout cas, après cette histoire, ce n’était plus possible que ma relation avec le club reste la même.

 » AVEC DUCHÂTELET, C’ÉTAIT FROID  »

Les deux titres avec le Standard resteront les plus beaux moments de ta carrière belge, quand même !

DECAMARGO : J’ai trois titres ici… (Il rigole). J’ai déjà été champion avec Genk peu de temps après mon arrivée en Belgique, en 2002. OK, je n’étais pas titulaire, très loin de là. Mais si on va revoir les statistiques, on voit qu’Igor de Camargo avait marqué un but cette saison-là…

Quand tu es revenu au Standard, après Mönchengladbach et Hoffenheim, tu as reconnu le club que tu avais quitté trois ans plus tôt ?

DECAMARGO : Oh la la… Il y a beaucoup de choses qui avaient changé. Beaucoup, beaucoup, beaucoup ! La façon de travailler était complètement différente. A l’époque de Lucien D’Onofrio, on savait qu’il était le patron mais il laissait les gens bosser. C’était familial, chaleureux. Quand je suis revenu, avec Roland Duchâtelet, c’était froid. Les supporters étaient toujours les mêmes, les meilleurs de Belgique, mais point de vue travail, le Standard était entre-temps devenu une entreprise comme les autres, c’était du pur business.

Tu étais revenu avec l’espoir de jouer la Coupe du Monde au Brésil, tu n’y es pas arrivé, tu n’as plus jamais été appelé, tu restes avec un bilan de moins de dix matches chez les Diables et pas un seul but marqué… Tu es déçu du résultat de ta naturalisation ?

DECAMARGO : C’est sûr que si j’ai quitté la Bundesliga à ce moment-là, c’est parce que j’avais la Coupe du Monde dans un coin de ma tête. Je pensais qu’en me rapprochant de Bruxelles, j’augmentais mes chances d’être sélectionné. Ça n’a pas marché, mais tout ce que j’ai fait, je l’ai fait avec le coeur, et dans le foot, on n’est pas seul à décider de son destin… Je préfère retenir que j’ai pris plein de plaisir quand je suis allé en équipe belge. On ne me l’enlèvera jamais. Et puis, le noyau qui est parti au Brésil était assez fort, non ?

Tu habites toujours à Liège, tout près de l’Académie. Nostalgie ?

DECAMARGO : Rien à voir. C’est un choix familial. Ma femme est bien adaptée à Liège et mon fils a déjà dû déménager d’Allemagne vers la Wallonie, je trouve mieux de ne pas changer une nouvelle fois de cadre de vie et de langue.

Tu es avec le même agent depuis tes débuts pros, tu es toujours de bonne humeur et accessible, tu ne fais jamais d’excès en dehors des terrains, tu t’habilles normalement, tu n’es pas flashé sur la route, tu n’as jamais de problèmes avec tes entraîneurs, bref tu es très différent de l’immense majorité des footballeurs. Tu ne te considères pas comme un gars un peu trop classique ?

DECAMARGO : Le classique ne se dévalorise jamais…

 » AUJOURD’HUI, LES JOUEURS NE SE PARLENT PLUS  »

Mais tu es conscient d’être différent ?

DECAMARGO : Bien sûr. J’ai eu la possibilité de travailler avec d’autres agents mais j’ai reçu une très bonne éducation à la base ! Dans mon éducation, il y a la fidélité, la reconnaissance, le respect. J’ai mes valeurs. Je sais par exemple que je ne pourrai jamais faire la différence tout seul : si je n’ai pas des coéquipiers qui me donnent le ballon, je ne marquerai jamais ! Donc, pour moi, c’est hyper important de m’entendre avec tout le monde dans le groupe. Si tu fais la bagarre dans le vestiaire, ce n’est pas très malin. Je sais aussi que je n’ai aucun intérêt à me frotter avec mon entraîneur. Quand il y a un début de problème, je préfère m’éloigner, je fuis la polémique. Et je sais aussi, par exemple, adapter mon jeu dans les périodes où ça va moins bien. Dans les moments où je n’arrive pas à faire deux bonnes passes de suite, j’essaie de travailler d’une autre manière, de me rendre utile autrement, j’aide les autres.

Tu as souvent côtoyé le risque de dérapage ?

DECAMARGO : Il y a toujours du danger. Toujours ! Surtout pour un gamin de 17 ans qui débarque du bout du monde. J’aurais pu déraper, souvent. Je remercie Dieu tous les jours d’avoir mis à côté de moi des gens qui avaient un bon coeur !

Tu n’as pas de problèmes relationnels avec la jeune génération, avec les joueurs qui ont des valeurs complètement différentes, qui dépensent leur argent n’importe comment ?

DECAMARGO (rigole) : Comment te dire ?… Quand je suis arrivé à Genk, on passait plein de temps à jouer aux cartes entre les entraînements. Le jeu de cartes, je l’ai appris avec David Paas, Wesley Sonck, Koen Daerden, Jan Moons. C’était bien parce qu’on parlait beaucoup. Aujourd’hui, on ne se parle plus. Plus du tout ! J’arrive dans le vestiaire, j’entre à la cantine, tout le monde est sur son smartphone et passe son temps à surfer ou à envoyer des SMS. Parfois, je me fais la réflexion que c’est carrément fou : tous les joueurs sont dans la pièce mais on n’entend pas un bruit, je te jure. Personne ne te regarde. Tout le monde tapote sur son clavier ou son écran. Je ne dis pas que c’est un problème mais je ne jure pas non plus que ce n’est pas un problème… Parce que si on communiquait un peu plus en dehors du terrain, ce serait peut-être plus simple sur le terrain ! Mais bon, c’est l’évolution, on ne fera pas marche arrière. Si un entraîneur décide un jour d’interdire les GSM, ce sera la révolution. Les jeunes se permettent beaucoup de choses. Et je ne te parle même pas des fringues des footballeurs d’aujourd’hui. (Il rigole).

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – YORICK JANSENS

 » Il faut du mental pour savoir bosser avec Peter Maes.  » IGOR DE CAMARGO

 » Le Standard de D’Onofrio était familial, celui de Duchâtelet était du pur business.  » IGOR DE CAMARGO

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