DU TEMPS, svp

Le successeur de Trond Sollied cherche encore les clés du paradis à quelques heures de l’ouverture du championnat.

Jan Ceulemans (48 ans) se la coule douce sur le terrain d’entraînement du Club Bruges. Pendant que les troupes transpirent, le nouveau coach se contente d’un rôle d’observateur, les bras croisés. Ses adjoints, Franky Van der Elst et René Verheyen, expliquent les exercices aux joueurs et conversent de temps à autre avec le T1. Marc Degryse jette attentivement un £il sur la séance du jour. Lors du retour au vestiaire, Ceulemans et son staff distribuent plus d’autographes que les joueurs les plus populaires. A Bruges, les vedettes ne sont plus dans le noyau mais gravitent autour ! Jan Ceulemans fait le point sur sa nouvelle vie.

Entraîner Westerlo ou Bruges, où est la différence dans le travail au quotidien ?

Jan Ceulemans : J’avais 16 ou 17 joueurs à Westerlo, et ici, j’en ai 26. On peut faire du bon boulot avec 16 gars, mais si on en a 26, il faut les scinder en deux groupes. Pour le reste, je vois peu de différences. Si ce n’est qu’ici, ils ont tous l’impression qu’ils méritent de figurer dans le 11 de base. C’est typique d’un club du haut du classement.

Pour la première fois de votre carrière d’entraîneur, vous allez devoir faire des mécontents parmi des vedettes.

Les meilleurs footballeurs savent compter, ils sont conscients qu’ils sont trop nombreux pour le nombre de places disponibles. Cela ne m’a jamais fait peur de devoir décevoir des gens.

Un joueur de Westerlo qui n’est pas titulaire peut l’accepter si ça vient de Jan Ceulemans. Mais ici, vous avez affaire à des joueurs qui ont un ego autrement dimensionné !

On verra. Faire des choix, c’est le boulot d’un entraîneur. Je le sais et je l’accepte. Je fais jouer ceux qui me paraissent le plus en forme et le plus en mesure d’apporter quelque chose à l’équipe en fonction du résultat souhaité.

Votre téléphone n’arrête pas de sonner. A Westerlo, les demandes d’interview étaient rares !

Bah, c’est normal car je viens d’arriver. Tout le monde voudrait faire une interview de Franky et moi ensemble. Je le savais dès que notre cohabitation a été décidée. Je savais d’ailleurs dès mon arrivée que je serais plus sollicité. Tout simplement parce que Bruges est un grand club. A Westerlo, les demandes étaient effectivement assez rares. Enfin bon, d’ici quelques semaines, ce sera déjà un peu plus calme. Je l’espère, en tout cas. Le fait qu’on annonçait depuis longtemps que j’entraînerais le Club un jour a aussi joué. Accorder des interviews, ce n’est pas ce que je préfère, mais cela fait partie de mon job. Et on ne peut pas se plaindre en Belgique. Quand je vois le nombre de journalistes qui sont venus avec Porto, je ne suis certainement pas jaloux.

 » Je n’aurais rien changé si tout le monde était resté  »

Vous paraissiez nerveux lors de la conférence de presse qui a suivi le match contre Porto.

Vous avez raison. Mais c’était ma première fois. Le premier match à domicile, aussi, avec beaucoup d’attentes. Il y avait beaucoup de nouvelles têtes dans la salle de presse, il fallait encore que je m’y habitue. J’ai ressenti la même chose quand je me suis adressé pour la première fois aux joueurs du Club. C’est toujours un moment spécial.

Il y avait près de 25.000 personnes dans le stade pour votre premier gros test, contre Porto. Après la rencontre, vos sentiments étaient mitigés.

Oui, parce que j’ai essayé un truc qui n’a pas très bien marché. Evidemment, j’espérais que tous les spectateurs allaient quitter le stade en étant rassurés, mais ce ne fut pas très bon. Attention, ce ne fut pas très mauvais non plus, il fallait tenir compte de la valeur de l’adversaire. L’axe Timmy Simons-Nastja Ceh-Rune Lange est parti, je dois encore chercher la bonne solution. Leurs successeurs sont de bons footballeurs mais ils ont besoin de temps pour trouver leurs marques.

Mais on n’a pas le temps dans le foot de haut niveau…

D’accord, mais je répète que mon équipe n’a pas été si mauvaise ce jour-là. Nous avons affronté quelques très bons adversaires en période de préparation. Notre jeu n’est pas encore parfaitement fluide mais il s’améliore de jour en jour. Ne vous attendez pas à voir le Club écraser tous ses adversaires cette saison. Ce n’est plus possible.

Porto, c’était un des seuls matches dans lesquels vous n’étiez pas contraints de faire le jeu.

En championnat, nous affronterons le plus souvent des équipes qui joueront derrière le ballon, mais en Coupe d’Europe, nous serons rarement favoris.

Mais on a quand même eu peur ce soir-là : Bruges qui joue chez lui à cinq derrière, avouez que ça effraye.

Cinq ? Non : trois ! Mais les backs ne sont pas montés comme je le leur avais demandé, d’où le problème. Une chose m’a frappé après ce match : la presse a interprété notre 2-2 sur un ton positif. Parce que c’était le Club Bruges.

C’est-à-dire ?

On a dit que Bruges avait joué en 3-5-2, mais si l’entraîneur de Westerlo avait fait la même chose, on aurait parlé d’un 5-3-2. A cause des défenseurs centraux qui restaient trop derrière, Olivier De Cock y est lui aussi resté. Et nous avons été submergés dans l’entrejeu. Cela a duré une bonne vingtaine de minutes. Après cela, j’ai fait monter Birger Maertens dans l’entrejeu et nous sommes passés en 4-4-2.

Et en deuxième mi-temps, vous êtes carrément passés en 4-3-3, soit le système de la saison dernière.

Je dois tout analyser, tenir compte des joueurs que j’ai à ma disposition. Avec Grégory Dufer, j’ai un véritable ailier, mais à gauche, je n’ai personne capable de jouer sur le flanc dans un vrai 4-4-2.

Vous pourriez donc vous en tenir au 4-3-3 ?

C’est possible. Même si j’ai quelques attaquants qui fonctionnent mieux dans un 4-4-2. Enfin bon, ce problème tactique n’en sera pas vraiment un en championnat parce que nous contrôlerons la plupart des matches, quel que soit le système.

Vous pratiquiez souvent le 4-4-2 à Westerlo. Dans quel système vous sentez-vous le plus à l’aise ?

Pour moi, ce n’est pas si important. Il faut conserver ce qui marchait bien ici. Aucun système n’appartient à un entraîneur, tout dépend des joueurs qu’il a dans son noyau. Si tout le monde était resté, cela n’aurait eu aucun sens d’abandonner un système dans lequel l’ensemble se sentait bien depuis des années. Maintenant, avec tous les départs, je dois essayer de voir quel type de jeu colle le mieux à mon noyau. Cela prend du temps.

Bruges a du mal à abandonner son 4-3-3.

C’est comme ça. Et ça ne me dérange pas.

 » Un joueur décisif a besoin d’un temps d’adaptation plus long  »

Que voulez-vous changer ici ?

J’espère obtenir de bons résultats avec un beau football. Mais c’est le cas de tous les entraîneurs. J’espère que tout le monde appréciera le jeu que nous produirons. Je sais que nous traverserons des périodes où ça ira moins bien. Dans ces moments-là, nous devrons nous reposer sur les valeurs du Club : la taille et la puissance.

Dans l’entrejeu, vous semblez faire confiance au trio Ivan Leko-Gaëtan Englebert-Sven Vermant. Entameront-ils le championnat ?

Pour le moment, c’est cette combinaison-là qui me semble la plus efficace. Mais bon, j’ai beaucoup de choix dans l’entrejeu.

Pourquoi ces trois-là ? Aucun d’eux n’est capable de produire une accélération ou de s’infiltrer.

C’est vrai, mais les autres joueurs entrant en considération pour ces postes n’ont pas non plus ces facultés. Nous avons des qualités de vitesse mais pas de joueurs qui s’infiltrent aux bons moments. Il ne faut pas non plus oublier qu’ils n’ont jamais joué ensemble. Après trois saisons du trio Timmy Simons-Gaëtan Englebert-Nastja Ceh, il y avait quelque chose de bien sur le terrain et chacun savait ce que les deux autres allaient faire. Mes nouveaux joueurs ne sont ici que depuis un bon mois et j’ai voulu faire jouer tout le monde dans les matches amicaux. Pour obtenir une vraie complémentarité, il faut du temps de jeu. Maintenant, je ne vais plus bouleverser mon équipe chaque semaine sous prétexte que certaines choses ne m’ont pas plu. J’espère simplement que le jeu s’améliorera de semaine en semaine.

Quel est votre avis sur Sven Vermant ?

Il voit bien le jeu mais n’est pas une copie de Simons. Ce sont deux joueurs qu’on ne peut pas comparer. Son expérience devrait en tout cas nous être utile. Il doit devenir, à sa façon, un des leaders du noyau.

Ivan Leko n’est pas encore sorti de l’anonymat.

Il sait jouer au foot et possède une technique plus qu’appréciable. Il est capable d’élever le niveau de toute l’équipe mais ce n’est pas le genre de joueur qui se retrouve 25 fois par match devant le but adverse. Lui aussi a besoin de temps pour trouver ses marques.

De combien de temps a besoin un joueur qui arrive d’un autre championnat ?

Un joueur décisif a besoin de plus de temps qu’un stoppeur à qui on demande simplement d’intercepter le ballon et de le relancer vers l’avant. Mais un bon joueur assimile plus rapidement le processus qu’un joueur moyen. Je ne demande pas seulement à Leko d’intercepter et de relancer, je veux qu’il soit créatif, qu’il force des ouvertures, qu’il dirige notre jeu, qu’il donne des passes décisives.

Lui expliquez-vous ce que vous attendez de lui ?

Je lui parle de temps en temps, mais je l’observe beaucoup. Un footballeur créatif doit savoir ce que son entraîneur attend de lui, mais on ne peut pas l’enfermer dans un rôle trop défini. Quand je jouais, il ne fallait pas me dire ce que je devais faire, mon entraîneur devait simplement me dire où je devais me placer. Un créatif doit garder une certaine liberté de man£uvre, sans perdre de vue qu’il a aussi un rôle défensif à assumer. C’est ce que j’attends de ce type de joueurs : qu’ils se replacent en perte de balle et qu’ils prennent des initiatives, et les exécutent, en possession de ballon.

Quand on demande aux joueurs du Club ce que fait Jan Ceulemans, ils répondent que vous vous contentez de les observer à l’entraînement.

C’est important de bien surveiller ce que font les 25 joueurs du groupe. Quand il y a trois entraîneurs sur le terrain, le principal peut se positionner de façon à voir tout le monde : c’est indispensable.

Il y a longtemps qu’on dit que vous avez l’art de choisir un endroit depuis lequel rien ne vous échappe !

Si vous vous placez dans le rond central pour donner vos consignes, vous ne voyez pas tout. Le but est de tout voir. Mieux je me place, mieux je peux juger mes joueurs. Je vois ceux qui se cachent, ceux qui se donnent à 100 % du début à la fin de l’entraînement, etc. Quand vous êtes dans le feu de l’action, il y a des choses que vous ne pouvez pas remarquer.

Il y en a beaucoup qui se cachent à Bruges ?

Ça va encore. Mais bon, tout est encore nouveau. La motivation est énorme, ils veulent tous me montrer qu’ils existent.

 » Les joueurs ne quittent pas le terrain en rampant ou en crachant leurs boyaux  »

Vos entraînements sont-ils durs ?

Pas plus durs qu’à Westerlo. Pourquoi ?

Parce que les joueurs affirment qu’ils travaillent plus dur que la saison dernière : les entraînements sont plus longs et plus exigeants.

Je ne les vois quand même pas sortir du terrain en rampant… C’est fini, le temps où les footballeurs crachaient leurs boyaux en quittant la pelouse en période de préparation. Nous dosons bien les efforts, il y a suffisamment de plages de repos. Mais un très bon joueur doté d’une très bonne condition physique aura toujours un avantage par rapport à un joueur simplement bon. Nous travaillons beaucoup avec le ballon. Pour le moment, nous nous entraînons encore deux fois par jour, mais dès que les matches européens auront repris, nous passerons à une seule séance. Attention, on ne peut pas s’attendre à ce que tout soit déjà parfait maintenant. Je ne le souhaite pas, d’ailleurs, car il y aurait alors un risque d’euphorie. Je suis satisfait de ce que j’ai vu jusqu’à présent mais je sais que nous pouvons encore faire mieux. Les joueurs aussi en sont conscients. Je ne pense pas qu’un seul de mes hommes ait l’impression d’être déjà incroyablement bon. Et cela me rassure…

Au cours des dernières saisons, le noyau du Club marchait à l’autodiscipline. Quand Simons redoublait d’efforts, tous les joueurs l’imitaient.

C’est encore le cas, grâce à des gars comme Gert Verheyen et Philippe Clement. Je n’impose pas une discipline stricte à mes joueurs, je leur demande seulement de respecter quelques consignes de base.

Pourquoi cette approche marche-t-elle ici mais pas à Anderlecht ?

Parce qu’à Bruges, ça reste toujours relativement calme. Ici, quand il y a un gros tacle à l’entraînement, ça ne se retrouve pas en gros titres avec une grande photo dans les journaux du lendemain. A Anderlecht, c’est le cas. Le calme qui règne chez nous permet de réduire la pression et de travailler dans une ambiance agréable.

Presque tous les transferts avaient déjà été effectués quand vous êtes arrivé. Qu’auriez-vous demandé si vous aviez signé deux mois plus tôt ?

Je ne tiens pas à répondre. Les transferts sont bons.

Avez-vous déjà repéré les faiblesses de votre noyau ?

C’est une des missions de n’importe quel entraîneur.

Quelles sont ces faiblesses ?

Allez, mon gars… (Il rit). Tu ne voudrais quand même pas que je te le dise ?

Et pourquoi pas ?

Ce sera aux adversaires de mettre nos faiblesses à nu. Je suis content des transferts, en tout cas. Il faut seulement leur laisser du temps. Michael Klukowski est un excellent joueur mais pas une copie conforme de Peter Van der Heyden. Il est même meilleur que Van der Heyden, notamment sur le plan défensif. Mais, je le répète, il faut accorder un certain crédit temps aux nouveaux.

Il a quand même commis une grosse erreur contre Porto.

Presque tous les buts découlent d’une erreur défensive. Il est conscient qu’il s’est troué sur cette phase-là. J’aurais dû l’engueuler ? Avec le risque qu’il tombe dans le trou ? Non, j’ai préféré lui parler calmement. Ce n’était qu’un match amical, pas une rencontre de Ligue des Champions.

 » Je ne ressens aucune pression financière  »

D’autres transferts se mettent moins en évidence. Grégory Dufer, par exemple.

Quand il sera revenu à son meilleur niveau, il me sera utile. Il sait éliminer un homme, et avec lui, je peux me permettre d’opter pour le 4-4-2. Il peut aussi occuper la place de Gert Verheyen, mais c’est quand il vient du centre qu’il est le plus efficace. Lui aussi a besoin de temps, comme n’importe quel joueur qui arrive dans un grand club.

Derrière, Marek Spilar et Joos Valgaeren sont deux joueurs fragiles !

J’ai quatre internationaux pour deux places : Marek Spilar, Joos Valgaeren, Birger Maertens et Philippe Clement. En Coupe d’Europe, nous aborderons peut-être les matches en déplacement avec trois défenseurs centraux, comme je l’ai fait contre Porto. C’est bien d’avoir du monde pour occuper ces postes-là.

Olivier De Cock revient difficilement dans le coup.

N’importe quel joueur qui a été confronté à une grave blessure a besoin de temps pour retrouver son niveau.

Le turnover n’a jamais été votre truc : comment allez-vous procéder à Bruges ?

Je n’en sais encore rien. Laissez-moi découvrir mon environnement, je viens d’arriver. Jusqu’à présent, j’ai essayé le plus grand nombre possible de joueurs. Une fois que j’aurai trouvé mon équipe type, j’espère devoir très peu la modifier au fil des semaines. Même si je sais que ce sera impossible ne luttant sur trois fronts. Je sais très bien, en tout cas, qu’une équipe qui change souvent fait rarement de bons résultats.

Créer un lien solide entre vos joueurs a toujours été une de vos priorités. Cela sera-t-il possible avec 25 hommes ?

Je vous répondrai dans deux mois.

La saison dernière, Bosko Balaban ne s’est pas fait que des amis dans le groupe quand il n’en faisait qu’à sa tête sur le terrain. Comment allez-vous gérer ce problème ?

Un joueur qui ne marque pas mais qui se donne à 100 % est utile, mais parfois, c’est bien aussi d’avoir des gars qui réagissent autrement mais concrétisent une occasion sur deux. Balaban a des qualités de buteur fantastiques. Pour le moment, je ne peux certainement pas lui reprocher un quelconque manque d’engagement. Il lui arrive de porter longtemps le ballon, mais en préparation, c’est bien aussi d’avoir des joueurs qui essayent quelque chose.

On dit qu’avec vous, tout est toujours très simple. Est-ce un avantage ou un inconvénient ?

Un avantage. C’est ça qui m’a permis d’être où je suis aujourd’hui. Et si cette approche m’a permis de signer à Bruges, pourquoi devrais-je la modifier ?

Quels résultats faudra-t-il pour que vous considériez cette saison comme réussie ?

Ce sera le cas si nous nous battons jusqu’au bout en Coupe de Belgique et en championnat. Il faudrait aussi que le Club se qualifie pour la Ligue des Champions.

La saison sera-t-elle un échec si vous ne vous qualifiez pas ?

Non. Sauf si nous échouons contre une petite équipe. Je ne ressens aucune pression financière, mais si nous participons aux poules, la marge de man£uvre pour la saison 2006-2007 sera plus grande.

Le Club est-il plus fort qu’Anderlecht ?

Je pense que Bruges, Anderlecht et le Standard se valent.

Pierre Danvoye et Geert Foutré

 » KLUKOWSKI EST MEILLEUR que Van der Heyden « 

 » J’ai QUATRE INTERNATIONAUX POUR DEUX PLACES en défense centrale  »

 » L’axe Simons-Ceh-Lange est parti, JE DOIS ENCORE CHERCHER LA BONNE SOLUTION « 

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