Du temps gagné

Bruno Govers

Par rapport à juillet 2002, le coach des Mauves est déjà bien plus avancé. Mais l’équipe est-elle prête pour la Ligue des Champions ?

Pour sa 40e apparition de rang sur la scène européenne, Anderlecht aurait assurément pu rêver d’une entrée en matière moins corsée que celle qui l’attendra ce soir, à Bucarest, face au Rapid local. Peu gâté par le tirage au sort, l’entraîneur du RSCA, Hugo Broos, n’a pas été verni non plus par les événements sur les terrains. Car les succès probants enregistrés tout au long de la campagne de préparation auront été synonymes, aussi, de victoires à la Pyrrhus, tant l’effectif a été décimé. Mais à quelque chose malheur est bon, dit-on souvent. Et, dans ces circonstances, le coach des Mauves se sera réjoui de la richesse en profondeur de son groupe. Non seulement pour ce qui est des chevronnés mais également des jeunes où certains, comme Vincent Kompany, ont fait montre de qualités peu banales.

Par rapport à l’année passée, au même moment de la saison, où en êtes-vous aujourd’hui ?

Hugo Broos : Il y a un an, jour pour jour, je procédais toujours à des essais, tant en matière de système de jeu que des hommes chargés de l’animer. Cette fois, j’ai pu entrer d’emblée dans le vif du sujet dans la mesure où le 4-4-2 pour lequel je me suis prononcé après maints tâtonnements, ainsi que l’équipe qui s’est dégagée en cours de campagne passée, ont constitué ma base de travail ce coup-ci. De la sorte, j’ai déjà gagné pas mal de temps. D’autre part, comme le club a réellement transféré en fonction de ses besoins, après un screening judicieux, chacun des nouveaux venus a directement pu s’exprimer de façon idéale. Je songe à Christian Wilhelmsson, par exemple, qui a indéniablement comblé un vide sur le flanc droit puisque nous ne possédions pas un véritable médian de débordement, comme lui, sur cette partie du terrain. Ivica Mornar et Aruna Dindane s’étaient relayés dans ce rôle au cours de la défunte campagne mais la réalité du terrain a montré qu’ils présentaient davantage le profil d’attaquants que de joueurs de couloir. Finalement, pour des raisons d’équilibre au sein de l’équipe, c’est Goran Lovre qui s’était imposé à cette place. Au nom de cette priorité, c’est lui qui aura la préséance en début de saison, surtout en cas de mission périlleuse, comme il en ira très certainement face au Rapid. Mais en d’autres occasions, quand le besoin d’un ratisseur sera moins nécessaire, il est évident que je ne me priverai pas d’un ouvre-boîtes de la trempe du Suédois.

Ce qui vaut pour Goran Lovre et Christian Wilhelmsson à droite n’est-il pas valable aussi pour Ki-Hyeon Seol et Martin Kolar du côté gauche ?

Exactement. Je dispose aujourd’hui pour chacune des onze positions de l’équipe d’une double occupation, mais avec des joueurs dotés de qualités différentes. Si j’ai besoin d’un footballeur capable de jaillir au milieu gauche, c’est vers Martin Kolar que je me tournerai. En revanche, si la nécessité d’un travailleur se fait sentir, c’est à Ki-Hyeon Seol que je m’adresserai. Et pour les autres postes, c’est du pareil au même : si je veux de la rigueur au back, j’opterai pour Olivier Doll. Par contre, si je veux de la pénétration, Mark Hendrikx fera plutôt l’affaire. Cette richesse-là, je ne l’avais pas l’année passée. Du moins, à ce stade de la saison. Car Goran Lovre, pour ne citer que lui, n’était pas encore prêt à ce moment-là. Et Junior était déjà en délicatesse avec son genou. Il est heureux, dans ce contexte, qu’un garçon comme Besnik Hasi soit toujours là aujourd’hui. Car compte tenu de la double indisponibilité d’Yves Vanderhaeghe et de Junior au médian défensif, sa présence ne constitue pas un luxe. J’ai été très surpris d’apprendre, voici quelques semaines, qu’il lui était loisible, au même titre que Mark Hendrikx ou Alexandar Ilic, de se mettre en quête d’un nouveau club. Ce n’est pas moi qui les poussais vers la porte de sortie en tout cas, que du contraire. Aujourd’hui, vu les nombreux éclopés, tous trois ont prouvé que leur concours allait encore nous être précieux cette saison.

Baseggio et Zetterberg : double emploi

A l’instar des cas précités, un choix se pose-t-il aussi en ce qui concerne Walter Baseggio et Pär Zetterberg ? Ou bien peuvent-ils jouer l’un à côté de l’autre ?

Je ne prétends pas qu’ils ne joueront jamais ensemble. Tout comme il n’est pas impensable que Martin Kolar et Ki-Hyeon Seol soient alignés de concert à gauche. Mais eu égard à ce que j’ai vu lors de la période de préparation, ce sera Walt ou Zet. Tous deux ont beau être de bonne composition et disposés à s’aider de la meilleure manière qui soit, la vérité n’en reste pas moins qu’ils présentent un registre similaire : celui de meneur de jeu. Avec, comme dans les cas précédents, des différences qui se manifestent par un plus grand volume de jeu chez le Clabecquois et une plus grande implication offensive chez l’autre. Face à un sans-grade comme Grimbergen, c’est sûr que leur entente fait merveille et que le match tourne à la kermesse aux pipes. Mais j’ai mes doutes quant à leur efficacité réelle quand l’opposition est plus relevée. Face à Oud Heverlee-Louvain déjà, une toute bonne formation de D3, nous avions concédé plusieurs opportunités en raison d’un manque d’intransigeance dans la récupération du ballon. Ces erreurs-là, nous les aurions payées cash face à une équipe plus huppée, c’est certain. Ceci dit, si la trame du match le permet, je serais sot de me passer de l’apport d’un de ces deux-là. Et je mesure mieux que quiconque qu’un quatuor médian formé de Christian Wilhelmsson, Walter Baseggio, Pär Zetterberg et Martin Kolar est susceptible de régaler le public comme nul autre. Il y aura des matches, pas mal de matches même, où ils £uvreront sans doute dans cette configuration. Mais sûrement pas 34. Je ne me vois pas croiser le fer avec Bruges dans cette disposition-là.

Pendant que Bruges, comme d’habitude, se frottait à des adversaires de haut niveau comme Bordeaux ou Berlin lors de la campagne de préparation, Anderlecht empilait tout aussi traditionnellement les buts, contre des oppositions mièvres. Vous qui avez travaillé dans les deux clubs, quelle formule recueille votre adhésion ?

Par rapport à l’année passée, où nous avions multiplié les matches face à des équipes modestes, la gradation fut déjà plus judicieuse cette fois, puisque nous avons débuté par une 1re Provinciale (Knokke), puis une Promotion (Grimbergen), une D3 (Oud Heverlee-Louvain) et ainsi de suite pour boucler notre parcours par une D1 néerlandaise, le RKC Waalwijk. Peut-être qu’une autre opposition de cette valeur eût été souhaitable avant d’affronter le Rapid Bucarest, qui sera quand même d’un calibre supérieur. En principe, nous n’aurions pas dû avoir affaire à aussi forte opposition en cette période de la saison. Le tirage au sort à Nyon en a décidé autrement. A ce moment-là, il était trop tard pour revoir nos plans. Bruges, en revanche, savait d’office qu’il hériterait d’un gros bras au troisième tour préliminaire de la Ligue des Champions. Dans ces conditions, il n’est pas illogique qu’il ait multiplié les matches de bon niveau en phase préparatoire. Si nous avions été logés à la même enseigne, nous n’aurions sans doute pas procédé autrement.

Le véritable point négatif, lors de la période de préparation du RSCA, aura été le lourd tribut payé aux blessures. Un phénomène manifestement récurrent si l’on en juge par le nombre d’éclopés chaque année. Est-ce lié simplement à la fatalité ?

Si rien n’a changé en la matière malgré les renouvellements au sein de l’antenne médicale du club, il faut bien en conclure que certains organismes sont peut-être plus fragiles que d’autres. Reste que la préparation a été très intensive puisque nous devions être prêts après 30 jours. Et nous le sommes, même si, en cours de route, l’un ou l’autre a dû décrocher par suite des généreux efforts déployés. Je songe à Oleg Iachtchouk ou à Yves Vanderhaeghe notamment, à coup sûr victimes de l’entrain qu’ils ont manifesté pour revenir au sommet après leur blessure. Ou encore aux jeunes qui, pour leur part, doivent encore apprendre à doser leurs efforts. C’est pourquoi je ferai preuve de la même prudence avec eux qu’avec Goran Lovre en début de campagne passée. Je sais que pas mal de gens, dans le giron du club, rêvent de me voir sélectionner des garçons comme Anatoli Gerk, Denis Calincov ou Maarten Martens, à l’image de ce que j’avais fait l’année passée avec Goran Lovre ou Olivier Deschacht. Mais il est utopique de croire que tous ceux-là seront des titulaires dans quelques mois. La relève doit se faire en douceur. Pour l’instant, je n’en vois que deux qui sont susceptibles de s’étoffer à bon escient : Sherjill Mac Donald, qui avait déjà eu du temps de jeu la saison passée, et Vincent Kompany, qui est incontestablement la toute bonne surprise de ce début de campagne.

Kompany : surdoué

Titulaire lors du premier match de préparation à Knokke, vous avez fait l’impasse sur lui pendant plusieurs rencontres avant de le confirmer dans son rôle d’arrière central au Havre. Pourquoi cette coupure ?

Vincent Kompany est un surdoué. Il me fait irrésistiblement penser à Paul Okon, que j’ai eu sous mes ordres à Bruges. Je me souviens qu’après quelques séances d’entraînement, l’Australien, qui était encore teenager à ce moment, était venu me trouver en me demandant pourquoi il devait s’entraîner et jouer avec les B alors qu’il estimait que sa place était chez les A et nulle part ailleurs. Il avait foncièrement raison mais il fallait que je lui fasse prendre conscience qu’une place au plus haut niveau, cela se mérite. Avec Vincent Kompany, c’est la même chose. Il a les aptitudes pour s’imposer en équipe-fanion. Mais il ne doit pas croire qu’après un bon match à Knokke, c’est arrivé. C’est la raison pour laquelle après avoir goûté aux joies d’un match en A, il est parfois bon de redescendre d’un cran pendant quelque temps. Histoire d’avoir faim et de ne pas se mettre à planer. Si Vincent Kompany garde les pieds sur terre, c’est sûr qu’il est promis à un bel avenir. Il a tout pour lui en tout cas : le gabarit, les qualités footballistiques, le flair, le calme en toutes circonstances.

Un Marcel Desailly en puissance comme le dit un insider du club ?

Je n’aime finalement pas toutes ces comparaisons. Elles sont peut-être flatteuses mais elles mettent surtout la pression sur le joueur. Or, ce n’est déjà pas ce qui manque à Anderlecht. Aussi bien pour les joueurs que pour l’entraîneur ( il rit).

La saison passée, en pleine tourmente, vous nous aviez affirmé que certains joueurs voulaient votre peau. A présent que Filip De Wilde et Bertrand Crasson sont partis et que Gilles De Bilde et Ivica Mornar ne font plus partie des plans de bataille, vous avez tous vos apaisements ?

Le climat est en tout cas beaucoup plus serein. Et certains départs, perçus a priori comme une perte, peuvent à l’arrivée se révéler bénéfiques pour d’autres. Je songe par exemple à Daniel Zitka qui devrait logiquement gagner en souveraineté, entendu qu’il ne doit plus composer avec un monument comme Filip De Wilde. Le Tchèque m’a avoué naguère qu’il s’était fourvoyé complètement sur son devancier, tant sur les plans sportif qu’humain, et que c’est la raison pour laquelle il n’avait pas donné sa pleine mesure. Cette fois, il éclatera, j’en mets ma main à couper.

Le poste de gardien de but n’est-il pas, finalement, celui où le Sporting est le moins richement pourvu ?

Avec Daniel Zitka, Tristan Peersman et Jan Van Steenberghe dans cet ordre, je m’estime paré. Mais si le numéro deux doit passer sur le billard, il faudra songer à embrigader un keeper de la même trempe. Car chez les jeunes, la relève n’est manifestement pas prête.

Si Walter Baseggio et Aruna Dindane continuent sur leur lancée des derniers mois, tout porte à croire qu’ils disputeront leur dernière saison sous la vareuse du Sporting. Si Pär Zetterberg est une bonne alternative pour Walter Baseggio, on n’en voit pas, de prime abord, pour l’Ivoirien. La direction ne serait-elle pas bien inspirée en allant déloger au Lierse son compatriote et alter ego Arouna Koné ?

C’est une question qu’il convient de poser aux dirigeants. Personnellement, dès le mois de janvier, j’ai demandé qu’on considère son cas, de même que celui de Stijn Huysegems d’ailleurs. Jadis, Anderlecht aurait sauté sur ces opportunités. Mais les temps ont changé. Même Bruges n’est pas disposé à débourser un million d’euros pour le buteur lierrois, c’est assez significatif. De part et d’autre, je remarque que la tendance est de faire confiance d’abord à ce qu’on possède. Non seulement en surface mais aussi en profondeur. Et ce n’est peut-être pas plus mal car l’herbe n’est pas nécessairement plus verte ailleurs.

Bruno Govers

 » Se débarrasser de certains joueurs facilite souvent la vie de bien d’autres «  » Quand on a tiré Bucarest il était trop tard pour changer notre préparation  »

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