» Du talent ? A PROUVER « 

International de 1978 à 1988, le Luxembourgeois a participé à une finale de Championnat d’Europe et à une demi-finale de Coupe du Monde.

International de 1978 à 1988, Michel Renquin a vécu les plus beaux moments de l’histoire des Diables Rouges : la finale de l’EURO 80 en Italie, perdue 2-1 contre l’Allemagne, et la demi-finale de la Coupe du Monde 86 au Mexique, ponctuée par l’accueil inoubliable qui fut réservé à la délégation lors du retour en Belgique. Durant toutes ces années, il a travaillé avec celui qu’il faut bien considérer comme l’entraîneur emblématique de notre équipe nationale : le regretté Guy Thys. Il fut, parfois, le seul joueur wallon de la sélection dans un pays où l’on sait ce que les tensions communautaires veulent dire.

Pendant de longues années, c’est de Genève qu’il a observé les évolutions des Diables Rouges. Il joua en effet au Servette de Genève avant de devenir entraîneur, notamment du petit club de Delémont mais aussi de l’équipe nationale suisse des û21 ans où il eut sous ses ordres quelques-uns des joueurs qui participeront à l’EURO 2004, en juin prochain au Portugal. Depuis l’été dernier, il est rentré au pays pour se replonger dans l’ambiance belge à Virton, un club de D2 qui a bien du mérite à se maintenir à ce niveau. Là-bas, en Gaume, on est bien éloigné du centre névralgique de l’Avenue Houba de Strooper. Le microclimat qui sévit dans la région semble aussi avoir des répercussions dans la vie du club.

 » J’ai un peu l’impression de retrouver à Virton l’ambiance qui régnait en équipe nationale voici 20 ans, avec des gens qui aiment le football pour ce qu’il est et pas pour l’argent qu’il génère « , affirme Michel Renquin.

 » Arrêtons de réagir comme Calimero  »

Lorsqu’on vous parle actuellement des Diables Rouges, quelle est la première réflexion qui vous vient à l’esprit ?

MichelRenquin : Qu’il est dommage de rater l’EURO 2004. C’est une grosse déception. Je n’aime pas les réactions du genre Calimero. On prétend que la génération actuelle est bourrée de talent, mais alors elle doit le prouver. Elle a peut-être développé un jeu chatoyant et laissé augurer de belles promesses, mais sur le plan des résultats purs, les faits sont là : elle n’est pas parvenue à se qualifier pour le Championnat d’Europe et c’est un échec. Où a-t-elle perdu la qualification ? Lorsque les Diables Rouges ont affronté l’Estonie, en octobre à Sclessin, je ne me faisais déjà plus d’illusions : ils n’avaient plus leur sort en mains et ce n’est jamais bon signe. Le billet pour le Portugal leur avait échappé plus tôt. A Zagreb, probablement, lorsqu’ils se sont inclinés 4-0 contre la Croatie. Les Diables Rouges avaient été versés dans un groupe difficile, où trois prétendants sérieux se battaient pour deux places. Au jeu de la chaise musicale, ils ont été les dindons de la farce. J’espère qu’ils ne louperont pas la Coupe du Monde 2006, car c’est important pour les joueurs de la nouvelle génération.

Que ratent-ils en n’étant pas présents au Portugal ?

L’occasion de se faire connaître, d’offrir du bonheur à tout un peuple et d’acquérir de l’expérience. C’est énorme, car ce genre d’opportunités ne se présente que tous les deux ans, ou tous les quatre ans. En ce qui me concerne, la participation à l’EURO 80 m’a permis de me révéler à moi-même et de prendre conscience de mes possibilités. Je n’étais pas, intrinsèquement, au-dessus du lot. Mon bulletin renseignait, disons, 70 % dans tous les domaines : physique, technique, tactique. Ce Championnat d’Europe m’a conféré un souffle supplémentaire : je me suis rendu compte qu’avec ces 70 %, je parvenais à très bien me débrouiller. Collectivement aussi, un groupe s’est formé en Italie : les bases de la demi-finale de la Coupe du Monde 1986, c’est là qu’on les avait jetées.

Entre 1978 et 1988, vous avez vécu de l’intérieur la plus belle période qu’ait connu l’équipe nationale belge.

Oui, à l’exception de l’EURO 84. J’étais parti en Suisse après la Coupe du Monde 82, et pendant deux ans, je n’avais plus été repris. Alors que je n’avais pas participé à la campagne de qualification, on a voulu me rappeler pour le tour final de l’EURO 84. J’ai décliné l’invitation, pour diverses raisons, dont la principale était que je voulais rester correct vis-à-vis de l’employeur suisse qui m’avait payé pendant deux ans et qui me demandait de participer à la finale de la Coupe.

 » Guy Thys reste le modèle  »

Vous avez réalisé toute votre carrière internationale sous la direction de l’entraîneur emblématique des Diables Rouges, le regretté Guy Thys. Quelles qualités doit avoir un sélectionneur national en Belgique ?

Les qualités qu’avaient… Guy Thys, précisément. S’il faut trouver un modèle, c’est lui. Cela ne signifie pas qu’il était nécessairement un bon entraîneur de terrain. Ce n’est pas indispensable pour être un bon coach fédéral : ceux qui doivent faire progresser le football belge, techniquement et physiquement, ce sont les entraîneurs de clubs. Un sélectionneur national doit simplement être un rassembleur, capable de concilier des points de vue différents, de motiver ses troupes, de trouver les mots justes au bon moment et d’expliquer certains détails avec autant de précision que de rapidité. Toutes ces qualités-là, Guy Thys les avait. Je n’ai connu que lui en équipe nationale : un homme bien, à tous les égards. J’ai pourtant eu des petits conflits avec lui, mais toujours bien maîtrisés parce qu’il me connaissait et savait comment me prendre. Je suis quelqu’un de franc et je dis toujours ce que j’ai sur le c£ur. J’avais parfois raison, parfois tort, mais j’éprouvais toujours le besoin d’exprimer ce que je ressentais. Ces petites tensions n’ont jamais empêché un immense respect mutuel. C’était aussi le cas avec Robert Waseige. Voilà un autre ancien sélectionneur national avec lequel j’ai eu le privilège de travailler. Je ne l’ai connu qu’en club, où le travail est tout de même fort différent, mais il avait certainement le profil d’un bon coach fédéral. Vu de l’extérieur, Aimé Anthuenis semble l’avoir également, mais je le connais trop peu pour pouvoir le juger.

Les Diables Rouges ont réalisé leurs meilleurs résultats en jouant à la belge. Qu’est-ce que cela signifie, jouer à la Belge ?

D’abord, prendre conscience du fait que la Belgique est un petit pays mais qu’elle ne doit nourrir de complexes vis-à-vis de personne. A condition de se battre l’un pour l’autre du début à la fin. Si certains éléments veulent tirer la couverture à eux en essayant de se montrer individuellement, cela n’ira jamais.

A votre époque, l’équipe nationale possédait d’excellents défenseurs, qui se signalaient par une grande intelligence tactique, mais elle éprouvait des difficultés à trouver de grands attaquants. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse : Aimé Anthuenis n’a que l’embarras du choix pour composer sa ligne d’attaque mais il a longtemps cherché la solution pour trouver une défense fiable.

C’est difficile, pour un petit pays comme la Belgique, de réunir les deux. Le réservoir est trop limité. Si l’on avait à la fois des grands attaquants, des grands médians et des grands défenseurs, on serait au niveau du Brésil. Donc, en fonction des époques, on peut avoir l’un ou l’autre. C’est vrai qu’autrefois, les Diables Rouges étaient plutôt réputés pour leur solidité défensive. Ce n’étaient pas des joueurs au talent exceptionnel, mais ils se battaient, témoignaient d’une grande intelligence tactique et jouaient en fonction de leurs qualités, en connaissant leurs limites. Une équipe qui est solide défensivement présente déjà certaines garanties. Il n’y avait pas que les défenseurs qui offraient ces garanties : devant le quatre arrière, un joueur comme René Vandereycken effectuait un travail de récupération impressionnant. Mais je crois que la Belgique possédait également de bons joueurs en milieu de terrain, non dépourvus de créativité. Je songe à Ludo Coeck, un joueur phénoménal ; à Franky Vercauteren, qui imposait son identité sur le flanc gauche ; à Enzo Scifo, bien sûr, dont les qualités techniques n’étaient plus à démontrer. Devant, par contre, on était plus limités, surtout en nombre, car Erwin Vandenbergh était tout de même un fameux buteur. Mais, avec nos limites, on a réussi de très belles choses. On éprouvait parfois des difficultés à prendre le jeu à notre compte, mais on compensait cela par une organisation sans failles. Aujourd’hui, la Belgique possède des attaquants en plus grand nombre, mais les résultats ne sont pas meilleurs. Cette pléthore d’attaquants, c’est sans doute l’émergence d’une génération spontanée… comme ce l’était autrefois pour les défenseurs. Penser qu’autrefois, on travaillait mieux à l’entraînement sur le plan défensif, est une aberration. La formation n’était encore nulle part, comparée à ce qu’elle est aujourd’hui. Moi, ma formation, ce fut le football de talus. Pourtant, en équipe nationale, nous tendions merveilleusement le piège du hors-jeu : la ligne arrière remontait en bloc, comme un seul homme. Combien de fois n’ai-je pas dû entendre : -C’est sans doute le fruit d’incessantes répétitions à l’entraînement ? Or, nous ne nous sommes pas entraînés une seule fois à cet exercice ! Par contre, pendant toute la période durant laquelle j’ai été international, l’équipe belge est demeurée très stable. Nous avons appris à nous connaître et il existait aussi une complémentarité extraordinaire entre les différents rouages. Cela aussi, c’est un ingrédient de la réussite. En Belgique comme ailleurs : si Franz Beckenbauer fut un grand libero, c’est parce qu’il avait à ses côtés un Georg Schwarzenbeck qui effectuait le sale boulot. Si Johan Cruijff a brillé à la tête des Pays-Bas, c’est parce qu’il pouvait compter sur Johan Neeskens pour ratisser les ballons.

 » Simons ? Connais pas !  »

Aujourd’hui encore, d’anciens Diables Rouges légendaires, comme Paul Van Himst, Enzo Scifo ou Jean-Marie Pfaff sont connus aux quatre coins de la planète. Avez-vous l’impression que les internationaux actuels jouissent de la même notoriété ?

Pour avoir vécu longtemps en Suisse, je dois malheureusement répondre par la négative. Autrefois, les Helvètes pouvaient presque citer par c£ur les noms des joueurs qui composaient l’équipe nationale belge. Longtemps, les Diables Rouges furent un exemple pour eux : celui d’un petit pays qui réussissait au plus haut niveau. Aujourd’hui, il y a une perte de notoriété de nos représentants. Elle peut s’expliquer par l’absence des clubs belges dans les finales européennes ou par la médiatisation outrancière dont jouissent les grands clubs anglais, italiens ou espagnols. Mais le fait est là : rares sont ceux qui, à l’étranger, pourraient encore citer les noms de cinq Diables Rouges actuels. Sans vouloir lui faire de peine, je dois reconnaître qu’un joueur comme Timmy Simons, en Suisse, on ne le connaît pas.

Vous avez parfois été le seul joueur wallon en équipe nationale. Comment avez-vous vécu cette situation, dans un pays où le communautaire a toujours été un sujet très sensible ?

Très bien. Je peux même dire que j’ai toujours éprouvé une certaine fierté de représenter le football luxembourgeois, voire wallon, en équipe nationale. Et cela se passait très bien avec les autres joueurs : les Limbourgeois comptaient parmi mes meilleurs amis. J’en ai assez de ces sempiternels conflits communautaires. C’est lamentable. Chaque communauté possède une identité propre, mais lorsqu’on veut devenir européen, il faut précisément apprendre à respecter l’identité de l’autre. Le mélange des cultures est une richesse. Outre le fait de devenir footballeur, j’ai eu une grande chance dans ma vie : celle de pouvoir faire des rencontres. J’ai vécu à Liège, à Bruxelles, à Genève, à Nice et… en Algérie, et toutes ces expériences m’ont procuré un enrichissement personnel.

Lors de la Coupe du Monde 2002, au Japon, des tensions ont de nouveau surgi. Cela semble être un mal récurrent en équipe nationale.

Effectivement, j’ai vécu cela en 1982 en Espagne et en 1986 au Mexique également. Par contre, en Italie en 1980, c’était resté très calme tout au long du tournoi, parce que du début à la fin, les résultats avaient dépassé les espérances. Lorsque les résultats ne répondent pas à l’attente, il est logique qu’on cherche à savoir pourquoi. Si l’on se limite à l’essentiel, à savoir le jeu, c’est bien. Si l’on cherche uniquement à alimenter la polémique, c’est très dommageable. La presse a un rôle merveilleux à jouer en tant que critique. Mais il faut comprendre le terme  » critique  » dans le sens d’observer, de juger. Je respecte les journalistes qui donnent leur avis objectivement et qui écrivent ce qu’ils ressentent. Mais ceux qui cherchent d’abord à alimenter la polémique ne sont pas des journalistes à mes yeux. Ce sont des gens qui essayent de vendre des journaux. Il y a des gens bien, et d’autres moins respectables, dans tous les domaines. J’ai connu des journalistes qui jugeaient le match différemment en fonction de la façon dont ils avaient été accueillis… avant le match. J’appelle cela de la corruption mentale.

Daniel Devos

 » On peut être bon coach fédéral SANS ÊTRE BON ENTRAÎNEUR DE TERRAIN  »

 » Les conflits COMMUNAUTAIRES sont lamentables  »

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